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Travailleurs indépendants et plateformes numériques : où en est-on ?

Travailleurs indépendants et plateformes numériques : où en est-on ?

Le Code du travail français ne connaît que deux statuts de travailleurs : celui de salarié et celui de travailleur indépendant. Les travailleurs recourant à des plateformes de mise en relation ont en principe la qualité de travailleur indépendant (1). Toutefois, force est de constater que la jurisprudence n’est pas uniforme sur le sujet puisque la Cour de cassation a requalifié à plusieurs reprises des relations entre travailleurs indépendants et plateformes numériques en contrat de travail (2), tandis que certaines cours d’appel ont refusé de reconnaître la qualité de salariés à des travailleurs indépendants (3).


En parallèle, le droit interne ne cesse de s’enrichir afin de tenter de réguler les relations entre les acteurs de la nouvelle économie, toujours plus nombreux.

Ce mouvement est également constaté au niveau européen puisque la Commission européenne a récemment proposé trois nouveaux instruments visant à réguler le travail effectué via les plateformes de travail numériques qui pourraient être adoptés au cours de l’année 2022.

 

Régulation des relations entre plateformes numériques et travailleurs indépendants en droit interne

Depuis 2016, le Code du travail s’est doté de dispositions applicables aux travailleurs des plateformes numériques. Pour l’application de ses dispositions, il convient de distinguer celles qui s’appliquent à toutes les plateformes numériques de celles qui sont propres aux plateformes de mobilité.

 

Dispositions applicables à toutes les plateformes

Les dispositions contenues aux articles L. 7341-1 et suivants du Code du travail s’appliquent aux travailleurs indépendants recourant, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique telles que définies à l’article 242 bis du Code général des impôts, à savoir des entreprises, quel que soit leur lieu d’établissement, qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service, de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service.

 

Responsabilité sociale de la plateforme

Lorsque la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation fournie ou du bien vendu et fixe son prix, elle a, à l’égard des travailleurs concernés, une responsabilité sociale (4).

Cette responsabilité sociale se traduit par une prise en charge par la plateforme de cotisations lorsque le travailleur souscrit une assurance couvrant le risque d’accidents du travail ou adhère à l’assurance volontaire mentionnée à l’article L. 743-1 du Code de la sécurité sociale, ainsi que par la prise en charge de la contribution en matière de formation professionnelle continue et de validation des acquis de l’expérience (5).

Le compte personnel de formation du travailleur est également abondé par la plateforme lorsque le chiffre d’affaires qu’il réalise sur cette plateforme est supérieur à un seuil déterminé selon le secteur d’activité du travailleur.

Lorsque plusieurs plateformes sont tenues de prendre en charge les cotisations, contributions et frais mentionnés ci-dessus, chacune d’entre elles les rembourse au prorata du chiffre d’affaires que le travailleur indépendant a réalisé par leur intermédiaire, rapporté au chiffre d’affaires total qu’il a réalisé au cours de l’année civile par l’intermédiaire des différentes plateformes.

Ces prises en charge ne sont pas applicables lorsque le chiffre d’affaires réalisé sur la plateforme au cours de l’année civile au titre de laquelle la cotisation et la contribution sont dues est inférieur à 13% du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 5347,68 euros

 

Droits collectifs des travailleurs

Les travailleurs peuvent constituer une organisation syndicale, y adhérer et faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs (6). Dès lors qu’il y a plusieurs adhérents au sein d’une plateforme, le syndicat peut constituer une section syndicale (7).

Les travailleurs peuvent également participer à un mouvement de refus concerté de fournir leurs services en vue de défendre leurs revendications professionnelles, sans que cela ne puisse constituer un motif de rupture de leurs relations contractuelles avec les plateformes ou justifier de mesures les pénalisant dans l’exercice de leur activité, sauf abus.

Ces mouvements ne sont pas soumis à une procédure déclarative ni réservés à l’initiative des organisations syndicales.

 

Règles applicables uniquement aux plateformes numériques dites de mobilité

Les travailleurs des plateformes qui exercent leur activité dans le secteur de la mobilité (chauffeurs VTC et livreurs de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non) bénéficient de garanties supplémentaires à celles énoncées ci-dessus.

 

Charte de responsabilité sociale

Les plateformes de mise en relation ont la faculté d’établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de leur responsabilité sociale, définissant leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation.

Cette charte de responsabilité sociale, si elle est établie, doit contenir les éléments suivants (8):

 

1. Les conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs avec lesquels la plateforme est en relation, en particulier les règles selon lesquelles ils sont mis en relation avec ses utilisateurs ainsi que les règles qui peuvent être mises en œuvre pour réguler le nombre de connexions simultanées de travailleurs afin de répondre, le cas échéant, à une faible demande de prestations par les utilisateurs. Ces règles garantissent le caractère non exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme et de se connecter ou se déconnecter, sans que soient imposées des plages horaires d’activité ;

2. Les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent pour leur prestation de services ;

3. Les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels ;

4. Les mesures visant notamment :

a) A améliorer les conditions de travail ;

b) A prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité ainsi que les dommages causés à des tiers ;

5. Les modalités de partage d’informations et de dialogue entre la plateforme et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;

6. Les modalités selon lesquelles les travailleurs sont informés de tout changement relatif aux conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;

7. La qualité de service attendue, les modalités de contrôle par la plateforme de l’activité et de sa réalisation et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur répondant aux exigences de l’article L. 442-1 du code de commerce ainsi que les garanties dont le travailleur bénéficie dans ce cas ;

8. Le cas échéant, les garanties de protection sociale complémentaire négociées par la plateforme dont les travailleurs peuvent bénéficier.

 

Cette charte est transmise par la plateforme à l’autorité administrative. Lorsqu’elle en est saisie par la plateforme, l’administration apprécie la conformité de la charte à ces dispositions en procédant à son homologation. Lorsqu’elle est homologuée, l’établissement de la charte ne peut caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs.

 

Représentation des travailleurs

Les travailleurs des plateformes de mobilité peuvent être représentés par des syndicats professionnels ou des associations constituées en vertu de la loi du 1er juillet 1901 dont l’objet social couvre la représentation de ces travailleurs et la négociation des conventions et accords qui leur sont applicables.

Pour être représentatives, les organisations doivent remplir 7 critères cumulatifs (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté minimale d’un an dans le champ professionnel, audience de 8% des suffrages exprimés, influence et effectif d’adhérents et de cotisations).

Pour mesurer l’audience des organisations syndicales dans les secteurs visés, un scrutin est organisé tous les quatre ans par l’ARPE (l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi). Le premier scrutin devra avoir lieu avant le 31 décembre 2022.

Peuvent voter les travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation qui justifient d’au moins trois mois d’ancienneté dans le secteur considéré (9). Les listes électorales sont arrêtées par l’ARPE, selon des modalités définies par décret en Conseil d’Etat.

Les organisations reconnues représentatives auprès des travailleurs désignent ensuite un nombre de représentants déterminé par décret. L’ARPE communique le nom de ces représentants à la plateforme avec laquelle ils sont liés par contrat.

Ces représentants des travailleurs sont protégés contre le risque de rupture du contrat commercial. Celle-ci ne peut en effet intervenir qu’après autorisation de l’ARPE qui doit s’assurer que la rupture du contrat est sans lien avec les fonctions représentatives du travailleur.

La rupture du contrat commercial sans autorisation fait l’objet de sanctions pénales.

Par ailleurs, le représentant peut saisir le tribunal judiciaire afin de faire cesser la situation et demander réparation du préjudice s’il estime subir, du fait de la plateforme, une baisse d’activité en rapport avec son mandat (10).

 

Exécution de la prestation

En application des dispositions contenues aux articles L.1326-2 et suivants du Code des transports, depuis le 1er mars 2021, les plateformes doivent communiquer aux travailleurs, lorsqu’elles leur proposent une prestation, la distance couverte par cette prestation et le prix minimal garanti dont ils bénéficieront, déduction faite des frais de commission.

Les travailleurs peuvent refuser une proposition de prestation de transport sans faire l’objet d’une quelconque pénalité. La plateforme ne peut notamment pas mettre fin à la relation contractuelle qui l’unit aux travailleurs au motif que ceux-ci ont refusé une ou plusieurs propositions.

La plateforme doit publier sur son site internet, de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée d’activité et au revenu d’activité des travailleurs en lien avec la plateforme, au cours de l’année précédente (article L. 1326-3 du Code du travail).

Les travailleurs choisissent leurs plages horaires d’activité et leurs périodes d’inactivité et peuvent se déconnecter durant leurs plages horaires d’activité. Les plateformes ne peuvent mettre fin au contrat lorsqu’un travailleur exerce ce droit (article L. 1326-4 du Code du travail).

 

Vers une uniformisation des textes au niveau européen

Si les règles régissant les plateformes sont aujourd’hui disparates au sein de l’Union Européenne, ceci pourrait bientôt évoluer.

En effet, la Commission européenne a proposé, le 9 décembre dernier, trois nouveaux instruments visant à améliorer les conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme et à promouvoir une croissance durable des plateformes de travail numériques dans l’Union européenne.

 

Ces mesures ont notamment pour objet d’assurer une meilleure protection des travailleurs des plateformes qui seraient aujourd’hui près de 5,5 millions à travers l’Union Européenne à être irrégulièrement qualifiés de travailleurs indépendants.

 

Selon la Commission, ces nouvelles règles sont destinées à faire en sorte que « les personnes qui travaillent par l’intermédiaire de plateformes de travail numériques puissent jouir des droits du travail et des prestations sociales auxquels elles ont droit« .

Cet ensemble commun de règles de l’UE devrait, en conséquence, permettre « d’offrir une plus grande sécurité juridique, permettant ainsi aux plateformes de travail numériques de tirer pleinement parti du potentiel économique du marché unique et de conditions de concurrence équitables ».

Ainsi, outre une communication visant à promouvoir de meilleures conditions de travail et un projet de lignes directrices relatif à l’application du droit de la concurrence de l’UE aux conventions collectives des travailleurs indépendants, la Commission a présenté une proposition de directive.

 

Sont susceptibles d’être concernées par cette directive toutes les plateformes numériques de mise en relation proposant des services effectués par des individus puisque la proposition de directive vise les plateformes numériques qui apportent un service commercial :

 

    • au moins pour partie, par voie électronique, au moyen d’un site web ou d’une application mobile,
    • à la demande du destinataire du service,
    • impliquant, comme élément nécessaire et essentiel, l’organisation du travail effectué par des particuliers, qu’il soit effectué en ligne ou dans un lieu déterminé.

 

Ce texte vise à garantir que les personnes exécutant un travail via une plateforme de travail numérique « se voient accorder le statut professionnel juridique correspondant à leurs modalités de travail réelles ».

 

A cette fin, il établit une liste de cinq critères permettant de déterminer si la plateforme est un employeur. Ces critères sont les suivants :

 

    • détermination du niveau de rémunération ou fixation de plafonds par la plateforme ;
    • supervision de l’exécution du travail par voie électronique ;
    • limitation de la liberté de choisir son horaire de travail ou ses absences, d’accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou des remplaçants ;
    • fixation de règles impératives spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail ;
    • limitation de la possibilité de la personne de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.

 

Lorsque deux de ces critères au moins seront réunis, la plateforme sera alors présumée être l’employeur du travailleur qui bénéficiera, en conséquence, des droits qui découlent du statut de salarié en matière de droit du travail.

 

Il convient de souligner que cette présomption pourra être renversée par la plateforme en rapportant la preuve que la relation contractuelle n’est pas régie par un contrat de travail.

 

La proposition de directive instaure également une obligation d’information en prévoyant que les plateformes doivent tenir à la disposition des autorités nationales les informations essentielles concernant leurs activités et les personnes qui exercent leur activité par leur intermédiaire.

Ce texte doit désormais être examiné par le Parlement européen et le Conseil, étant précisé qu’en cas d’adoption de celui-ci, les Etats membres disposeraient alors d’un délai de deux ans, à compter de cette date, pour la transposer dans leur droit national.

 

(1) Article L. 7341-1 du Code du travail.
(2) Cass. Soc. 28 novembre 2018, n°17-20079 et Cass. Soc. 4 mars 2020, n°19-13316
(3) CA Lyon, 15 février 2021, n° 19/08056.
(4) Article L. 7342-1 du Code du travail.
(5) Articles L.7342-2 à L. 7342-4 du Code du travail.
(6) Article L. 7342-6 du Code du travail.
(7) Circ. Intermin. DGT/RT1/DGEFP/SDPFC/DSS/2C/2017/256 du 8 juin 2017
(8) Article L. 7342-9 du Code du travail.
(9) Article L. 7343-7 du Code du travail.
(10) Article L. 7343-17 du Code du travail.

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