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Transfert d’entreprise : étendue des obligations et responsabilités du repreneur en matière de discrimination

Transfert d’entreprise : étendue des obligations et responsabilités du repreneur en matière de discrimination

Dans un arrêt du 20 décembre 2023 (n°22-12.381), la Cour de cassation tente de réaliser un équilibre délicat entre obligation et responsabilité du repreneur dans le contexte d’une discrimination dont l’origine serait antérieure au transfert de l’activité à son profit.

 

Un salarié, embauché en 1995 en qualité d’employé polyvalent d’une station-service, a exercé divers mandats électifs et syndicaux. Son contrat de travail a été transféré, en application de l’article L.1224-1 du Code du travail, à compter du 1er juillet 2002 auprès d’une autre société.

 

Considérant qu’il avait subi une discrimination syndicale en raison d’un «blocage de carrière» concomitant à l’exercice de ses activités syndicales et représentatives, il a saisi la juridiction prud’homale d’une action dirigée contre son nouvel employeur et a sollicité le versement de dommages et intérêts.

 

Avant de rejeter les demandes du salarié, la Cour de cassation prend soin de clarifier l’étendue des obligations du repreneur face à une telle demande.

 

Obligation pour le repreneur de vérifier que le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination en matière de rémunération est respecté

 

Dans cet arrêt, la Cour de cassation pose le principe suivant :

 

«le nouvel employeur est tenu, en cas de transfert en application des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail, de vérifier que le principe d’égalité de traitement en matière de rémunération ou de non-discrimination en raison des activités syndicales du salarié transféré est respecté, au regard de la situation des salariés exerçant un travail égal ou de valeur égale, en tenant compte de l’ancienneté acquise au titre du même contrat de travail auprès des précédents employeurs du salarié transféré, et, le cas échéant, d’accorder à ce salarié un indice de rémunération supérieur à celui dont il bénéficiait avant le transfert de son contrat de travail».

 

Rappelons tout d’abord qu’en application de l’article L.1224-2 du Code du travail, visé dans cet arrêt, le nouvel employeur est, sauf exceptions, tenu à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date du transfert.

 

Cela signifie notamment que le salarié peut agir contre son nouvel employeur, quand bien même sa créance se rapporterait à une période antérieure au transfert. Lorsque le nouvel employeur s’est acquitté de telles sommes, il peut initier une action contre l’ancien employeur pour obtenir le remboursement.

 

L’arrêt ici commenté va un peu plus loin et impose au nouvel employeur une double obligation :

 

    • d’abord, de vérifier que les salariés transférés placés dans une situation comparable, en tenant compte de l’ancienneté acquise chez l’employeur précédent, sont traités de façon égale en matière de rémunération et en dehors de toute discrimination ;
    • puis, s’il y a lieu, de faire cesser pour l’avenir l’inégalité de traitement ou la discrimination relevée en octroyant au(x) salarié(s) transféré(s) une rémunération supérieure.

 

Notons enfin que si les faits de l’espèce portaient sur une discrimination et une inégalité de traitement fondées, selon le salarié, sur ses activités syndicales et représentatives, l’on ne peut exclure que le principe ainsi dégagé soit à l’avenir appliqué de façon plus large à d’autres sources de discriminations ou inégalités de traitement, dès lors qu’elles entraînent des conséquences sur la rémunération du salarié.

 

Obligation limitée cependant aux salariés placés dans une situation comparable au jour du transfert

 

Pour autant, la Cour de cassation précise que «l’existence d’une discrimination quant aux conditions de l’évolution de carrière du salarié transféré chez ses précédents employeurs ne saurait être présumée».

 

Ainsi, l’obligation mise à la charge du nouvel employeur rappelée ci-dessus ne fait pas présumer l’existence d’une différence de traitement ou d’une discrimination, qui doit être prouvée.

 

En la matière, la charge de la preuve est aménagée puisque le Code du travail (C. trav., art. L.1134-1) organise son partage entre :

 

    • d’une part, le salarié qui doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ;
    • d’autre part, l’employeur qui doit justifier que la disparité constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

 

Lorsque les griefs portent sur un retard de carrière, la révélation d’une discrimination ou d’une inégalité salariale (ou la démonstration de son inexistence) suppose généralement de comparer la situation du salarié par rapport à celle de ses homologues placés dans une situation comparable.

 

C’est, en l’espèce, l’exercice auquel le salarié s’est prêté.

 

En effet, il a eu recours à la méthode du panel mettant selon lui en évidence une évolution de carrière et de rémunération plus lente par rapport à celle d’autres collaborateurs non syndiqués.

 

Les modalités de constitution de ce panel étaient alors débattues :

 

⇒ le salarié considérait que sa situation devait être comparée avec des salariés qui, engagés à la même époque que lui et à un même niveau de qualification, ont évolué plus rapidement, peu important l’existence d’un transfert d’entreprise ;

 

⇒ pour sa part, le repreneur faisait valoir qu’il ne pouvait être tenu pour responsable des évolutions de carrière et de rémunérations des collaborateurs intervenues antérieurement au transfert, de sorte que le panel de comparaison devait se limiter à la situation des salariés qui, au jour du transfert, étaient dans une situation comparable à celle du salarié demandeur.

 

C’est le panel constitué par l’employeur qui a été retenu par la Cour de cassation comme probant.

 

Celle-ci décide en effet que devait être écarté le panel de comparaison produit par le salarié sur lequel figuraient des salariés qui, au jour du transfert, étaient déjà managers au statut cadre ou agents de maitrise chez leur ancien employeur, tandis que le salarié était employé de station-service.

 

Au contraire, elle a retenu le panel établi par l’employeur qui comparait la situation de salariés ayant une ancienneté remontant à 1995 comme le salarié et qui bénéficiaient, au jour du transfert, du statut d’employé. Ce dernier panel ne révélant pas que le salarié demandeur était moins bien classé que d’autres salariés non syndiqués mais qu’au contraire, son évolution de carrière était identique à ces derniers, le salarié ne rapportait pas d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale. Par suite, son pourvoi a été rejeté.

 

Ce n’est donc qu’au jour du transfert que le repreneur doit s’assurer que, parmi les salariés transférés, ceux placés dans une situation comparable perçoivent une rémunération similaire compte tenu de leur ancienneté totale.

 

Il n’est en revanche pas tenu de s’interroger sur une éventuelle discrimination ou inégalité de traitement que les salariés transférés auraient pu subir antérieurement au transfert, à une époque où il n’était pas leur employeur.

 

Une telle solution, qui a le mérite d’être nuancée, révèle un certain pragmatisme de la Cour de cassation qui, notamment, ne fait pas supporter au nouvel employeur la charge d’une preuve qu’il n’a pas les moyens d’établir.

 

A titre de prudence, l’on ne peut que recommander au repreneur, en amont de la réalisation d’une opération de transfert, d’organiser un audit et de solliciter l’ensemble des documents lui permettant d’analyser la situation des salariés au jour du transfert afin de déterminer s’il pourrait être susceptible de corriger une éventuelle discrimination ou inégalité de traitement subie par les salariés du cédant.

 

AUTEURS

Emilie Bourguignon, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

Camille Mathelin, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats