Entreprises en difficulté : L’application des critères d’ordre des licenciements économiques dans le cadre des procédures collectives
15 décembre 2020
Le droit des entreprises en difficulté obéit à un régime juridique propre fixé par le Code de commerce. Il déroge à plusieurs dispositions de droit commun du travail applicables en matière de licenciement pour motif économique dans une section spécifique du Code du travail qui lui est consacré (1). Les règles applicables varient en outre selon la procédure collective dont il s’agit (sauvegarde, redressement liquidation judiciaire, etc.) et du stade auquel les mesures sont mises en œuvre (période d’observation, plan de redressement, plan de cession, etc.).
En pratique, l’ouverture d’une procédure collective conduit, dans la majeure partie des cas, à la mise en œuvre de licenciements pour motif économique. Lorsque cela est le cas, le chef d’entreprise, l’administrateur ou le liquidateur judiciaire a déjà dressé la liste des salariés qu’il envisage de licencier de ce fait.
Pour autant, lorsque des licenciements pour motif économique doivent être prononcés et qu’un choix s’impose, le chef d’entreprise, l’administrateur ou le liquidateur judiciaire, selon le cas, n’est pas libre de déterminer les salariés visés par la mesure et devra définir et mettre en œuvre l’ordre des licenciements, dans les mêmes conditions que pour une entreprise « in bonis ».
Les licenciements économiques dans le cadre des procédures collectives
Il est possible de prononcer des licenciements pour motif économique aux différents stades d’une procédure collective. Les règles diffèrent toutefois selon la période en cause :
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- en procédure de sauvegarde : la société est considérée comme n’étant pas en état de cessation des paiements. Après le jugement du Tribunal de commerce arrêtant le plan de sauvegarde, la procédure de droit commun des licenciements économiques s’applique. La procédure est conduite par le chef d’entreprise qui demeure titulaire de l’ensemble des prérogatives d’administration et de gestion de l’entreprise, même s’il peut être assisté par un administrateur judiciaire.
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- en procédure de redressement judiciaire, deux périodes sont à distinguer :
– pendant la période d’observation : seuls les licenciements économiques présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable, peuvent être autorisés par le juge commissaire, saisi d’une demande en ce sens par l’administrateur judiciaire. L’ordonnance du juge commissaire indique le nombre des salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées. Il ne lui appartient en revanche pas de fixer la liste nominative des salariés à licencier ;
– à l’issue de la période d’observation :
- en cas d’adoption d’un plan de redressement : le plan adopté par le Tribunal de commerce comporte un volet social prévoyant le nombre de licenciements économiques autorisés et les catégories professionnelles concernées. L’administrateur judiciaire est ensuite chargé de leur mise en œuvre ;
- en cas d’adoption d’un plan de cession totale ou partielle de l’entreprise : le plan de cession adopté par le Tribunal de commerce peut autoriser expressément des licenciements économiques pour faciliter la reprise. Le jugement arrêtant le plan indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées. En revanche, il ne peut pas fixer la liste nominative des salariés. Seuls les salariés, dont les postes de travail ont été listés dans l’offre de reprise et dès lors qui ne sont pas licenciés sont transférés au repreneur choisi par le Tribunal en application de l’article L.1224-1 du Code du travail.
- en procédure de liquidation judiciaire, le liquidateur doit mettre en œuvre les licenciements économiques en application de la décision ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire. Si un plan de cession est adopté, le jugement l’arrêtant indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées. En revanche, il ne peut pas fixer la liste nominative des salariés.
Quel que soit la procédure collective en cause et son stade, celle-ci peut requérir la mise en œuvre de l’ordre des licenciements lorsqu’un choix doit être opéré parmi les salariés en poste.
Présentation des critères d’ordre des licenciements
L’ordre des licenciements a vocation à s’appliquer chaque fois qu’un licenciement pour motif économique est envisagé qu’il s’agisse d’un licenciement individuel ou d’un licenciement collectif, et qu’un choix doit être opéré parmi les salariés. Il s’applique dans les mêmes conditions au sein d’une entreprise in bonis ou d’une entreprise en difficulté.
Le licenciement pour motif économique étant une mesure non inhérente à la personne du salarié, la décision de l’employeur doit être fondée sur des éléments objectifs étrangers à la situation individuelle du salarié. Le départage entre les salariés requiert donc la mise en œuvre de critères d’ordre des licenciements.
Les critères d’ordre des licenciements sont définis par accord collectif de travail. En l’absence de dispositions conventionnelles applicables, l’employeur ou l’administrateur judiciaire définit lui-même les critères retenus pour l’ordre des licenciements, à l’occasion de chaque procédure, en prenant impérativement en compte l’ensemble des critères légaux (2), à savoir :
- les charges de famille, en particulier, celles des parents isolés ;
- l’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
- la situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celles des personnes handicapées et des salariés âgés ;
- les qualités professionnelles appréciées par catégorie et qui doivent être fondées sur des critères objectifs (à titre d’exemples : compétences spécifiques, polyvalence, compétences opérationnelles (maîtrise de langues étrangères, d’outils professionnels, etc.), prise en compte du dossier disciplinaire, assiduité, etc.).
Les indicateurs permettant de mesurer les qualités professionnelles des salariés peuvent s’avérer complexes à identifier et à mettre en œuvre, notamment lorsque le chef d’entreprise, l’administrateur ou le liquidateur judiciaire, selon le cas, ne dispose pas d’éléments de mesure.
Ainsi, lorsqu’une procédure d’évaluation existe dans l’entreprise, il semble nécessaire de s’y référer. C’est en effet ce qu’a pu juger le Conseil d’Etat dans deux arrêts rendus le 22 mai 2019, en décidant que « si en l’absence de tout système d’évaluation dans l’entreprise, (…) l’indicateur tiré du montant des primes d’assiduités versées par l’entreprise prenant en compte les motifs légaux d’absence est valable, tel n’est pas le cas, en revanche, de la prise en compte du nombre d’absences injustifiées dès lors qu’il existe dans l’entreprise une procédure d’évaluation des salariés » (3).
Il est en outre possible d’ajouter des critères supplémentaires aux critères légaux. Tout critère discriminatoire (tels que les critères fondés sur l’origine ethnique ou en considération du sexe, etc.) est en revanche interdit.
Le Comité Social et Economique (CSE) doit être informé et consulté préalablement sur les critères d’ordre des licenciements.
Mise en œuvre de l’ordre des licenciements
Pondération des critères
Lorsque les critères d’ordre des licenciements sont établis, l’employeur, l’administrateur ou le liquidateur judiciaire selon le cas, doit tous les mettre en œuvre. Pour autant, il est possible de privilégier, un ou plusieurs critères (notamment les qualités professionnelles, etc.). Il définit la notation accordée à chacun des critères par l’attribution d’un nombre de points par critère avec la possibilité de retenir des tranches notamment pour l’ancienneté, ou pour le nombre de personnes à charge.
L’application de tous les critères et du nombre total de points obtenus par chaque salarié permet ensuite de déterminer les salariés qui feront l’objet de la mesure de licenciement.
Il n’est en revanche pas possible, d’omettre l’un des critères ni de neutraliser certains d’entre eux notamment en attribuant une note identique à tous les salariés (4), sauf s’il est établi de manière certaine, dès l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), que, du fait de la situation particulière de l’entreprise et au vu de l’ensemble des personnes susceptibles d’être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour la détermination en question ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l’ordre des licenciements (5).
Toutefois, et sur ce dernier point, il sera rappelé que, dans l’arrêt précité ayant donné lieu à cette précision, l’administrateur judiciaire avait signalé dès l’origine ne disposer ni de fiches de postes ni d’évaluations antérieures des salariés.
Cette situation n’ayant pas été jugée comme démontrant une impossibilité matérielle de prendre en compte le critère des qualités professionnelles, l’hypothèse d’une neutralisation licite de ce critère ne peut être appliquée que de manière très exceptionnelle.
Périmètre géographique d’application
Le périmètre géographique d’application de l’ordre des licenciements peut être défini par accord collectif. En l’absence de disposition conventionnelle, il est défini par le chef d’entreprise, l’administrateur ou le liquidateur judiciaire selon les cas, et ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emplois.
Les catégories professionnelles – enjeu majeur dans la mise en œuvre de l’ordre des licenciements
L’ordre des licenciements s’applique à tous les salariés appartenant aux catégories professionnelles concernées par le projet de licenciement. La combinaison des catégories professionnelles et des critères d’ordre permet de passer de la liste des postes supprimés à la liste des salariés licenciés.
La définition des catégories professionnelles revêt donc une importance stratégique dans la mise en œuvre des procédures de licenciement en particulier dans le cadre des entreprises en difficultés, et doit donc être arrêtée avec précision.
La catégorie professionnelle vise l’ensemble des salariés au sein d’une entreprise qui exercent des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune en prenant en compte les acquis de l’expérience professionnelle qui excédent l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur (6).
La notion de catégorie professionnelle ne peut toutefois pas se réduire à un emploi déterminé.
Au regard des enjeux entourant la définition des catégories professionnelles, le juge judiciaire ou administratif opère un contrôle de leur bonne définition et application, que l’entreprise soit in bonis ou qu’elle fasse l’objet d’une procédure collective. C’est ainsi que dans un arrêt du 22 mai 2019 (7), le Conseil d’Etat a considéré que les catégories professionnelles d’un licenciement économique mentionnées dans l’ordonnance du juge commissaire pouvaient être contestées judiciairement sans que ne puisse être opposée à l’ordonnance du juge commissaire l’autorité de la chose jugée.
Un soin particulier doit donc être apporté à la définition des catégories professionnelles pour l’application des critères d’ordre des licenciements que l’entreprise soit in bonis ou en difficulté. En effet, le droit des entreprises en difficulté ne prévoit pas de dispositions dérogatoires du droit commun en matière d’ordre des licenciements et ce alors même que le contexte spécifique lié aux difficultés rencontrées, à l’urgence de la situation et à la recherche d’un repreneur aurait pu apparaitre comme nécessitant un aménagement des règles applicables.
(1) C. trav. Arts L.1233-58 à L.1233-60-1
(2) C. trav. Art. L.1233-5
(3) CE, 22 mai 2019, n°413342 ; CE, 22 mai 2019, n°418090
(4) CE, 1er février 2017, n°387886 ; Cass. Soc., 26 février 2020, n°17-18136, n°17-18137, n°17-18139 jugés à propos de licenciements économiques prononcés dans le cadre d’un redressement judiciaire avec un plan autorisant le licenciement de 39 personnes
(5) CE, 1er février 2017, n°387886 précité
(6) CE, 7 février 2018, n°403001, n°407718
(7) CE, 22 mai 2019, n°407401
Article publié dans Les Echos Executives le 15/12/2020
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