Infractions routières et véhicule de fonction : la fin de l’impunité

21 décembre 2016
La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle met fin à la protection de fait dont bénéficiaient les conducteurs salariés en infraction. Ainsi, à compter du 1er janvier 2017, l’employeur devra révéler l’identité du salarié ayant commis une infraction avec un véhicule de l’entreprise.
Ces dispositions interviennent dans un contexte de répression croissante des infractions routières que justifient la hausse de la mortalité routière et sa place prépondérante dans les accidents du travail. Ainsi et selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, les accidents de trajet représentent le premier risque mortel d’accidents du travail (en 2015, « 14% des usagers tués le sont lors d’un trajet lié au travail » – soit 483 personnes).
La protection de fait du titulaire de la carte grise
L’impunité dont bénéficiaient jusqu’à présent les conducteurs irrespectueux du Code de la route tenait à ce que la responsabilité de certaines infractions incombait au titulaire de la carte grise du véhicule. Ainsi et jusqu’alors, lorsqu’une telle infraction était commise par un salarié avec un véhicule appartenant à la Société, l’employeur disposait de plusieurs possibilités à la suite de la réception de l’avis de contravention : régler l’amende sans la contester ou, ce qui advenait beaucoup plus rarement en pratique, renvoyer cet avis en précisant l’identité du salarié présumé conduire le véhicule au moment où l’infraction routière a été constatée. L’employeur pouvait également contester l’amende sans pour autant indiquer l’identité du salarié en question.
Cet éventail de choix conduisait en pratique à ce que les salariés ne soient que rarement atteints par les sanctions afférentes à leur conduite potentiellement dangereuse pour eux-mêmes comme pour les tiers, sauf naturellement à être directement interpellés par les agents de contrôles.
L’obligation pour l’employeur de dénoncer l’auteur de l’infraction routière à compter du 1er janvier 2017
Face à ce constat, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a créé l’article L.121-6 du Code de la route qui impose à l’employeur, à compter du 1er janvier 2017 (et sous réserve d’un arrêté à intervenir), de dénoncer le salarié auteur de l’infraction.
Cette mesure concernera les infractions constatées par « des appareils de contrôle automatique ayant fait l’objet d’une homologation » et ayant été commises avec un véhicule appartenant à une personne morale. L’obligation d’indiquer l’identité de l’auteur de l’infraction pèsera sur le représentant de la personne morale.
Ainsi, à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, l’employeur –le représentant légal de la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule concerné– devra indiquer par lettre recommandée avec avis de réception ou de façon dématérialisée, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule dans un délai de 45 jours.
L’employeur ne procédant pas à cette obligation s’exposera au paiement d’une amende prévue pour les contraventions de quatrième classe, soit 750 euros.
Des cas d’exonération très limités
La loi ne prévoit que trois cas d’exonération : « l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre évènement de force majeure ».
Si les deux premiers cas ne soulèvent pas de difficulté particulière d’interprétation, il pourra en aller différemment du troisième qui sera certainement invoqué par des employeurs pour s’exonérer de leur obligation. Rappelons cependant que la force majeure implique un caractère irrésistible, imprévisible, et extérieur, ce qui devrait la réserver à des cas exceptionnels. Il semble qu’il sera en particulier difficile d’invoquer ce motif en raison de l’utilisation d’un même véhicule par plusieurs salariés dès lors qu’il revient à l’employeur de mettre en place des dispositifs permettant de contrôler l’utilisation de ces véhicules (sauf bien entendu à ce qu’un salarié se soit délibérément soustrait à l’un de ces dispositifs).
Une obligation de dénonciation qui participe de l’obligation de sécurité
Si elle concourt à la politique de la prévention routière, cette nouvelle mesure relève également de l’obligation de sécurité et de prévention des risques à l’égard de ses salariés. Ainsi l’employeur doit-il tout mettre en œuvre pour assurer la santé et la sécurité des salariés, afin notamment, que ces derniers puissent se déplacer et travailler en sécurité (Cass. Crim. 24 octobre 2000, n°00-80.378). Il se doit donc d’être vigilant en matière de sécurité concernant le trajet de ses salariés, en plus de se retrouver exposé à l’indemnisation du salarié ou de ses ayants droits en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable, sa responsabilité pénale peut être engagée.
L’employeur peut donc se retrouver sanctionné sur le fondement des dispositions du Code du travail mais également de celles du Code de la route (incitation par l’employeur à commettre des excès de vitesse, à dépasser le temps de conduite ou le poids maximal – articles R121-1 à R121-4 du Code du travail).
Si le procédé de la dénonciation –qui participe d’une exigence croissante de transparence pesant sur les employeurs- peut interpeller, ses vertus paraissent en l’occurrence difficilement pouvoir être contestées. Les employeurs ne pouvaient en effet pas rester beaucoup plus longtemps complices tacites des comportements dangereux de certains salariés sur la route, sauf à méconnaître leurs propres obligations à l’égard de ces derniers.
Auteur
Pierre Bonneau, avocat associé en droit social
Infractions routières et véhicule de fonction : la fin de l’impunité – Article paru dans Les Echos Business le 21 décembre 2016
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