La clause dite de conscience : outil de sécurisation des dirigeants d’entreprises familiales

30 décembre 2024
Dans les entreprises familiales, la qualité même des personnes qui les dirigent ou les détiennent peut constituer une condition essentielle de l’engagement de membres de l’équipe de direction.
Il n’est ainsi pas inhabituel de voir des dirigeants acceptant de rejoindre une entreprise familiale solliciter une garantie contractuelle afin de bénéficier d’une protection spécifique en cas de changement d’actionnariat ou de management de ces entreprises compte tenu, parfois, de leur forte singularité.
La première de ces garanties peut être, relativement classiquement, une clause dite «parachute» assurant au dirigeant le bénéfice d’une indemnité au montant prédéterminé au cas où le nouvel actionnaire ou les nouveaux dirigeants décideraient de mettre fin à ses fonctions.
Un second type de disposition peut consister à accorder le droit au dirigeant de solliciter la rupture de son contrat en cas de cession du groupe et/ou de changement substantiel dans sa gouvernance, avec là encore le versement d’une indemnité au montant prédéterminé.
Une clause admise par la jurisprudence
Si ce type de clause n’est pas précisément encadré par le Code du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que celle-ci devait être justifiée au regard de l’importance des fonctions exercées par le salarié au sein de l’entreprise, de sa place, mais également de la nature de ses activités (1).
Il s’agit ainsi d’un engagement devant être principalement réservé aux cadres de direction ou à des fonctions «clefs».
Cet engagement ne doit en outre pas faire obstacle à la résiliation unilatérale du contrat par l’une ou l’autre des parties : l’employeur ou le salarié ne peuvent renoncer par avance à l’application du droit commun de la rupture du contrat de travail et donc être entravés dans leur liberté de le résilier (2).
Enfin, la rédaction de la clause doit veiller à éviter tout départ qui pourrait être qualifié d’abusif, et donc éviter une trop grande imprécision du cas de déclenchement. Il en résulte la nécessité de définir et d’objectiver très précisément l’événement susceptible de causer la rupture et les conditions de mise en œuvre de la clause.
La nécessité de définir précisément les cas de déclenchement et de mise en œuvre
Il est d’abord envisageable, dans le contrat de travail ou par avenant à celui-ci, de prévoir les conditions de la rupture à l’initiative de l’employeur par la voie du licenciement suite à une demande expresse du salarié.
Cette première solution n’est cependant pas pleinement satisfaisante dans la mesure où elle ne permet pas de sécuriser par avance le motif du licenciement et, partant, d’éteindre à l’avance tout litige résultant de la rupture du contrat.
C’est la raison pour laquelle semble préférable une seconde solution qui consiste dans l’engagement de l’employeur à consentir, à certaines conditions, une rupture conventionnelle. Une telle clause peut alors prévoir le montant de l’indemnité spécifique à verser lors de la rupture, lequel ne peut être inférieur au montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, ainsi que, s’il y a lieu, la durée de cet engagement.
Certes cette solution semble méconnaitre le droit de rétractation inhérent à la rupture conventionnelle qui est reconnu aux deux parties mais que le principe de la bonne foi contractuelle pourrait commander à l’employeur, dans ce cas précis, de ne pas exercer.
Il apparait donc au vu de ces développements que les groupes familiaux peuvent mobiliser ce type d’engagement pour attirer des talents qui auraient besoin d’être rassurés quant aux conséquences de l’évolution du capital de l’entreprise sur leur propre situation.
AUTEUR
Pierre Bonneau, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cass. soc., 26 janv. 2011, n°09-71.271 et 10 avr. 2013 précité.
(2) Article L.1231-4 Code du travail.
Cet article a été publié dans La lettre des FUSIONS-ACQUISITIONS ET DU PRIVATE EQUITY du 16 décembre 2024 Dossier : Acquérir, céder ou conserver une entreprise familiale
Related Posts
Entretien d’évaluation : les règles essentielles à respecter... 5 février 2015 | CMS FL

Révocation de mandat social et licenciement : les liaisons dangereuses... 29 septembre 2023 | Pascaline Neymond

Avantages et inconvénients de la rupture conventionnelle collective... 18 juillet 2018 | CMS FL

Le risque pénal dans les opérations de fusion-acquisition (2) – Les dél... 19 octobre 2021 | Pascaline Neymond

La mise à disposition de personnel intragroupe... 1 juillet 2015 | CMS FL

Comment sécuriser ses forfaits jours ?... 12 novembre 2013 | CMS FL
Infractions routières et véhicule de fonction : la fin de l’impunité... 21 décembre 2016 | CMS FL

Burn-out : vers un encadrement juridique ?... 23 mai 2016 | CMS FL

Articles récents
- Transposition de la directive : la transparence des rémunérations dès l’embauche
- Canicule : Nouvelles obligations relatives à la prévention des risques liés à la chaleur au travail
- Ne pas informer son employeur d’une relation intime avec un autre salarié peut justifier un licenciement disciplinaire
- Transparence salariale : la refonte de l’index EgaPro est annoncée
- TVA : véhicules de tourisme mis à disposition des salariés
- Liste des métiers en tension : l’arrêté est publié
- Enquêtes internes : le mode d’emploi de la Défenseure des droits
- Conditions de production d’une preuve illicite ou déloyale : une jurisprudence réaffirmée
- Le déploiement des systèmes d’intelligence artificielle à l’épreuve du droit social
- Aide aux entreprises : l’APLD Rebond succède à l’APLD