La décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024 : le retour d’un nationalisme juridique ?

10 avril 2024
Dans sa décision du 15 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du Code du travail relatives à l’acquisition des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail en raison d’une maladie ou d’un accident. Cette décision invite à la réflexion quant aux limites du contrôle de conventionnalité tel qu’il s’est développé en France.
Les questions posées le 15 novembre 2023 au conseil constitutionnel
Par une décision en date du 15 novembre 2023, la Cour de cassation a renvoyé deux questions au Conseil constitutionnel :
Première question :
«Les articles L.3141-3 et L.3141-5, 5° du Code du travail portent-ils atteinte au droit à la santé et au repos garanti par le 11e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu’ils ont pour effet de priver, à défaut d’accomplissement d’un travail effectif, le salarié en congé pour une maladie d’origine non professionnelle, de tout droit à l’acquisition de congés payés et le salarié en congé pour une maladie d’origine professionnelle, de tout droit à l’acquisition de congé au-delà d’une période d’un an ?»
La Cour de Cassation a, en effet, jugé cette question sérieuse, dans la mesure où, selon l’avocate générale, « les arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et de votre chambre jugent que la finalité des congés annuels est le respect du droit au repos. Pour sa part, le congé maladie répond à une finalité différente, qui est de permettre aux salariés de recouvrer la santé. Dès lors, les dispositions qui privent le salarié en congé pour une maladie non professionnelle de la possibilité d’acquérir un droit au congé annuel, portent atteinte au droit au repos ».
Elle estimait donc que, dès lors que congés payés et congé maladie ont des finalités différentes, les périodes de congé maladie doivent ouvrir droit à un congé annuel.
Deuxième question :
«L’article L.3141-5, 5° du Code du travail, porte-t-il atteinte au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme du citoyen de 1789 et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, en ce qu’il introduit, du point de vue de l’acquisition des droits à congés payés des salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison de la maladie, une distinction selon l’origine professionnelle ou non professionnelle de la maladie, qui est sans rapport direct avec l’objet de la loi qu’il établit ?»
Selon l’avocate générale, «le contrat de travail des salariés en congé maladie est suspendu, quelle que soit la cause de la maladie qui les affecte. À cet égard, ils se trouvent dans une situation identique. L’article L. 3141-5, 5° qui les traite différemment au regard de l’acquisition du droit au congé annuel, ne répond pas à un intérêt général identifié… et la différence de traitement dont les salariés font l’objet n’est pas en rapport direct avec les lois qui ont instauré les congés annuels». Elle estimait donc que cette disposition méconnaît le principe d’égalité de traitement.
La Cour de cassation, en renvoyant ces deux questions, espérait également que le Conseil constitutionnel tirerait les conséquences de ses propres décisions en abrogeant les dispositions législatives contestées. Selon l’avocate générale, « les questions prioritaires de constitutionnalité vous offrent l’opportunité de porter ces mêmes dispositions devant le Conseil constitutionnel afin qu’il examine leur conformité au regard de la Constitution et les censure s’il l’estime nécessaire ».
On ne peut pas, enfin, exclure l’idée que la Cour de cassation ait voulu partager avec le Conseil constitutionnel le poids d’une censure du système français des congés payés qui fait peser sur l’économie une charge considérable.
Vous trouverez, ci-dessous, l’analyse d’Olivier Dutheillet de Lamothe, Avocat associé, responsable de la doctrine du département social, CMS Francis Lefebvre Avocats publiée dans Semaine sociale Lamy du 1er avril 2024 n° 2086.
AUTEUR
Olivier Dutheillet de Lamothe, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre
DOCUMENT A TELECHARGER
Semaine sociale Lamy – 01-04-24 – n° 2086
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