La location-gérance : une opération temporaire, sauf pour les salariés

13 janvier 2023
A l’origine, le recours à la location-gérance était bien souvent un choix d’ordre pratique ou spéculatif. Mais quelle que soit la motivation première des opérateurs économiques, le caractère temporaire de cette opération a toujours été un élément déterminant.
Location-gérance, définition et enjeux juridiques
Pour mettre fin à certains abus dans le recours à la location-gérance, les juges et le législateur français sont intervenus. Le régime de cette «gérance libre» est aujourd’hui d’ordre public et régi par les articles L.144-1 et suivants du Code de commerce.
La location-gérance se définit comme la convention par laquelle le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls.
Elle se traduit par le transfert de la jouissance d’un fonds de commerce par le bailleur au locataire-gérant moyennant le paiement d’une redevance qu’il revient aux parties de définir avec précision.
Ce transfert peut être matérialisé par la conclusion d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée mais, en tout état de cause, le fonds loué doit être restitué dans son intégralité au bailleur à la fin de la location-gérance.
D’un point de vue purement juridique, le transfert ainsi opéré a donc vocation à n’être que temporaire et le locataire-gérant doit rendre au bailleur, moyennant une éventuelle indemnisation prévue contractuellement en cas d’améliorations ou de dégradations du fonds, tous les éléments qui composaient le fonds au moment de la conclusion de la location-gérance.
Les conséquences de la location-gérance en droit social
Du point de vue du droit social, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’opération emporte le transfert automatique des contrats de travail des salariés affectés à l’activité (i) lors de la mise en location-gérance, (ii) en cas de succession de locataires-gérants et ce même en l’absence de lien de droit entre eux, et (iii) à la reprise par le propriétaire du fonds, au jour de l’expiration ou de la résiliation du contrat de location-gérance.
Dans cette dernière hypothèse, le transfert des contrats de travail s’opère si l’activité est maintenue et que le fonds de commerce est toujours exploitable au jour de la résiliation ou de l’expiration du contrat de location-gérance.
En effet, la Chambre sociale considère que la mise en location-gérance constitue à la fois un transfert d’entité économique autonome emportant la poursuite de l’ensemble des contrats de travail affectés au fonds loué et un changement d’employeur.
Dans ce cadre, l’article L.1224-1 du Code du travail garantit aux salariés le maintien de leur contrat de travail (ancienneté, niveau de rémunération), privant notamment le propriétaire du fonds de la faculté de licencier avant l’opération.
Les conséquences en matière de droit du travail ne sont pas non plus neutres pour les salariés sur le plan collectif. En particulier, ces derniers seront soumis au statut collectif du locataire-gérant même s’il s’agit d’une opération par nature temporaire.
Cette situation peut conduire à un changement de convention collective, de même les accords collectifs applicables dans l’entreprise d’origine sont automatiquement mis en cause au jour de la réalisation de l’opération.
Concrètement, les salariés transférés sont susceptibles d’être soumis à une nouvelle organisation du temps de travail, à un autre régime de mutuelle, ou de prévoyance, tels qu’en vigueur chez le locataire-gérant.
Même si l’opération s’inscrit dans un cadre contractuel temporaire, les conséquences sociales du changement d’employeur sont similaires à celles d’un transfert d’activité de droit commun et imposent au locataire-gérant de négocier le statut collectif applicable pour éviter, au-delà de la période de survie des dispositions conventionnelles de la société d’origine, le paiement d’une garantie de rémunération pour les salariés transférés.
Au regard du droit social, l’opération doit donc être anticipée à l’instar d’un transfert d’activité avec un audit précis du statut collectif applicable aux salariés du propriétaire du fonds.
Maïté OLLIVIER, Avocat associé ET Aliénor FEVRE, Avocat counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats
Article publié dans La lettre des FUSIONS-ACQUISITIONS ET DU PRIVATE EQUITY Supplément du numéro 1682-1683 du 12 décembre 2022
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