Le licenciement d’un salarié victime de harcèlement est-il toujours nul ?

30 juin 2025
Lorsqu’un salarié est victime de harcèlement moral au travail, son licenciement peut être frappé de nullité. Cette protection juridique essentielle permet de réparer un double préjudice : celui de la souffrance vécue au travail et celui de l’illicéité du licenciement.
Ces deux causes de préjudices doivent donner lieu à réparation. Ainsi, la loi sanctionne par la nullité la rupture du contrat de travail du salarié licencié pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral. Le salarié peut également prétendre à des dommages-intérêts pour réparer le préjudice qu’il a subi du fait des agissements de harcèlement moral dont il a été victime.
Dans le cadre du contentieux relatif au harcèlement moral, il convient donc de distinguer la reconnaissance de l’existence de ces agissements, qui permet au salarié d’obtenir des dommages-intérêts, de la reconnaissance de ce que le licenciement est fondé sur le harcèlement, qui seule a pour effet d’entraîner la nullité de celui-ci.
Récemment, la Cour de cassation a par deux fois confirmé la nécessité que le licenciement soit fondé sur les faits de harcèlement subis par le salarié pour que sa nullité puisse être prononcée (Cass. soc., 9 avril 2025, n°24-11.421, Cass. soc., 6 mai 2025, n°23-22.588).
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La nullité du licenciement fondée sur des faits de harcèlement ou la dénonciation de tels faits
Aux termes de l’article L.1152-1 du Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». De nombreux comportements peuvent être constitutifs d’actes de harcèlement moral, quelle que soit l’intention de leur auteur ; les salariés personnellement et directement victimes des conséquences de tels agissements peuvent obtenir réparation de leur préjudice.
A cet égard, la charge de la preuve favorise le salarié alléguant qu’il subit de tels actes. En effet, aux termes de l’article L. 1154-1 du Code du travail, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Dans le cadre d’un contentieux portant sur la contestation du licenciement d’un salarié, la reconnaissance d’une situation de harcèlement moral rime souvent avec la nullité du licenciement.
En effet, aux termes de l’article L.1152-2 du Code du travail, « aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L.1121-2 ».
Il en résulte qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ou pour avoir relaté ou témoigné de tels faits.
L’objectif fondamental de la loi est de prévenir et d’empêcher toute mesure de rétorsion de la part d’un employeur qui, dans un contexte de harcèlement moral, détournerait son pouvoir disciplinaire afin de licencier un salarié au motif, notamment, qu’il a dénoncé de tels agissements.
C’est pourquoi, dans ce cas, la sanction prévue à l’article L.1152-3 est claire : « Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul. »
La Cour de cassation en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement moral emporte à lui seul la nullité du licenciement (Cass. soc., 7 février 2012, pourvoi n°10-18.035 ; Cass. soc., 10 juin 2015, n°13-25.554)
Le juge peut alors prononcer la nullité du licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral, « même si le salarié n’a pas expressément qualifié les faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation » (Cass. soc., 19 avril 2023, n°21-21.053). La nullité du licenciement prononcé en lien avec des faits de harcèlement moral ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts qui ne peuvent être inférieurs à 6 mois de salaires (C. trav., art. L.1235-3).
Toutefois, l’octroi de dommages-intérêts pour licenciement nul ne fait pas obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour harcèlement moral (Cass. soc., 1er juin 2023, n°21-23.438). Cette seconde demande permet de réparer le préjudice subi du seul fait du harcèlement.
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La validité du licenciement fondé sur un autre motif que le harcèlement
Le harcèlement moral, quand bien même il est avéré, n’emporte pas nécessairement la nullité du licenciement prononcé lorsqu’il peut être établi que la rupture repose sur un autre motif sans lien avec le harcèlement. La Cour de cassation l’a affirmé dans deux affaires récentes.
Dans la première affaire (Cass. soc., 9 avril 2025, n°24-11.421), une directrice d’agence bancaire avait été licenciée pour motif disciplinaire en raison de manquements répétés à la règlementation en matière de lutte contre le blanchiment, de défaut de signalement d’un conflit d’intérêts, ainsi que d’autres manquements aux règlementations internes en vigueur chez son employeur.
Dans la deuxième affaire (Cass. soc., 6 mai 2025, n°23-22.588), une assistante RH avait été licenciée pour faute grave en raison d’un ensemble de manquements aux procédures internes, détaillés dans sa lettre de licenciement. Ayant dénoncé, deux jours après l’envoi de sa lettre de convocation à l’entretien préalable, des faits de harcèlement moral, elle a saisi le juge prud’hommal afin d’obtenir la nullité de son licenciement.
Dans ces deux affaires, les salariées avaient contesté leur licenciement devant le juge prud’homal en alléguant avoir subi des actes de harcèlement moral de la part de leur employeur.
Dans les deux cas, les juridictions d’appel s’étaient bornées à constater l’existence d’un harcèlement moral pour prononcer la nullité du licenciement. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation, qui casse et annule les deux décisions.
La Haute juridiction en profite pour rappeler clairement que la reconnaissance de l’existence d’un harcèlement moral n’emporte pas nécessairement la nullité du licenciement dès lors qu’il n’est pas établi que le salarié a été licencié pour ce motif.
Dans la première espèce, elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu, pour dire le licenciement nul, « que la salariée [a] établi des faits permettant de laisser supposer un harcèlement moral puis que l’employeur n’[a pas] établi que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement et que les dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail s’appliquent, sans caractériser le fait que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral ».
Dans la seconde espèce, la Cour reprend en substance cet attendu mais relève de surcroit que la lettre de licenciement ne mentionnait pas la dénonciation de faits de harcèlement moral. Elle reproche dès lors au juge du fond d’avoir prononcé la nullité du licenciement « alors qu’il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement ne faisait pas mention d’une dénonciation de faits de harcèlement moral, sans caractériser le fait que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral ».
Dans les deux affaires, la Cour de cassation annule donc la décision du juge du fond pour défaut de base légale.
Toutefois, la Cour confirme ces décisions en ce qu’elles avaient allouées aux salariées concernées des dommages-intérêts en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral, distinguant bien ainsi la sanction du harcèlement lui-même de celle du licenciement prononcé.
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In fine, la Cour de cassation ne fait que rappeler une jurisprudence qu’elle avait déjà affirmée quelques années plus tôt (Cass. soc., 14 septembre 2022, n°20-16.858 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n°20-22.504).
Ce rappel n’en est pas moins bienvenu car certains juges du fond tendent à considérer que la caractérisation d’une situation de harcèlement moral suffit, à elle seule, à justifier la nullité du licenciement du salarié.
Et il est d’autant plus important que, depuis l’entrée en vigueur du barème Macron encadrant le montant des dommages-intérêts auxquels les salariés peuvent prétendre en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les salariés sont de plus en plus enclins à invoquer une cause de nullité du licenciement pour « sortir » du barème et tenter d’obtenir une indemnisation plus avantageuse. En effet, en cas de nullité du licenciement, la loi ne fixe qu’un plancher d’indemnisation à hauteur de 6 mois de salaire sans fixer de plafond.
Encore faudra-t-il que l’employeur soit en mesure d’établir qu’un motif réel et sérieux, distinct de l’existence d’un harcèlement, a présidé à sa décision de licencier le salarié. La prudence est donc de mise : si l’employeur échoue à démontrer l’existence d’un tel motif, le juge en conclura nécessairement que le licenciement est en lien avec le harcèlement et en prononcera la nullité.
Auteurs
Béatrice Taillardat-Pietri, Responsable adjointe de la doctrine sociale, CMS Francis Lefebvre AvocatsÂ
Eva Le Bouché, Élève avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
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