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Les recours au fond devant le juge judiciaire

Une entreprise dont la candidature ou l’offre n’a pas été retenue lors d’une consultation lancée par un organisme adjudicateur peut, selon la nature du contrat, saisir le juge administratif ou le juge judiciaire pour contester son éviction. Dans la plupart des cas, le juge administratif est compétent dans la mesure où la soumission au Code des marchés publics emporte qualification administrative du contrat et donc compétence des tribunaux administratifs. Toutefois, les recours à l’encontre des marchés publics qui ont la nature de contrat de droit privé doivent être exercés devant le juge judiciaire. À la différence de ceux exercés devant le juge administratif, les recours exercés devant le juge judiciaire sont moins fréquents et donnent lieu à peu de jurisprudence significative publiée. Ce type de recours laisse donc place à des interrogations, surtout pour les recours directs contre le contrat et les éventuels contentieux indemnitaires. Compte tenu de ces incertitudes et de la longueur des procédures, une entreprise évincée doit privilégier les recours devant le juge des référés. Concernant les contentieux consécutifs à l’annulation d’un acte administratif détachable d’un contrat de droit privé, on peut estimer que la situation est assez proche de celle rencontrée lorsque le contrat est administratif.

Quels sont les contrats susceptibles de faire l’objet d’un recours en nullité devant le juge judiciaire ?

Le juge judiciaire est compétent pour connaître des recours exercés à l’encontre des marchés publics qui ont la nature de contrat de droit privé. À la différence des contrats soumis au Code des marchés publics, qui sont des contrats administratifs par détermination de la loi, les marchés de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 conclus par les organismes adjudicateurs ayant un statut de droit privé (associations du secteur public, organismes de sécurité sociale, sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales…) sont, en principe, des contrats de droit privé. Il en est de même concernant les contrats conclus par les organismes adjudicateurs personnes morales de droit public dès lors que ces contrats ne portent pas sur des travaux publics, ne comportent aucune clause exorbitante du droit commun et ne font pas participer le cocontractant à l’exécution même du service public.

Qui peut exercer un recours en nullité du contrat devant le juge judiciaire ?

Dans la mesure où est en jeu la violation de l’ordre public, il faut admettre que la nullité encourue par un marché public ayant la nature de contrat de droit privé est absolue. En conséquence, toute personne y ayant intérêt a, en principe, le droit de l’invoquer à condition de justifier d’un intérêt réel, direct et légitime. La recevabilité d’une action exercée par un tiers autre qu’un ayant cause ou un créancier d’une partie au contrat pourrait, au moins en théorie, être admise, dans la mesure où ce tiers invoque un droit contraire à celui qui résulte du contrat irrégulier. Dès lors, un candidat évincé, tiers intéressé au contrat, pourrait être recevable à introduire un recours en nullité contre le contrat lui-même, lorsque celui-ci est passé en violation (grave) des règles relatives à la commande publique. Mais en l’absence de jurisprudence publiée en ce sens, la solution n’est pas certaine.

Quel est le délai pour exercer un recours en nullité devant le juge judiciaire ?

En application de l’article 2224 du Code civil, le juge judiciaire peut être saisi d’une action en nullité dans un délai de cinq ans. Le point de départ du délai de l’action en nullité est, pour les tiers, la date à laquelle ils ont connaissance du contrat illicite. Ce délai de cinq ans a, semble-t-il, également vocation à s’appliquer aux recours exercés par les entreprises évincées. En effet, il paraît peu évident que le juge judiciaire transpose le délai de deux mois de l’arrêt Tropic pour introduire un recours, ex nihilo et de façon prétorienne.

Une entreprise évincée peut-elle exercer un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes administratifs détachables d’un contrat de droit privé ?

En l’absence de transposition de la jurisprudence Tropic par le juge judiciaire, les entreprises évincées semblent avoir toujours la possibilité, à la différence de la situation des contrats administratifs, d’exercer un recours contre les actes administratifs détachables d’un contrat de droit privé, et ce même après la signature dudit contrat. Il s’agit du même type d’actes détachables que pour les contrats administratifs (délibération autorisant l’exécutif à signer le contrat, décision de signer détachable « intellectuellement » du contrat…).

Le juge administratif se reconnaît compétent pour statuer sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif détachable d’un contrat de droit privé. Mais encore faut-il que l’acte détachable du contrat de droit privé soit un acte administratif, le recours contre l’acte détachable de nature privée étant irrecevable devant le juge administratif. Or, si toutes les décisions prises par une personne publique dans le cadre d’un service public à caractère administratif sont des actes administratifs, tel n’est pas le cas des actes individuels, lorsque le service est à caractère industriel et commercial.

Quelles sont les conséquences possibles de l’annulation d’un acte administratif détachable sur le contrat de droit privé ?

Lorsqu’un juge de l’excès de pouvoir décide d’annuler un acte administratif détachable d’un contrat de droit privé, il appartient aux requérants de demander au juge d’enjoindre les parties au contrat de saisir le juge judiciaire compétent afin d’en constater la nullité. Toutefois, l’annulation de l’acte détachable ne conduit pas nécessairement à celle du contrat, surtout lorsque le juge du contrat est le juge judiciaire. En effet, quand bien même le juge de l’excès de pouvoir prononcerait, après avoir apprécié la nature de l’acte annulé et le vice dont il est entaché, une injonction de saisir le juge judiciaire d’une action en nullité, il n’est pas certain que le juge judiciaire prononce automatiquement l’annulation du contrat.

Une entreprise évincée peut-elle saisir le juge judiciaire d’un recours indemnitaire ?

Le juge judiciaire peut être saisi par un candidat évincé d’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, dès lors qu’est en cause un comportement de la personne publique adopté dans le cadre de sa « gestion privée ». Il importe donc de savoir si le contrat en cause est passé à l’occasion de la gestion d’un service public industriel et commercial ou de celle d’un service public administratif et ce, peu important que le contrat soit de droit privé ou administratif.

Quelles sont les conditions pour engager la responsabilité de l’organisme adjudicateur ?

Conformément au droit commun de la responsabilité civile, le succès de cette action est subordonné à la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Si la démonstration de la faute et du lien de causalité ne pose pas de difficulté particulière, il en va différemment de la détermination du préjudice, lequel doit en principe être direct et certain.

Quelles sont les indemnités auxquelles peut prétendre une entreprise évincée ?

Une entreprise évincée, si elle devait être indemnisée, aurait probablement droit au remboursement des coûts engagés pour répondre à l’appel d’offres. On peut en revanche s’interroger sur son droit à obtenir tout ou partie du bénéfice escompté. À cette fin, le juge pourrait avoir recours au mécanisme de la perte de chance qui se définit comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». Lorsqu’elle est établie, la perte de chance constitue un préjudice indemnisable, mais le dommage certain se limite à cette perte et ne peut donc égaler la totalité du bénéfice que la victime aurait retiré de la survenance de l’événement empêché.

Ce qu’il faut retenir :

  • Une entreprise évincée de la conclusion d’un marché public qui a la nature de contrat de droit privé peut, en théorie, exercer, dans un délai de cinq ans à compter de la connaissance de la conclusion dudit contrat, un recours en nullité devant le juge judiciaire.
  • Tout tiers intéressé au contrat (et notamment les entreprises évincées) peut exercer devant le juge administratif un recours en excès de pouvoir à l’encontre des actes administratifs détachables du contrat de droit privé. Le juge de l’excès de pouvoir pourra, le cas échéant, enjoindre aux cocontractants de saisir le juge judiciaire compétent afin d’en constater la nullité. L’annulation de l’acte détachable n’entraînera cependant pas automatiquement l’annulation du contrat, qui devrait être prononcée uniquement en cas d’illégalité particulièrement grave.
  • Une entreprise évincée peut également exercer un recours indemnitaire devant le juge judiciaire pour obtenir réparation du préjudice subi en raison d’un comportement fautif de l’organisme adjudicateur adopté dans le cadre de sa « gestion privée ». L’entreprise qui démontre l’existence d’une faute, d’un préjudice (direct et certain) et d’un lien de causalité peut prétendre au remboursement des coûts engagés pour répondre à l’appel d’offres voire, le cas échéant, obtenir une partie du bénéfice escompté.

« Textes et jurisprudence de références » :

  • Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative « aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ».
  • Articles 2224 et 1382 du Code civil.
  • T. confl., 14 février 2000, Commune de Baie-Mahault, n° 03138.
  • CE, 29 avril 1994, GIE « Groupetudebois », n° 91549.
  • Cass., 1re civ., 21 novembre 2006, n° 05-15.674.

 

A propos des auteurs

François Tenailleau, avocat associé. Il intervient en droit public des affaires et notamment en matière de marchés publics et délégations de service public, de partenariats public-privé, de domanialité publique, d’aménagement, d’aides publiques et d’institutions publiques.

Thomas Carenzi, avocat. Il intervient en droit public des affaires et notamment en matière de de marchés publics et délégations de service public, de partenariats public-privé, de domanialité publique, d’aménagement, d’aides publiques et d’institutions publiques.

 

Fiche pratique 4/4 parue dans la revue Le Moniteur des Travaux Publics du 1er février 2013

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