Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Management package : l’amorce d’une convergence des jurisprudences sociale et fiscale ?

Management package : l’amorce d’une convergence des jurisprudences sociale et fiscale ?

En l’absence de cadre législatif complet offrant aux praticiens des management packages des outils sécurisés dans toutes leurs composantes, notamment sociale et fiscale, et adaptés à leurs objectifs de conciliation des intérêts des managers et des actionnaires, c’est à la jurisprudence qu’il revient régulièrement d’en dessiner les contours.

 

Il en va particulièrement ainsi des bons de souscription d’actions (BSA) dont le régime fiscal avait déjà donné lieu à de récentes précisions jurisprudentielles.

 

Ainsi et selon une position désormais bien établie du Conseil d’Etat (1), un gain de cession de BSA réalisé par un dirigeant doit être imposé dans la catégorie des traitements et salaires, lorsqu’il peut être démontré que ce gain a été acquis en contrepartie de ses fonctions de dirigeant et non en sa qualité d’investisseur.

 

En matière sociale, la Cour de cassation avait eu l’occasion de juger, dès 2019 (2), qu’un BSA constitue un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales, lorsqu’il est proposé aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles.

 

L’affaire Alten du 28 septembre 2023 (3) permet à la Cour de cassation d’ajuster et préciser sa jurisprudence antérieure.

 

Si elle choisit de maintenir, s’agissant de la caractérisation de l’avantage, une grille d’analyse assez largement autonome de celle du juge fiscal, elle place le fait générateur des cotisations sociales et la date d’appréciation du gain à la date de cession ou de réalisation du BSA, s’alignant ainsi avec le Conseil d’Etat.

 

Des BSA assortis d’une clause de « leavers »

 

Dans l’affaire soumise à la haute juridiction, la société requérante avait décidé d’émettre des BSA au bénéfice exclusif de sept dirigeants et salariés. Les bons, visés dans la «politique de rémunération des mandataires sociaux», étaient incessibles et assujettis à des clauses dites de «leavers», privant les salariés de leur bénéfice en cas de démission, révocation ou licenciement pour faute lourde.

 

A l’occasion d’un contrôle, l’URSSAF a réintégré dans l’assiette des cotisations sociales, l’intégralité de la plus-value d’acquisition réalisée par chacun des titulaires de BSA.

 

La société a contesté ce redressement, arguant que certains dirigeants avaient quitté la société avant d’exercer leurs bons, bénéficiant ainsi de la plus-value en dehors de toute relation de travail et, à titre subsidiaire, que l’avantage salarial devait être évalué à la date à laquelle les titulaires avaient obtenu la libre disposition des BSA.

 

La confirmation du principe d’assujettissement des BSA aux cotisations sociales

 

Saisie d’un pourvoi formé par la société, la Cour de cassation confirme, dans sa décision du 28 septembre 2023, le considérant énoncé en 2019 dans l’affaire Groupe Lucien Barrière et rappelle que les BSA constituent un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales lorsqu’ils sont : (i) proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et (ii) acquis par les travailleurs à des conditions préférentielles.

 

L’avantage est caractérisé, d’après la Cour de cassation, en présence de deux critères : (i) une relation de travail et (ii) des conditions préférentielles d’attribution.

 

Sur le premier critère, le lien entre le travail et l’octroi de BSA est établi dès lors que la faculté de souscription est corrélée à l’existence d’une relation de travail à la date de souscription, la circonstance que deux des dirigeants ne soient plus dans les effectifs de l’entreprise à la date d’exercice des bons étant sans incidence.

 

Sur le second critère, la Cour de cassation précise que le caractère préférentiel «résulte tant de la qualité de salariés ou de mandataires sociaux des bénéficiaires et de leur nombre limité que des conditions d’émission et de cessibilité des bons, les conditions financières de la souscription n’en constituant qu’un simple indice».

 

Contrairement au Conseil d’Etat qui, depuis ses décisions du 13 juillet 2021, s’attache à apprécier le lien salarial en matière fiscale sur la base d’un faisceau de neuf indices, la Cour de cassation apparait beaucoup plus laconique.

 

On remarquera par ailleurs la volonté de la Cour de cassation d’apprécier l’existence de conditions préférentielles à la date d’attribution des bons, indépendamment des conditions de réalisation du gain.

 

Cette position diverge de celle retenue par le Conseil d’Etat.

 

Si ce dernier admet qu’une plus-value puisse être imposée dans la catégorie des traitements et salaires, c’est à la condition que le gain réalisé trouve essentiellement sa source dans l’exercice des fonctions de salarié du bénéficiaire.

 

La solution retenue peut à l’inverse conduire à assujettir à cotisations sociales un gain exclusivement dû à l’accroissement de valeur d’un titre financier, dès lors qu’au cas d’espèce, certains bénéficiaires avaient quitté la société.

 

La date de cession ou de réalisation des BSA retenue comme fait générateur des cotisations sociales

 

Dans l’affaire Alten, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence de 2019 et juge que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à l’avantage issu d’un BSA doit être placé à la date de cession ou de réalisation des BSA.

 

La Haute juridiction motive ce revirement par les difficultés posées par la décision Barrière au regard, d’une part, de la détermination de la période de libre disposition des bons et, d’autre part, de la soumission d’un avantage théorique et non réel aux cotisations sociales.

 

Cette nouvelle solution, a fortiori pour les outils mis en place depuis 2019, retarde le point de départ de la prescription et augmente très probablement l’assiette des cotisations. On appréciera toutefois, sur ce point, l’alignement des hautes juridictions administratives et judiciaires.

 

Reste cependant que la simple existence de contentieux sur ce sujet illustre l’insécurité juridique dans laquelle évoluent investisseurs et managers qui ont recours à ces dispositifs.

 

Pour éviter de voir régulièrement les juges s’employer à rechercher si le dispositif en cause vise à rémunérer du travail plutôt que du capital, et à quelle date l’avantage doit être alors appréhendé, il serait souhaitable de disposer d’un cadre juridique, social et fiscal pleinement unifié et attractif.

 

(1) CE plén. 13 juillet 2021 n°428506, n°435452 et n°437498.
(2) Cass. 2e civ., 4 avril. 2019, n°17-24470.
(3) Cass. 2e civ, 28 septembre 2023, n°21-20.685.

 

AUTEURS

Pierre Bonneau, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Clémence Darné-Lajoux, Avocate counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

Cet article a été publié dans La lettre des FUSIONS-ACQUISITIONS ET DU PRIVATE EQUITY du 18 décembre 2023

 

Print Friendly, PDF & Email

Commentaires