Vente et don de matériel informatique et de téléphonie mobile aux salariés : le casse-tête du régime juridique

28 février 2020
Les employeurs proposent souvent à leurs salariés de récupérer du matériel informatique ou de téléphonie mobile appartenant à l’entreprise lors du renouvellement de la flotte. Cession à titre gratuit ou à titre onéreux à bas prix, l’allocation de cet avantage aux salariés n’est pas sans risque financier pour l’entreprise, en l’absence de cadre juridique. Explications.
L’origine du casse-tête
A partir du 1er janvier 2008, afin de favoriser l’équipement des ménages en matériel informatique, le législateur avait mis en place un régime fiscal et social d’exonérations en cas de don par l’employeur aux salariés de matériel informatique et de logiciels entièrement amortis.
La loi de financement de la sécurité sociale n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 a mis fin à ce régime à compter du 1er janvier 2019, sans dispositif de remplacement. Le régime applicable à ce type de don est donc désormais incertain, tout comme l’est aussi la cession.
Les règles relatives à l’utilisation à titre privé d’outils de nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) mis à la disposition des salariés pour un usage professionnel ne sont pas applicables à la cession ou au don de matériel informatique à des fins purement personnelles.
A défaut de cadre juridique, il convient de s’en remettre aux règles de droit commun, c’est-à-dire, à celles prévues en matière d’avantage en nature.
Les dispositions relatives aux réductions tarifaires accordées aux salariés par des entreprises productrices d’outils NTIC, non exposées ci-après, demeurent en vigueur.
L’épineuse question de l’évaluation de l’avantage en nature
En l’absence de dispositions spéciales sur l’évaluation, les règles de droit commun s’appliquent. L’application des règles relatives aux avantages en nature conduit à une situation défavorable puisqu’en matière de don, le coût de l’avantage alloué aux salariés est entièrement soumis à charges sociales ainsi qu’à l’impôt sur le revenu.
En cas de cession, des charges sociales peuvent également être dues dès lors que le prix de vente est jugé inférieur à la valeur réelle du bien, avec aussi une incidence fiscale.
La question essentielle est donc celle de l’évaluation de la valeur du matériel informatique ou téléphonique cédé.
Absence de règles d’évaluation en matière de matériel informatique et de téléphonie mobile
Il y a avantage en nature lorsque l’employeur fournit à ses salariés des biens ou des services correspondant à des besoins personnels, gratuitement ou moyennant une participation inférieure à leur valeur réelle. Ainsi, en cas de cession d’un bien de l’entreprise à l’un de ses salariés, et dès lors que l’employeur ne souhaite pas payer de charges sociales, le prix de vente doit correspondre à la valeur réelle du bien.
Le problème principal réside toutefois dans le fait qu’aucune règle d’évaluation spécifique n’existe en matière de matériel informatique ou téléphonique. Face à une telle carence, des options sont possibles.
La valeur nette comptable (VNC)
La VNC d’un bien est la valeur d’un actif de l’entreprise à un instant T. Elle diminue au fil du temps par l’effet de l’amortissement. Une fois le bien entièrement amorti, sa VNC est égale à 0.
Le choix de la VNC comme règle d’évaluation de l’avantage en nature présente l’intérêt d’une règle de calcul aisément vérifiable.
Toutefois, le risque de redressement est particulièrement important considérant que la VNC peut être différente de la valeur vénale (ou marché) d’un bien.
Ainsi, et dans les cas d’une VNC égale à 0, le bien peut toujours avoir de la valeur sur le marché, cette valeur pouvant être significative.
Le fait générateur de l’avantage en nature étant l’économie réalisée par le salarié, on comprend aisément que le choix de la VNC comme critère déterminant du prix de vente au salarié n’est pas satisfaisant, surtout dans les cas où l’entreprise, logiquement, aurait choisi de céder aux membres du personnel des biens ayant été totalement amortis.
Reste, que c’est donc bien la valeur vénale du bien qui doit être retenue afin d’éviter toute discussion sur le sujet.
La valeur vénale
Sauf à s’acquitter de charges sociales, il est recommandé de vendre le matériel informatique ou téléphonique aux salariés au prix du marché.
Cette situation est critiquable puisqu’il est quasiment impossible de déterminer avec certitude le prix exact d’un bien à sa valeur sur le marché de l’occasion.
Quel que soit le mode de détermination du prix, il existe donc un risque de redressement URSSAF.
Afin de réduire au maximum ce risque, la détermination du prix de vente doit reposer sur des éléments objectifs vérifiables.
Le recours à une tierce personne peut s’avérer opportun. Il existe en effet des prestataires dits « brokers » qui jouent le rôle d’intermédiaire entre l’employeur-vendeur et le salarié acheteur. La flotte informatique ou de téléphonie mobile leur est revendue, à charge pour eux de « reconditionner » le matériel et de le revendre ensuite aux salariés. L’avantage de ce dispositif est que le « broker » étant devenu propriétaire du bien, le risque de redressement se réduit considérablement. L’inconvénient est que le broker fixe lui-même le prix de vente, lequel peut être élevé.
L’employeur pourrait déterminer le prix du bien qu’il envisage de vendre en direct aux salariés en sollicitant, par exemple, plusieurs devis auprès de « brokers ». Retenir alors une moyenne des prix ou le prix le plus élevé permettrait d’objectiver sa valeur.
Cependant, en plus de se révéler lourd en termes de processus, ce mode de détermination du prix n’exclut pas le risque de redressement. L’inspecteur du recouvrement pourrait toujours considérer que l’offre faite par les « brokers » reposait sur le rachat d’une flotte d’ordinateurs ou de téléphones portables (dont le nombre justifiait une certaine tarification) et que le prix réel de chaque machine prise indépendamment est en fait plus élevé, et ainsi considérer que le salarié a effectué une économie.
Dans ce contexte, le choix le plus sécurisé pour l’employeur demeure la vente du matériel à un tiers qui en devient propriétaire et qui le revend directement aux salariés.
Article publié dans Les Echos Executives le 28/02/2020
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