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Mobilité du salarié et dispositions conventionnelles anciennes : quelle interprétation retenir ?

Mobilité du salarié et dispositions conventionnelles anciennes : quelle interprétation retenir ?

Le droit des conventions collectives est un droit ancien sur lequel sont encore basées de nombreuses règles qui s’appliquent régulièrement aux entreprises et aux salariés. L’interprétation de ces dispositions conventionnelles est un exercice qui peut s’avérer délicat lorsque ces dernières ont été rédigées il y a plusieurs décennies. Illustration avec une disposition de la convention collective de la Métallurgie relative à la mobilité des salariés.

Dans cette affaire, plusieurs salariés travaillant à Rungis (94) ont été informés d’un projet de restructuration dont l’une des conséquences serait leur mutation dans des locaux situés à Paris. Ces salariés refusent cette mutation au motif qu’elle constituerait une modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail qui ne peut pas leur être imposée. Ils sont licenciés pour faute grave et saisissent le conseil de prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est à cette occasion qu’est entrée en jeu une disposition issue de l’un des avenants «Mensuel» de la convention collective des industries métallurgiques de la région parisienne en date du 2 mai 1979. Cette disposition précise que «toute modification de caractère individuel apportée à l’établissement dans lequel l’emploi est exercé doit faire préalablement l’objet d’une notification écrite, [et que], dans le cas où cette modification ne serait pas acceptée par le salarié, elle serait considérée comme une rupture de contrat de travail du fait de l’employeur et réglée comme telle».

Des positions jurisprudentielles divergentes

Dans ce litige, la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris retenaient deux positions différentes :

  • la Cour de cassation, dans un premier arrêt rendu le 26 septembre 2012, après avoir constaté que le contrat de travail des salariés ne contenait pas de dispositions plus favorables que celles de l’avenant «Mensuel», soutenait que les salariés n’ayant pas accepté la modification de leur lieu de travail, la rupture du contrat était nécessairement imputable à l’employeur (c’est-à-dire sans cause réelle et sérieuse) ;
  • la cour d’appel de Paris, désignée Cour de renvoi après cassation, résiste à la décision de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 septembre 2013. Elle considère que la divergence entre les parties ne pouvait se conclure que par «une rupture du contrat de travail du fait de l’employeur», sans qu’il soit possible d’imputer de facto la responsabilité de cette rupture à l’employeur. La Cour constate que le contrat de travail des salariés prévoit une clause de mobilité licite et juge en conséquence que le refus de ces derniers d’accepter leur mutation constitue bien une faute de nature à justifier un licenciement pour faute grave.

Interprétations proposées et décision de l’Assemblée plénière

C’est en l’état que le litige s’est présenté à l’Assemblé plénière de la Cour de cassation (formation chargée de juger les litiges portant sur des questions de principe) afin que cette dernière se prononce sur la signification des termes «une rupture du fait de l’employeur».

En résumé, deux interprétations s’offraient à l’Assemblée plénière :

  • retenir le sens que les auteurs conféraient aux termes «rupture du fait de l’employeur» en 1979 (position de la cour d’appel de Paris susmentionnée). Or, à l’époque, une rupture «du fait de l’employeur» signifiait simplement que l’employeur devait prendre l’initiative de la rupture sans que cette rupture lui soit nécessairement imputable. Plusieurs arrêts de l’époque témoignent ainsi du fait qu’un licenciement «du fait de l’employeur» n’est pas nécessairement sans motif réel et sérieux ;
  • retenir le sens que ces mêmes termes revêtent au jour de leur application près de 35 ans plus tard (position de la Cour de cassation susmentionnée), c’est-à-dire une rupture dont l’employeur est directement responsable et pour laquelle il doit être condamné.

Après avoir examiné le rapport du conseiller rapporteur et l’avis du conseiller général, l’Assemblée plénière a choisi de retenir la règle d’interprétation qu’elle applique à la loi, c’est-à-dire l’argumentation visant à s’appuyer sur «la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet et en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte».

Cette analyse conduit la Cour de cassation à opter pour la première solution en retenant le sens que les auteurs de ce texte ont voulu lui donner en 1979. Dans sa note explicative, elle précise que : «l’interprétation de la convention collective au moment de son application ne doit pas avoir pour effet d’en modifier la portée, ni de lui conférer une utilité en remplacement de celle qu’elle présentait lors de sa conclusion et qu’elle a pu perdre par suite de l’évolution législative et jurisprudentielle».

Elle en déduit que les dispositions conventionnelles ne conférant pas au lieu de travail un caractère contractuel, elles signifient seulement qu’en cas de non-acceptation par le salarié de la modification envisagée du lieu de travail, l’employeur qui n’entend pas renoncer à la modification doit prendre l’initiative de la rupture du contrat en engageant une procédure de licenciement.

Extension de cette analyse à d’autres dispositions conventionnelles anciennes

Cette analyse de l’Assemblée plénière pourrait s’avérer très utile aux praticiens dans d’autres litiges relatifs à des dispositions conventionnelles anciennes. A titre d’illustration, l’article 23 de l’accord national interprofessionnel du 17 mai 1975 (ANI) donne la possibilité aux «organisations syndicales» de désigner des représentants syndicaux aux CHSCT dans les entreprises de plus de 300 salariés. Toutefois, le texte ne précise pas que ces «organisations syndicale» doivent être représentatives.

Plusieurs syndicats non représentatifs se sont engouffrés dans la brèche en désignant des représentants syndicaux au CHSCT en arguant qu’il convenait d’appliquer strictement les termes de l’ANI qui ne distinguent pas les organisations syndicales représentatives des non représentatives. Mais en 1975, les syndicats non représentatifs n’avaient aucune place dans l’entreprise. Il pourrait dès lors être intéressant de contester ces désignations sur la base de l’arrêt rendu par l’Assemblé plénière le 23 octobre 2015.

 

Auteur

Ludovique Clavreul, avocat en droit social.

 

Mobilit̩ du salari̩ et dispositions conventionnelles anciennes : quelle interpr̩tation retenir ? РArticle paru dans Les Echos Business le 21 mars 2016
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