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Quand la liberté d’expression pourrait faire obstacle à la protection conférée par le droit d’auteur

Quand la liberté d’expression pourrait faire obstacle à la protection conférée par le droit d’auteur

A l’origine de cette affaire, un photographe avait réalisé une série de trois clichés représentant un visage maquillé de femme qui avait été publiée, avec mention de son nom, dans un magazine de mode en 2005. Par la suite, l’intéressé avait constaté qu’un artiste peintre avait utilisé les trois visuels dans plusieurs de ses œuvres. Arguant d’une atteinte à ses droits d’auteur, il avait fait procéder à un constat d’huissier, puis à une saisie-contrefaçon, préalablement autorisée par un juge.

Il avait ensuite introduit une action en dommages et intérêts pour contrefaçon de ses droits d’auteur. Dans le cadre de cette procédure, l’artiste peintre avait reconnu avoir utilisé les trois clichés de mode, qu’il avait trouvés dans le magazine où ils avaient été publiés. Mais il avait soutenu que ces photographies n’étaient pas suffisamment spécifiques pour permettre à leur auteur de bénéficier de la protection propre aux œuvres de l’esprit, car elles avaient été commanditées par le magazine qui les avait publiées, réalisées à partir d’éléments imposés et sans marge de manœuvre sur le rendu à y apporter. Ces photographies ne pouvaient donc être protégées par le droit d’auteur. Le tribunal de grande instance de Paris, saisi du litige en première instance, avait suivi ce raisonnement, et débouté le photographe de ses demandes (TGI Paris, 31 janvier 2012, RG n° 10/02898).

En appel, pourtant, la Cour en a jugé autrement. Elle a considéré, validant ainsi l’argumentaire du photographe, que les photographies montraient des choix esthétiques spécifiques, notamment le cadrage, l’angle de prise de vue et le choix du clair-obscur, ce qui leur conférait la qualité d’œuvres originales, protégeables par le droit d’auteur. Le fait qu’elles se soient inscrites dans un courant existant, dit de « figuration narrative », ne pouvait suffire à exclure leur originalité. Elle a donc jugé que l’usage desdites photographies sans autorisation préalable, ni mention du nom de l’auteur, et en détournant leur nature initiale, notamment en les recadrant et en en retouchant les couleurs, constituait une atteinte au droit moral et aux droits patrimoniaux du photographe (CA Paris, 18 septembre 2013, RG n° 12/02480).

Pour sa défense, l’artiste peintre avait fait valoir sa liberté d’expression et de création, qui lui permettait selon lui l’usage détourné d’une œuvre originale pour en créer une nouvelle, sur le fondement de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Mais la Cour d’appel a rejeté cet argument, en jugeant que « les droits sur des œuvres arguées de contrefaçon ne sauraient […] l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci sont dérivées, sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d’autrui en matière de création artistique ».

Finalement saisie de l’affaire, la Cour de cassation reconnaît à nouveau le caractère d’œuvres de l’esprit aux photographies en indiquant que les choix de leur auteur, « librement opérés, traduisaient, au-delà du savoir-faire d’un professionnel de la photographie, une démarche propre à son auteur qui portait l’empreinte de la personnalité de celui-ci ». La solution n’est pas nouvelle, il ne s’agit que d’une illustration supplémentaire des difficultés qu’il peut y avoir à établir le caractère original ou non d’une œuvre photographique.

En revanche, la Cour casse l’arrêt d’appel en ce qu’il n’a pas expliqué de façon concrète « en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu'[il] prononçait ». Ainsi, la Cour de cassation reconnaît implicitement que l’usage d’une œuvre première dans une autre œuvre seconde peut relever de la liberté d’expression et de création, et peut, dans certains cas, faire obstacle à la protection conférée par le droit d’auteur (Cass civ 1re, 15 mai 2015, n°13-27.391). Pour apprécier dans quel sens la balance de la justice doit pencher au cas particulier, la Cour renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Versailles.

La nécessité, jusqu’à présent consacrée, d’obtenir l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre initiale, est ici en question : ce critère perdurera-t-il, ou est-t-il susceptible de s’effacer ? La Cour d’appel nous le dira.

 

Auteur

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.