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Quelle place pour l’IA dans les relations du travail ?

Quelle place pour l’IA dans les relations du travail ?

Tout le monde parle de ChapGT et de ses équivalents. Ces outils fascinent autant qu’ils inquiètent. Mais que recouvre exactement l’IA et comment celle-ci impacte les relations du travail ?

 

Selon l’OCDE, le terme de système d’« Intelligence Artificielle» (IA) peut être défini comme : «un système automatisé qui, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, est en mesure d’établir des prévisions, de formuler des recommandations, ou de prendre des décisions influant sur des environnements réels ou virtuels (1)» .

 

Le déploiement des Systèmes d’Intelligence Artificielle (SIA) au sein des entreprises inquiète tant les employeurs que les salariés, notamment en raison de la menace qu’ils font peser sur l’avenir de certains emplois, la collecte de données personnelles et les dérives qui peuvent en résulter.

 

Kristalina Georgieva, Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), a récemment déclaré à ce propos que «le développement de l’intelligence artificielle touchera 60% des emplois dans les économies avancées », précisant toutefois que «les impacts évoqués ne sont pas forcément négatifs », car cela pourrait aussi se traduire «par une hausse des revenus».

 

Concrètement, comment les employeurs peuvent-ils utiliser l’IA ?

 

A ce jour, l’intelligence artificielle est principalement utilisée en matière de recrutement. Certains outils permettent ainsi de créer des fiches de postes, de sélectionner les candidats via une analyse des profils et un tri automatique des curriculum vitae en fonction de critères prédéterminés par l’employeur. Il existe également des logiciels de «gestion des talents» visant à identifier les salariés les plus adaptés à tel ou tel poste.

 

Certaines entreprises proposent également d’accompagner les recruteurs avec un chatbot de recrutement : ainsi lorsque le candidat postule en ligne, le chatbot peut engager une conversation avec lui sur différents sujets (expériences précédentes, niveau de formation, compétences informatiques…), il sera ensuite en mesure de déterminer si le profil correspond à celui du candidat que l’entreprise recherche.

 

Des SIA existent aussi en matière de formation pour proposer des contenus adaptés, d’organisation des équipes / de planification des rotations d’équipes, de suivi de la gestion de la performance etc.

 

IA et discrimination

 

Si le recours à ce type d’outils peut être très utile aux RH, il est toutefois susceptible de générer un risque de discrimination, directe ou indirecte, puisque l’algorithme va fournir un résultat en fonction de données d’apprentissage qui ont été sélectionnées par l’homme.

 

Or, cela suppose que ces éléments soient suffisants, pertinents objectifs et exempts de biais. A défaut, l’algorithme reproduit, voire amplifie les informations biaisées et les préjugés. Le Défenseur des droits et la CNIL ont d’ailleurs dénoncé ce risque (2) «d’automatisation des discriminations».

 

Pour se prémunir contre ce risque de discrimination algorithmique, l’employeur, sur qui repose la charge de la preuve en matière de discrimination, doit s’assurer de maîtriser parfaitement le SIA utilisé afin de pouvoir démontrer le cas échéant l’absence de toute discrimination. Cela implique notamment de pouvoir expliquer quelles données sont traitées et de quelle manière.

 

Par ailleurs, si le SIA peut être un outil utile, il ne peut être utilisé que de manière complémentaire. En effet, l’article 22 du RGPD encadre les processus de prise de décision entièrement automatisés, lorsqu’elles produisent des effets juridiques ou des effets significatifs. C’est un bon garde-fou contre une utilisation intensive de l’IA dans les relations de travail.

 

L’IA et son utilisation dans la fonction RH est d’ailleurs aujourd’hui un sujet de préoccupation majeure de la CNIL. Un guide de bonnes pratiques dédié à l’usage de l’intelligence artificielle en entreprise pourrait voir le jour, permettant aux employeurs d’appréhender au mieux cette nouvelle réalité, comme cela a été le cas lors des précédentes grandes évolutions technologiques.

 

IA et dialogue social

 

La négociation collective pourrait avoir un rôle crucial à jouer en la matière, en ce qu’elle permettrait d’établir de bonnes pratiques et de réguler au mieux l’usage des SIA. Cela permettrait aussi d’assurer la transparence et l’acceptabilité des SIA, de manière à accompagner au mieux leur arrivée dans les entreprises.

 

L’accord européen sur la numérisation signé par les partenaires sociaux européens le 22 juin 2020 a ouvert la voie, en définissant une méthodologie de dialogue.

 

En France, le projet DialIA, porté par quatre organisations syndicales (FO, CFDT, CFE-CGC, CGT), et coordonné par l’IRES s’est donné pour mission de contribuer au développement du dialogue social technologique et de proposer une position syndicale sur le sujet de l’IA.

 

D’autres initiatives émanent de certains groupes de travail, tels que le groupe «SeCoIA Deal» qui propose par exemple la mise en place de clauses de revoyure, dont l’objectif serait de prévoir les modalités de réunions d’information-consultation du CSE régulières, organisées en fonction de l’évolution dans le temps du SIA, afin de prévenir au maximum les dérives de l’outil. Ces clauses seraient insérées dans un contrat, dans un accord collectif, dans une décision unilatérale ou une charte.

 

Vers un droit de l’IA ?

 

Si les États membres de l’Union européenne et le Parlement européen sont parvenus à s’accorder sur une nouvelle législation concernant la régulation des intelligences artificielles, en adoptant, le 13 mars 2024, le fameux «IA Act», une proposition de règlement organisant leurs usages et développements, force est de constater que l’IA est aujourd’hui très encadrée juridiquement.

 

Certains pays comme l’Espagne ont décidé de se saisir du sujet, notamment en créant l’Agence espagnole de supervision de l’IA, mais pour l’heure cela fait figure d’exception.

 

En France, le comité interministériel sur l’IA vient de remettre au Gouvernement son rapport « IA : notre ambition pour la France », qui livre quelques éclairages supplémentaires sur les défis que pose intelligence artificielle et les solutions équilibrées qui pourraient être apportées.

 

L’IA Act, qui doit être adopté définitivement en avril 2024, imposera aux entreprises des garanties renforcées contre les risques engendrés par les SIA relatifs au recrutement, à l’emploi et à la formation professionnelle, qu’elle a classé parmi les SIA à «haut risque».

 

(1) Groupe de travail sur la gouvernance de l’intelligence artificielle (AIGO) créé par l’OCDE

(2) Rapport «Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations», CNIL et Défenseur des droits, 2020.

 

Auteurs

Caroline Froger-Michon, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats

Margaux Buisson, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

Pauline Bousch, Juriste-doctorante CIFRE, CMS Francis Lefebvre Avocats

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