Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Travail dissimulé et communication de documents : impossible de changer les règles du jeu en cours de procédure !

Travail dissimulé et communication de documents : impossible de changer les règles du jeu en cours de procédure !

Le travail dissimulé, une des facettes du travail illégal, peut se caractériser par la dissimulation d’activité (absence d’immatriculation de l’entreprise, défaut de déclarations fiscales et sociales) ou par la dissimulation d’emploi salarié (défaut de déclaration préalable à l’embauche, défaut d’établissement des bulletins de salaire, déclaration partielle des heures effectuées, défaut de déclaration à l’URSSAF, etc.).

 

Outre les sanctions pénales et administratives applicables, la constatation de l’infraction de travail dissimulé entraîne également le redressement des cotisations et contributions sociales éludées. Ce redressement s’accompagne alors de la privation des réductions ou exonérations [1], d’une majoration desdites cotisations ou contributions [2] ainsi que de l’annulation de certaines réductions ou exonérations dont le cotisant aurait déjà bénéficié [3].

Au regard de l’importance de ces conséquences pour le cotisant, une procédure de contrôle spécifique en cas de recherche d’infractions de travail dissimulé est prévue par le Code de la sécurité sociale. Il est ainsi recommandé au cotisant de s’assurer que la procédure de contrôle est régulière, notamment en vérifiant que l’agent de contrôle n’a pas outrepassé ses pouvoirs, comme l’illustre un arrêt du 22 octobre 2020 (n° 19-18.335).

 

Les pouvoirs de l’agent contrôleur conditionnés par la nature de la procédure de contrôle engagée

Aux termes des dispositions du Code du travail [4], l’infraction de travail dissimulé peut être recherchée et constatée, outre par les agents de contrôle de l’inspection du travail et les officiers et agents de police judiciaire, par les agents de organismes de sécurité sociale.

Le constat d’une infraction de travail dissimulé par un organisme de recouvrement peut :

soit survenir à l’occasion d’un contrôle de droit commun tendant à vérifier l’assiette, le taux et le calcul des cotisations et contributions sociales ; les règles applicables à ces opérations de contrôle sont définies aux articles L.243-7 et R.243-59 et suivants du Code de la sécurité sociale ;
soit procéder de la mise en œuvre par les organismes de recouvrement eux-mêmes d’un contrôle spécifique, sur le fondement des articles L.8271-1 et suivants du Code du travail, ayant pour objet la recherche et la constatation d’une telle infraction.

Selon les cas, les redressements consécutifs à des infractions de travail dissimulé sont donc soumis à des procédures distinctes offrant aux agents de contrôle de l’URSSAF des pouvoirs plus ou moins étendus et aux cotisants des garanties non équivalentes.

A titre d’illustration, l’une des différences majeures entre ces deux procédures est qu’en cas de recherche d’infractions de travail dissimulé, l’URSSAF n’est pas tenue d’adresser au cotisant un avis préalable de contrôle tel qu’exigé par l’article R.243-59 du Code de la sécurité sociale dans le cadre d’un contrôle de droit commun.

Autre différence essentielle à noter, en matière de communication, agissant dans le cadre d’un contrôle de droit commun, les agents de contrôle peuvent, après avoir exigé de l’employeur, la mise à disposition de tout document, comptable ou non, et l’accès à tout support d’information nécessaire à l’exercice du contrôle [5], se faire communiquer des informations par des tiers [6]mais à condition de les avoir préalablement demandés à l’employeur [7] et de l’en informer avant la mise en recouvrement des cotisations [8]. Les agents de contrôle peuvent en outre interroger les personnes rémunérées, notamment pour connaître leurs nom et adresse, la nature des activités exercées et le montant des rémunérations y afférentes, y compris les avantages en nature [9].

Agissant dans le cadre d’un contrôle spécifique pour travail dissimulé, les agents de contrôle de l’URSSAF peuvent utiliser leur droit de communication [10] sans restriction et entendre des personnes extérieures à l’entreprise [11] à condition de recueillir leur consentement exprès [12].

Le constat, à l’occasion d’un contrôle de droit commun, d’infractions de travail dissimulé, n’autorise cependant pas l’agent à user des pouvoirs dont il dispose en matière de lutte contre le travail illégal [13].

 

Impossibilité pour l’URSSAF, au cours d’un contrôle de droit commun, de se prévaloir de la procédure spécifique à la recherche d’infractions de travail dissimulé

Par un arrêt du 22 octobre 2020, la deuxième chambre de la Cour de cassation précise que l’URSSAF ne peut pas, au cours du contrôle de droit commun, se placer sur le terrain d’un contrôle de travail dissimulé pour se faire communiquer des documents par un tiers sans restriction.

Au cas particulier, un employeur avait fait l’objet d’un contrôle ordinaire d’assiette de la part de l’URSSAF au cours duquel l’agent de contrôle avait relevé l’existence d’infractions de travail dissimulé. L’URSSAF lui avait notifié une mise en demeure de régler le montant des cotisations impayées ainsi que des majorations de retard. L’entreprise avait alors saisi les juridictions de sécurité sociale de ce litige.

Elle reprochait à l’agent de contrôle, qui intervenait dans le cadre d’un contrôle ordinaire, d’avoir usé de la procédure spécifiquement prévue pour la recherche des infractions de travail dissimulé afin de solliciter du comptable de la société la communication de documents qui ne figuraient pas initialement sur la liste de ceux qui lui avaient été demandés.

Pour rejeter la contestation de la société, la Cour d’appel relève que l’agent contrôleur avait, dès le début du contrôle, constaté que des déclarations comptables n’avaient jamais été adressées à ses services et qu’il existait donc une infraction de travail dissimulé lui permettant de se placer immédiatement dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé dont la procédure autorise le contrôleur à se faire remettre par des tiers des documents sans avoir à les demander préalablement à l’employeur.

La Cour de cassation censure ce raisonnement sur le fondement des dispositions de l’article R.243-59 du Code de la sécurité sociale, « qui s’appliquent au contrôle engagé par les organismes de recouvrement sur le fondement de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale, et des textes pris pour son application ». Il résulte de cet article, qu’alors même que le contrôle a conduit à la constatation d’infraction aux interdictions mentionnées à l’article L.8221-1 du Code du travail, « l’agent chargé du contrôle n’est pas autorisé à solliciter d’un tiers à l’employeur des documents qui n’avaient pas été demandés à ce dernier ».

En clair, dès lors que l’URSSAF avait adressé un avis de contrôle de droit commun au cotisant, celle-ci s’était inscrite dans la procédure prévue par les articles L.243-7 et R.243-59 du Code de la sécurité sociale, de sorte qu’elle devait respecter l’ensemble des garanties procédurales dont le cotisant bénéficie dans ce cadre.

Par conséquent, est irrégulière la procédure de contrôle d’assiette au cours de laquelle l’URSSAF a obtenu directement auprès du comptable de la société contrôlée des documents que celle-ci n’avait pas fournis.

Ainsi, cet arrêt illustre une nouvelle fois la balance délicate que législateur et juge, dans son pouvoir d’interprétation de la loi, doivent opérer entre l’objectif d’intérêt général de lutte contre les infractions de travail dissimulé et la protection légitime des droits des cotisants contrôlés.

[1] C. séc. soc., art. L.242-1-1

[2] C. séc. soc., art. L.243-7-7

[3] C. séc. soc., art. L.133-4-2

[4] C. trav., art. L.8271-1-2

[5] C. séc. soc., art. R.243-59, II, al. 2

[6] C. séc. soc., art. L.114-19

[7] Cass. 2e civ., 20 mars 2008, n° 07-12.797

[8] C. séc. soc., art. L.114-21 ; Cass. 2e civ, 12 mars 2020, n° 19-11.399

[9] C. séc. soc., art. R.243-59, II, al. 4

[10] C. trav., art. L.8271-6-2

[11] C. trav., art. L.8271-6-1

[12] Cass. 2e civ., 19 septembre 2019, n° 18-19.929

[13] Cass. 2e civ., 9 octobre 2019, n° 10-13.699

Article publié dans Les Echos EXECUTIVES le 23/12/2020