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E-réputation : responsabilité de l’exploitant d’un portail Internet dans la publication de messages insultants par des lecteurs

E-réputation : responsabilité de l’exploitant d’un portail Internet dans la publication de messages insultants par des lecteurs

Le 24 janvier 2005, l’exploitant du portail d’informations estonien Delfi publie un article qui va recueillir 185 commentaires d’internautes, dont une vingtaine de commentaires injurieux et menaçants à l’encontre de l’actionnaire d’une compagnie de navigation.

La société exploitant le portail est alors mise en demeure de retirer les messages litigieux, et de verser à l’actionnaire visé une somme de 32.000 € en réparation du préjudice moral subi. Les messages sont retirés le jour même, mais aucun accord d’indemnisation ne peut être trouvé. Condamné successivement en première instance puis par la Cour suprême estonienne, l’exploitant du portail introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 4 décembre 2009, reprochant aux juridictions civiles estoniennes de l’avoir tenu pour responsable des messages écrits par les lecteurs de son site web alors que ces messages relevaient de la liberté d’expression. La CEDH lui donne elle aussi tort, et l’affaire est renvoyée devant la Grande chambre qui, dans un arrêt du 16 juin 2015, apporte des précisions utiles sur l’étendue de la responsabilité de l’exploitant d’un portail d’actualités sur Internet (CEDH, Gr. ch., 16 juin 2015, n°64569/09, Delfi SA c. Estonie).

Elle juge que l’exploitant est pleinement et entièrement responsable des commentaires postés sur son site, et ne peut s’exonérer de sa responsabilité en retirant promptement les contenus après notification. Pour en arriver à cette déduction, la Cour relève plusieurs éléments de fait, tels que l’exploitation à titre professionnel d’une activité commerciale par la société requérante, et les insuffisances intrinsèques du contrôle exercé sur ces commentaires.

Mais la Grande chambre va plus loin et semble admettre un principe de responsabilité objective des prestataires de portails d’information sur Internet : ceux-ci auraient un rôle d’éditeur professionnel, dépassant celui d’un prestataire de services purement passif dans le cadre de la publication des commentaires postés par les internautes sous ses articles. Ils ne peuvent donc bénéficier du régime de responsabilité allégée des hébergeurs.

La Cour précise ainsi que les « Etats (…) peuvent être fondés à juger des portails d’actualités sur Internet responsables sans que cela n’emporte violation de l’article 10 de la Convention, si ces portails ne prennent pas de mesures pour retirer les commentaires illicites sans délai après leur publication, et ce même en l’absence de notification par la victime alléguée ou par des tiers » (point 159). Elle ajoute qu’ « il est plus difficile pour une victime potentielle de propos constitutifs d’un discours de haine de surveiller continuellement l’Internet que pour un grand portail d’actualités commercial en ligne d’empêcher la publication de pareils propos ou de retirer rapidement ceux déjà publiés » (point 158).

Pour ne pas engager leur responsabilité, les prestataires de portails d’informations sur Internet devraient dès lors empêcher, sur leur site, toute publication :

  • de réflexions et commentaires injurieux, désobligeants, déplacés ou véhiculant des stéréotypes négatifs relatifs à certaines personnes ou certains groupes ;
  • mais aussi de discours intimidants et provocateurs haineux, incitant à la discrimination à l’hostilité ou à la violence ;
  • et a fortiori de menaces directes à l’intégrité physique d’une personne.

La responsabilité des éditeurs est par conséquent très importante, ce qui ne sera pas sans poser de sérieuses difficultés pratiques sur tous les sites « collaboratifs » où les internautes sont invités à s’exprimer.

 

Auteur

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

 

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