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La difficile contestation du caractère professionnel de l’accident déclaré en situation de télétravail

La difficile contestation du caractère professionnel de l’accident déclaré en situation de télétravail

Bien qu’un certain nombre d’entreprises aient annoncé vouloir en limiter la mise en œuvre, le télétravail s’est imposé comme une modalité d’organisation du travail incontournable.

 

En fonction de l’accord collectif ou de la charte applicable au sein de l’entreprise, le lieu de travail peut être le domicile du salarié, un espace de coworking, voire un lieu tiers.

 

Cette modalité d’organisation du travail n’est pas sans soulever un certain nombre de questions juridiques, parmi lesquelles celle du traitement des accidents déclarés par le collaborateur en télétravail.

 

La déclaration d’un accident du travail dans ces circonstances peut en effet interroger, particulièrement lorsque le télétravailleur se dit victime d’une lésion psychologique.

 

Si la combinaison de plusieurs principes juridiques facilite la reconnaissance par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du caractère professionnel de ce type d’accident, l’employeur n’est toutefois pas totalement démuni face à ces décisions, à la motivation parfois très discutable.

 

Rappelons à cet égard que la reconnaissance d’un accident du travail peut être lourde de conséquences pour l’employeur (hausse du taux de cotisation AT/MP, protection contre le licenciement au profit du collaborateur concerné, préalable à une action en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur).

 

Explications.

 

Des principes juridiques favorables à la reconnaissance des accidents du travail des télétravailleurs

 

L’accident du travail est défini par le Code de la sécurité sociale comme un événement survenu par le fait ou à l’occasion du travail, quelle qu’en soit la cause, entraînant une lésion corporelle, qu’elle soit physique ou psychologique (1).

 

A la faveur de cette définition légale, un collaborateur bénéficie d’une présomption d’imputabilité à son travail de l’accident dont il se dit victime dès lors qu’il est établi, d’une part, que l’accident est intervenu par le fait ou à l’occasion du travail et, d’autre part, qu’une lésion physique ou psychologique a été médicalement constatée.

 

L’employeur ne peut alors renverser cette présomption que s’il a la capacité de démontrer que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.

 

Délicate en temps normal, cette démonstration s’avère plus difficile encore lorsque l’accident survient sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur, l’article L. 1222-9 du Code du travail précisant qu’un tel accident est présumé être un accident de travail (2).

 

La possible contestation de l’imputabilité au travail des accidents déclarés par le télétravailleur

 

Face au jeu de la présomption d’imputabilité, l’employeur n’est pour autant pas dépourvu de tout moyen de contestation, dans la mesure où celle-ci ne peut lui être opposée que si le télétravailleur ou la CPAM, subrogée dans les droits de ce dernier, rapporte la preuve de la réalité d’une lésion apparue aux temps et lieu de travail ou apparue ultérieurement dès lors qu’elle est rattachable à l’accident.

 

A cet égard, l’employeur peut être fondé à remettre en cause la décision de la CPAM reconnaissant le caractère professionnel de l’accident allégué lorsque cette décision est basée sur les seules déclarations du télétravailleur.

 

C’est ce qu’a notamment jugé le tribunal judiciaire de Nanterre, dans une affaire où une salariée avait déclaré avoir hurlé en apercevant un individu menaçant sur le palier de son domicile, avant de se réfugier chez sa voisine, de déposer une plainte pénale et de bénéficier d’un arrêt de travail de plusieurs jours en raison du choc subi.

 

Le tribunal a relevé l’absence de témoignages venant corroborer les seules déclarations de l’intéressée et estimé que la matérialité de l’accident survenu au temps et au lieu du travail ne pouvait être déduite de la seule apparition d’une lésion psychologique (3).

 

Cette preuve n’est pas davantage rapportée lorsque l’organisme de sécurité sociale se prévaut des dires de proches du télétravailleur prenant fait et cause pour ce dernier sans avoir assisté au fait accidentel allégué.

 

En ce sens, et à titre d’illustration récente dans une affaire où une télétravailleuse s’était dit victime d’un malaise à la suite d’une réflexion faite à son encontre lors d’une visio-conférence et alors que la CPAM s’appuyait sur le témoignage de son mari pour établir le fait accidentel, la cour d’appel de Colmar a relevé que ce dernier n’avait pas été témoin de la visioconférence, que son témoignage était donc limité au constat d’un malaise du télétravailleur survenu après la réunion de travail et qu’il n’apportait pas d’élément sur la réalité d’un incident verbal susceptible d’avoir engendré un stress à l’origine du malaise (4).

 

La nécessité d’être pro-actif lors de la phase d’instruction du dossier par la CPAM

 

Pour que sa contestation ait le plus de chances de prospérer, l’employeur a donc tout intérêt à se montrer pro-actif dès le début de la procédure, en adressant tout d’abord à l’organisme de sécurité sociale un courrier de réserves motivées sur l’accident déclaré dans le délai imparti à cet effet.

 

A défaut, il s’expose à ce que la CPAM reconnaisse l’origine professionnelle de l’accident déclaré sans mener d’instruction à son sujet.

 

L’employeur doit également se montrer actif au cours de l’instruction du dossier par la caisse en portant à sa connaissance des informations susceptibles de remettre en cause la sincérité des déclarations de l’assuré au sujet des circonstances de l’accident.

 

Il doit encore être vigilant au moment de la consultation du dossier constitué par la caisse en relevant les éventuelles incohérences des déclarations de l’assuré avec celles des témoins supposés du fait accidentel.

 

En agissant de manière rigoureuse tout au long de la procédure, l’employeur, à défaut d’être suivi dans son argumentation par la CPAM ou la commission de recours amiable de cet organisme, aura le plus de chances d’emporter la conviction du juge et, in fine, de voir la décision de prise en charge de l’accident du travail lui être déclarée inopposable.

 

AUTEURS
 

Pierre Bonneau, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats 

Dorian Moore, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) CSS, art. L. 411-1
(2) A titre d’illustration : Cour d’appel de Nîmes, 2 mai 2024, n° 23/00507
(3) Tribunal Judiciaire de Nanterre, 11 février 2025, n° 21/00431
(4) Cour d’appel de Colmar, 26 juin 2025, n° 23/02870

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