Congés payés : la Cour de cassation poursuit la mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne
10 septembre 2025
Deux décisions très attendues relatives au droit au report des congés payés en cas de maladie survenant pendant les congés et à la prise en compte des congés dans le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ont été rendues ce jour par la Cour de cassation.
Ces arrêts poursuivent, sans surprise, la mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne s’agissant de l’impact de la maladie sur le droit à congés payés, initiée avec les arrêts du 13 septembre 2023 (nº 22-17.340 et nº 22-17.638), et la prolonge en ce qui concerne la prise en compte des congés payés dans le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Retour sur l’analyse de ces deux décisions.
Maladie et congés payés : consécration d’un droit au report des congés payés en cas de maladie survenant pendant les congés payés (Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-22.732)
Pour mémoire, la Commission européenne a décidé, le 18 juin 2025, d’ouvrir une procédure d’infraction contre la France, envoyant une lettre de mise en demeure pour manquement aux règles de l’Union européenne sur le temps de travail en application de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003.
La Commission européenne reproche à la législation française de ne pas garantir « que les travailleurs qui tombent malades pendant leur congé annuel puissent récupérer ultérieurement les jours de congé annuel qui ont coïncidé avec leur maladie (…) ».
Pour la Commission européenne, le droit national devrait donc autoriser un report des congés payés en cas de maladie survenant pendant les congés payés, conformément à ce que décide la Cour de justice (CJUE, 21 juin 2012, n° C-78/11).
Aujourd’hui, la loi n°2024-364 du 22 avril 2024, adoptée dans la foulée des arrêts de septembre 2023 opérant un revirement de jurisprudence, prévoit certes que le salarié malade acquiert des congés payés sans limitation de durée et qu’il bénéficie d’un report afin de prendre ultérieurement les congés non utilisés en raison de sa maladie. Mais elle ne traite que de cette situation.
Or, la Cour de cassation décidait jusqu’à présent que, « sauf accord collectif applicable à l’entreprise prévoyant des dispositions plus favorables, le salarié qui tombe malade pendant ses congés payés est réputé avoir pris ses congés payés et ne peut prétendre ni à une prolongation de son congé ni à un report des congés payés correspondant à la période d’arrêt de travail » (Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-44.907).
Saisie d’un pourvoi portant précisément sur le droit du salarié à reporter ses congés en cas de maladie pendant les congés payés, la Cour de cassation opère, dans la décision de ce jour, un revirement de jurisprudence.
Elle décide en effet qu’« il convient de juger désormais qu’il résulte de l’article L.3141-3 du code du travail, interprété à la lumière de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, que le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie. » En d’autres termes, comme le précise le communiqué de presse de la Cour de cassation, dès lors qu’un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a notifié à son employeur cet arrêt, il a le droit de les voir reportés.
La Cour de cassation justifie cette solution en considération de la finalité distincte de chacun des deux droits en cause, le droit au congé maladie qui a pour objet de permettre aux salariés de se rétablir d’un problème de santé et le droit à congé payé qui vise à leur permettre, non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs.
Aussi, le salarié placé en arrêt de travail pendant ses congés payés doit être en mesure de reporter ces jours de congés.
Heures supplémentaires et congés payés : prise en compte des jours de congés payés dans le décompte des heures supplémentaires (Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-14.455, n° 23-14.457, n° 23-14.458)
Aux termes de l’article L.3121-28 du Code du travail, « Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent ».
Amenée à préciser les heures à prendre en compte pour l’appréciation du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, la Cour de cassation juge de manière constante qu’il s’agit des heures de travail effectif et des temps assimilés. Elle en déduit que « les jours fériés ou de congés payés, en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles, ne peuvent être assimilés à du temps de travail effectif » pour l’appréciation du seuil de déclenchement des heures supplémentaires (Cass. soc., 1er déc. 2004, nº 02-21.304 ; Cass. soc., 4 avr. 2012, nº 10-10.701 ; Cass. soc., 25 janv. 2017, nº 15-20.692).
La Cour de justice de l’Union européenne a toutefois retenu une solution différente. En 2022, elle a jugé que « l’article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lu à la lumière de l’article 31 § 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies » (CJUE, 13 janv. 2022, nº C-514/20).
Par une seconde décision rendue ce jour, la Cour de cassation s’aligne sur la position de la CJUE.
En effet, après avoir rappelé la décision rendue par la Cour de justice en 2022, la chambre sociale énonce « qu’il convient (…) d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L.3121-28 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine ».
Il résulte de cette décision que les périodes de congés payés doivent être incluses dans l’assiette de calcul hebdomadaire des heures supplémentaires.
Retrouvez, via le lien ci-après, le commentaire de ces décisions par Grégoire Loiseau, Responsable de la Doctrine sociale chez CMS Francis Lefebvre Avocats : « Les arrêts du 10 septembre 2025 sur les congés payés ou le syndrome du juge légiférant »
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