La dénonciation de faits de harcèlement moral : de l’art d’être précis !
31 mai 2018
Par une décision du 13 septembre 2017 (n°15-23.045), la Cour de cassation a considéré, pour la première fois, que l’immunité disciplinaire conférée au salarié dénonçant un harcèlement moral ne vaut qu’à la condition que ce dernier ait expressément qualifié les faits comme tels.
Dans une décision plus récente en date du 21 mars 2018 (n°16-24.350), la Cour de cassation est venue confirmer cette nouvelle exigence de qualification des faits.
Ces deux décisions promettent un tournant jurisprudentiel intéressant : celui d’une application stricte, mais pragmatique, de la protection conférée au salarié dénonçant des faits de harcèlement moral.
Une qualification expresse des faits de harcèlement moral
Dans la première affaire, un directeur commercial a été licencié pour faute, son employeur lui reprochant notamment, parmi de nombreux griefs, d’avoir proféré des accusations diffamatoires. Le courrier de licenciement visait plus précisément un courriel par lequel le salarié avait affirmé subir un « traitement abject, déstabilisant et profondément injuste ».
Estimant avoir été licencié pour avoir dénoncé des agissements de harcèlement moral, le salarié a sollicité la nullité de son licenciement.
Tant le Conseil de prud’hommes que la Cour d’appel ont accueilli favorablement cette demande.
Saisie de cette affaire, la Cour de cassation censure les juges du fond et considère, au contraire, que la protection conférée au salarié dénonçant un harcèlement moral n’est pas applicable si ce dernier n’a pas « dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral ».
Cette décision est une première jurisprudentielle.
En effet, conformément aux articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail, un salarié ne peut en aucun cas être sanctionné pour avoir dénoncé une situation de harcèlement moral.
A défaut, la sanction est frappée de nullité.
A l’occasion de la décision du 13 septembre 2017, la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme et admet l’existence de deux exceptions à l’application de la protection visée à l’article L.1152-2 susvisé :
- d’une part, et c’était déjà le cas, lorsque le salarié est de mauvaise foi, laquelle procède de la connaissance par ce dernier de la fausseté des faits qu’il dénonce ;
- d’autre part, et il s’agit d’une nouveauté, lorsque le salarié ne qualifie pas expressément et précisément les faits qu’il dénonce. Autrement dit, lorsque le salarié ne fait pas clairement état d’une situation de « harcèlement moral » ou d’une situation de « harcèlement sexuel ».
Cette décision marque une volonté de la Cour de cassation de limiter les risques d’instrumentalisation de la protection posée à l’article L.1152-2 du Code du travail.
Une confirmation de l’exigence de qualification des faits
L’exigence de qualification des faits de harcèlement moral a été récemment confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 mars 2018.
Dans la seconde affaire, un ingénieur d’études avait accusé son employeur de « harcèlement moral ».
Quelques temps après, ce salarié était licencié par son employeur pour avoir failli à ses obligations contractuelles. Le courrier de licenciement faisait également état des accusations de harcèlement proférées par le salarié.
Considérant avoir été licencié pour avoir dénoncé un harcèlement moral, le salarié a demandé la nullité de son licenciement.
Par une décision du 21 mars 2018, la Cour de cassation suit le salarié et se prononce en faveur de la nullité du licenciement.
Au soutien de sa décision, la Cour confirme que l’immunité disciplinaire dont bénéficie le salarié relatant des faits de harcèlement moral n’est applicable qu’à la condition que ce dernier ait expressément qualifié les faits comme tels.
Au cas d’espèce, le salarié avait expressément fait part d’une situation de « harcèlement moral » de sorte que la nullité du licenciement était justifiée.
Il est donc permis de penser que la nullité d’un licenciement n’est plus encourue lorsqu’un courrier de licenciement fait simplement état de reproches vagues énoncés par le salarié, voire d’accusations de « harcèlement » sans plus de précisions, et qu’il ne permet donc pas de démontrer que le salarié entendait dénoncer des faits de harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du Code du travail.
Au contraire, la protection contre le licenciement devrait bénéficier au salarié qui, sans se référer à la notion de « harcèlement moral », vise néanmoins dans ses griefs des notions proches de la définition légale du harcèlement moral1.
Il est très vraisemblable que la Cour de cassation sera conduite à préciser sa jurisprudence dans les prochaines années.
Dans l’attente de ces précisions, la prudence est de mise.
Il est en toute hypothèse vivement recommandé aux employeurs de ne jamais faire état dans une lettre de licenciement, même à titre anecdotique, d’accusations ou reproches énoncés par le salarié puisque, sauf mauvaise foi avérée de celui-ci, ces faits ne peuvent pas valablement étayer un licenciement.
Note
1 Article L. 1152-1 du code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé, droit social
Titrite Baamouche, avocat, droit social
La dénonciation de faits de harcèlement moral : de l’art d’être précis ! – Article paru dans Les Echos Exécutives le 31 mai 2018
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