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La cour d’appel de Versailles estime que les titres-restaurant relèvent des activités sociales et culturelles

La cour d’appel de Versailles estime que les titres-restaurant relèvent des activités sociales et culturelles

Par une décision du 27 février 2025, la cour d’appel de Versailles juge que l’attribution de titres-restaurant est une activité sociale et culturelle. Il en résulte que lorsque l’employeur décide de cesser de verser des titres-restaurant aux salariés, le comité social et économique (CSE) est fondé à demander la reprise de la gestion et à réclamer la contribution due pour leur financement à l’employeur, incluant les économies réalisées par ce dernier (CA Versailles, 27 février 2025, n°23/00807).

 

Au cas d’espèce, une société souhaitait mettre un terme à l’avantage qu’elle avait mis en place pour ses salariés consistant en l’attribution de titres-restaurant. L’employeur avait à cet effet procédé à la dénonciation de cet usage (1). En réaction, le CSE avait pris une délibération entérinant sa décision de reprendre la gestion, en tant qu’activité sociale et culturelle, de l’émission des titres-restaurant.

 

L’employeur avait accepté d’en rétrocéder la gestion au CSE, mais avait refusé de procéder au transfert du budget afférent à cette gestion, estimant qu’il ne s’agissait pas d’une activité sociale et culturelle. Face à ce refus, le CSE avait saisi le tribunal judiciaire de Nanterre.

 

Le tribunal judiciaire avait fait droit à la demande du CSE. Au motif notamment que le versement de titres-restaurant ne pouvait pas, au cas particulier, être regardé comme obligatoire pour l’employeur, mais avait au contraire un caractère facultatif puisque les salariés avaient accès à un restaurant d’entreprise, le tribunal concluait qu’il s’agissait d’une activité sociale et culturelle à laquelle l’employeur devait contribuer financièrement (2).

 

Sur appel de l’employeur, la cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 27 février 2025, a approuvé le tribunal judiciaire en ce qu’il avait qualifié le versement des titres-restaurant d’activité sociale et culturelle.

 

Cette décision semble retenir une interprétation large de la notion d’activité sociale et culturelle, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’employeur qui peut se voir contraint de verser des contributions significatives, y compris pour une activité qu’il gérait lui-même.

 

Une qualification aux enjeux importants

 

Lorsque le CSE reprend la gestion d’une activité sociale et culturelle jusqu’alors gérée par l’employeur, ce dernier doit lui reverser une subvention intégrant les économies éventuellement réalisées.

 

Conformément à l’article L.2312-81 du Code du travail, la contribution de l’employeur aux activités sociales et culturelles est fixée par accord d’entreprise et, à défaut d’accord, le rapport de cette contribution à la masse salariale brute ne peut pas être inférieur au même rapport existant pour l’année précédente.

 

Le CSE dispose d’un monopole de gestion de ces activités, ce qui lui permet de bénéficier d’une contribution de l’employeur chaque année et, lorsque l’activité est gérée par l’employeur, d’en revendiquer la gestion et de réclamer le financement correspondant.

 

La Cour de cassation admet même que le CSE puisse exiger le montant économisé par l’employeur en cas de gestion directe d’une activité de restauration (3).

 

L’enjeu de la qualification d’activité sociale et culturelle est donc de taille pour les entreprises qui accordent des avantages à leurs salariés.

 

Dans sa décision, le tribunal judiciaire de Nanterre, après avoir qualifié l’attribution des titres-restaurant d’activité sociale et culturelle, a condamné l’employeur à verser des sommes au CSE pour compenser la diminution de la contribution aux activités sociales et culturelles.

 

Par ailleurs, le tribunal a jugé que l’employeur étant libre de mettre fin à la distribution de ces titres, il ne pouvait être condamné à verser des sommes pour la période postérieure à la dénonciation de l’usage.

 

La Cour d’appel a confirmé la condamnation mais a apporté des précisions importantes qui peuvent se résumer ainsi :

 

    • En raison du monopole de gestion du CSE, la gestion des titres-restaurant est déléguée à l’employeur, qui doit reverser les économies faites au CSE, à charge pour lui de les affecter à d’autres activités sociales et culturelles ;

 

    • La dénonciation de l’usage est sans effet sur l’obligation de verser la subvention.

 

Une définition prétorienne des activités sociales et culturelles

 

Le Code du travail ne précise pas quelle est la nature juridique du titre-restaurant. Les textes précisent seulement qu’il s’agit de « titres spéciaux de paiement », émis soit par l’employeur ou le CSE, soit par le biais d’une entreprise spécialisée qui cède les titres restaurant à l’employeur contre paiement (C. trav., art. L. 3262-1).

 

Le Code du travail ne définit pas davantage les activités sociales et culturelles et se contente de lister des exemples d’activités : « Les activités sociales et culturelles tendant à l’amélioration des conditions de bien-être, telles que les cantines, les coopératives de consommation, les logements, les jardins familiaux, les crèches, les colonies de vacances » (C. trav., art. R.2312-35).

 

La question est donc de savoir si les titres-restaurant peuvent être assimilés à des « cantines » et à quelles conditions.

 

Les conditions jurisprudentielles de l’activité sociale et culturelle sont les suivantes (4) :

 

    • Toute activité non obligatoire légalement, quelle qu’en soit sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement ;

 

    • Etre exercée principalement au bénéfice du personnel de l’entreprise ;

 

    • Sans discrimination (5) ;

 

    • En vue d’améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise ;

 

    • Et n’étant pas la contrepartie d’un travail accompli.

 

La cour d’appel de Versailles a vérifié, dans sa décision, si l’attribution des titres-restaurant remplissait ces conditions. Trois d’entre elles retiennent ici notre attention : le caractère facultatif, l’amélioration des conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise, et l’absence de contrepartie du travail accompli.

 

Une vérification superflue du caractère facultatif des titres restaurant ?

 

Le Code du travail oblige l’employeur à mettre à la disposition des salariés un local de restauration répondant à certaines caractéristiques (6).

 

Il n’existe en revanche aucune obligation de mettre en place une cantine d’entreprise ou de verser des titres-restaurant. Et la Cour de cassation ne s’est jamais expressément prononcée sur la question de savoir s’il est possible de pallier l’absence d’un tel local par le versement de titres-restaurant.

 

On peut dès lors s’étonner du fait que la cour d’appel approuve le raisonnement selon lequel le caractère facultatif des titres-restaurant ne serait « pas absolu » car l’employeur « doit attribuer des titres-restaurant lorsqu’il se trouve dans l’impossibilité de mettre à [la] disposition [des salariés] un local de restauration ».

 

Certes, dans des positions anciennes, l’administration avait admis la distribution de titres-restaurant en remplacement du local (7). Toutefois, le Conseil d’Etat a contredit ces positions, jugeant que l’institution de titres-restaurant ne peut être regardée comme un mode d’exécution de l’obligation mise à la charge de l’employeur relative au local de restauration (8).

 

En tout état de cause, la position ancienne de l’administration doit être considérée comme une simple tolérance administrative.

 

Si la solution de la Cour d’appel de Versailles confirme le caractère facultatif des titres-restaurant au cas d’espèce, l’appréciation in concreto qu’elle propose parait discutable.

 

S’agissant de l’appréciation de la condition d’amélioration des conditions de travail, la critique est permis.

 

La cour d’appel, d’une part, rappelle que l’activité sociale et culturelle doit avoir pour objet l’amélioration des conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel « au sein de l’entreprise ».

 

D’autre part, elle estime que l’attribution des titres-restaurant a « bien pour but et pour vocation d’améliorer les conditions de vie » en permettant aux salariés ne souhaitant pas prendre leur repas au sein de la cantine d’entreprise de s’acquitter de leurs frais de repas.

 

La jurisprudence semble adopter une approche assez extensive de l’amélioration des conditions de vie car ici l’amélioration n’est pas forcément en lien avec l’entreprise, d’autant qu’il n’est pas rare que des salariés utilisent ces titres pour faire des courses personnelles.

 

La solution des juges du fond interroge sur l’absence réelle de « contrepartie au travail ».

 

Selon la jurisprudence, l’avantage ne doit pas être versé en contrepartie du travail, ce qui semble découler de la condition tenant à l’amélioration des conditions d’emploi et de vie du personnel.

 

Cette notion de « contrepartie » au travail interroge. Certes, comme le relève la cour d’appel, les titres-restaurant n’étaient pas versés pour récompenser les salariés de l’atteinte d’un objectif par exemple.

 

En effet, pour la Cour de cassation, ne constitue pas une activité sociale et culturelle un voyage financé par l’employeur pour récompenser des salariés d’avoir atteint des résultats déterminés (9).

 

Toutefois, il doit être rappelé que le titre-restaurant doit en principe être reçu à hauteur d’un repas compris dans l’horaire de travail journalier et n’est pas utilisable en principe les dimanches et jours fériés sauf « décision contraire de l’employeur au bénéfice exclusif des salariés travaillant pendant ces mêmes jours » (10).

 

De plus, au cas particulier, la cour rappelle que l’employeur pouvait en suspendre le versement durant les congés.

 

La cour d’appel de Versailles semble donc adopter, s’agissant de cette condition, une approche assez large, et il pourrait être soutenu au vu des arguments susvisés que le versement du titre-restaurant est directement lié à la réalisation d’une prestation de travail quotidienne incluant la pause méridienne.

 

Cet arrêt soulève, en somme, la question de l’interprétation particulièrement large de la notion d’activité sociale et culturelle, notamment à travers l’intégration des titres-restaurant, avec des implications financières potentiellement lourdes pour l’employeur.

 

AUTEURS
 

Anaïs VANDEKINDEREN, Avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

Camille LAFOREST, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) La dénonciation d’un usage requiert l’information individuelle des salariés qui en bénéficient ou sont susceptibles d’en bénéficier, l’information du CSE, et l’application d’un délai de prévenance suffisant (durant lequel des négociations peuvent se tenir afin d’aboutir à un éventuel accord), au terme duquel l’usage cesse de s’appliquer.
(2) Tribunal judiciaire de Nanterre, 10 mars 2023, n°22/0120
(3) Cour de cassation, 30 mars 2010, n°09-12.074
(4) Cour de cassation, 2 décembre 2008, n°07-16.818 ; Cour de cassation, 13 novembre 1975, n°73-14.848.
(5) La Cour de cassation a récemment jugé qu’est illicite la condition d’ancienneté attachée au versement des activités sociales et culturelles (lien : Activités sociales et culturelles : la condition d’ancienneté est illicite).
(6) Articles R.4228-22 et R.4228-23 du Code du travail. Dans les établissements d’au moins cinquante salariés, l’employeur met à leur disposition un local de restauration après avis du CSE. Ce local doit être pourvu de sièges et de tables en nombre suffisant et comporter un robinet d’eau potable, fraîche et chaude, pour dix usagers, et être doté d’un moyen de conservation ou de réfrigération des aliments et des boissons et d’une installation permettant de réchauffer les plats.
Dans les établissements de moins de cinquante salariés, le Code du travail indique simplement que l’employeur met à leur disposition un emplacement leur permettant de se restaurer dans de bonnes conditions de santé et de sécurité. Sous certaines conditions, il est toutefois possible que le repas se prenne dans les locaux affectés au travail.
(7) Le ministre du Travail avait admis que pour pallier les difficultés auxquelles les PME étaient confrontées pour mettre en place un local de restauration, il leur était possible de distribuer des titres-restaurant, avec l’accord des représentants du personnel et à condition qu’il existe des restaurants acceptant les titres-restaurant à proximité (Lettre ministérielle DGT du 19 décembre 1962). L’administration avait ensuite admis que les services de l’inspection du travail pouvaient tolérer cette pratique de substitution lorsque trois conditions sont réunies : des difficultés matérielles d’installation, l’accord de tous les salariés, et l’existence de restaurants, proches du lieu de travail, acceptant les titres-restaurant (Rép. min. n° 8300 : JO Assemblée Nationale, 27 mai 1964, p.1406).
(8) Conseil d’Etat, 11 décembre 1970, n° 75398
(9) Cour de cassation, 2 décembre 2008, n°07-16.818
(10) C. trav., art. R.3262-7 et R.3262-8.

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