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Regards croisés sur la procédure du licenciement pour motif économique en France et au Royaume-Uni (Partie 2)

Regards croisés sur la procédure du licenciement pour motif économique en France et au Royaume-Uni (Partie 2)

Dans notre précédent article « Regards croisés sur la définition du licenciement pour motif économique en France et au Royaume-Uni » (*), nous établissions une comparaison entre les systèmes français et anglais portant sur la définition du licenciement pour motif économique.

 

Ce nouvel article est l’occasion de poursuivre notre étude comparative en s’intéressant désormais à la procédure de licenciement pour motif économique dans ces deux systèmes juridiques, en particulier en ce qui concerne les obligations communes préalables aux licenciements.

 

Que ce soit en droit français ou en droit anglais, la procédure préalable au licenciement pour motif économique diffère selon le nombre de licenciements envisagés. En tout état de cause, dans les deux législations, des obligations identiques sont mises à la charge de l’employeur, quel que soit le nombre de licenciements envisagés.

 

Des règles procédurales identiques à tous les licenciements pour motif économique

En France, tout licenciement, qu’il soit fondé sur un motif personnel ou sur un motif économique, doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

 

Le Royaume-Uni retient quant à lui un concept différent : le juge vérifie la validité du licenciement à l’aune de l’attitude raisonnable de l’employeur (1).

 

C’est en se fondant sur cette notion que, dans la décision Williams v Compair Maxam de 1982, le juge a posé plusieurs principes afin d’éclairer l’employeur sur la procédure à suivre lorsqu’il décide de procéder à des licenciements pour motif économique :

 

    • l’employeur doit rapidement informer les syndicats (lorsqu’ils existent) et les salariés de licenciements imminents ;
    • l’employeur doit, en concertation avec les syndicats (lorsqu’ils existent), définir et appliquer des critères objectifs d’ordre des licenciements ;
    • l’employeur doit rechercher s’il peut offrir un autre emploi au salarié, avant tout licenciement.

 

L’ordre des licenciements : des critères de sélection objectifs

Qu’il s’agisse du droit français ou anglais, l’ordre des licenciements est une étape incontournable qui renvoie, lorsqu’un choix doit être opéré parmi les salariés, à la « sélection » de ceux qui feront l’objet d’un licenciement pour motif économique.

 

En droit anglais, face au silence de la loi, c’est la jurisprudence qui s’est efforcée de guider l’employeur dans la détermination des critères d’ordre des licenciements.

 

Pour le juge anglais, les critères de licenciement ne doivent pas uniquement reposer sur l’opinion de l’employeur mais sur des éléments objectifs, tels que l’assiduité, l’efficacité au travail ou l’ancienneté.

 

Traditionnellement, le principe « Last-in-first-out », ou « dernier entré, premier sorti » était presque toujours utilisé par les employeurs anglais.

 

Néanmoins, l’ancienneté comme unique critère de licenciement est apparu comme pouvant s’apparenter à une discrimination à l’égard, notamment, des femmes ou des minorités ethniques qui, pour, des raisons diverses, peuvent avoir une ancienneté de service plus courte. Ainsi, les employeurs anglais sont désormais moins enclins à recourir à ce seul critère.

 

Par ailleurs, s’il n’existe pas d’accord collectif conclu avec les syndicats de l’entreprise, l’employeur prend en compte une série de critères qu’il applique à chaque salarié susceptible de faire l’objet d’un licenciement pour motif économique.

 

A l’instar du droit français, il détermine les critères en accord avec les représentants des salariés lorsqu’ils existent. Cette méthode est celle qui se rapproche le plus de la réglementation française.

 

En effet, en droit français, si une convention ou un accord collectif fixe les critères à prendre en compte, l’employeur est obligé de les appliquer.

 

A défaut, c’est l’employeur qui fixe lui-même les critères d’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique (CSE) s’il existe, en tenant nécessairement compte des critères fixés par le Code du travail, à savoir :

 

    • les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
    • l’ancienneté de service ;
    • la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
    • les qualités professionnelles appréciées par catégorie (2).

 

Cette liste n’étant pas limitative, l’employeur peut fixer d’autres critères, à condition qu’ils soient objectifs et vérifiables. Il peut également décider de privilégier tel ou tel critère ou les pondérer, dès lors que tous les critères légaux sont pris en considération.

 

Les critères d’ordre, selon le droit français, ne sont pas uniquement des critères en lien avec l’entreprise, mais également avec la vie personnelle et familiale du salarié. Contrairement aux critères anglais, les difficultés personnelles auxquelles peut faire face le salarié sont pris en compte.

 

En droit anglais, la détermination de critères objectifs d’ordre des licenciements est une illustration de l’attitude raisonnable que doit adopter l’employeur pour vérifier la validité du licenciement.

 

Ainsi, même si l’employeur bénéficie de plus de flexibilité pour définir les critères d’ordre des licenciements – ni la loi, ni la jurisprudence ne lui imposant une liste précise de critères à prendre en compte – sa décision reste limitée à l’application de critères de licenciement reposant sur des motifs objectifs et appliqués de manière équitable entre les salariés de l’entreprise.

 

Il peut s’agir, par exemple, des performances et compétences du salarié, de sa capacité d’adaptation, de l’existence ou non d’un dossier disciplinaire, de sa productivité….

 

Une fois les critères identifiés, les employeurs français et anglais doivent les appliquer au sein de la catégorie professionnelle (3), identifiée en amont, dont relèvent les emplois supprimés.

 

Enfin, outre la latitude laissée à l’employeur anglais concernant la fixation des critères d’ordre des licenciements, un autre élément de divergence entre ces deux droits porte sur la conséquence du non-respect des règles de l’ordre des licenciements par l’employeur.

 

En France, si l’employeur n’a pas suivi les critères énoncés par la loi ou ceux fixés par la convention collective, le salarié peut bénéficier de dommages et intérêts en fonction du préjudice subi (dont le juge apprécie souverainement le montant), mais le licenciement ne sera pas dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

En outre, le non-respect des règles relatives à l’ordre des licenciements est sanctionné par l’amende prévue pour les contraventions de 4ème classe (soit 750 euros pour une personne physique et 3750 euros pour une personne morale).

 

Au Royaume-Uni, si l’employeur ne s’est pas comporté comme un employeur raisonnable dans la détermination ou l’application des critères d’ordre, le licenciement sera injustifié (4).

 

L’obligation de reclassement : une étape incontournable et préalable au licenciement pour motif économique

L’employeur doit également respecter une obligation préalable de reclassement. Il s’agit de proposer au salarié concerné par un licenciement pour motif économique un autre poste de travail disponible afin de maintenir/préserver la relation contractuelle qui existe entre l’entreprise et le salarié.

 

L’obligation de reclassement en droit français n’est pas traitée comme une simple règle de procédure. En effet, pour que la cause réelle et sérieuse du licenciement soit retenue, l’employeur doit prouver qu’il est dans l’impossibilité de reclasser les salariés concernés par la mesure de licenciement.

 

Cette obligation figure dans le Code du travail qui prévoit que «Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles […]» (5).

 

Au Royaume-Uni, l’Employment Rights Act de 1996 s’intéresse aux conséquences du refus par le salarié d’un nouveau poste alors qu’il est concerné par un projet de licenciement (6).

 

Néanmoins, la loi ne prévoit pas expressément une obligation de reclassement préalable. Celle-ci a été dégagée par la jurisprudence en se fondant une nouvelle fois sur l’article 98 (4) de l’Employment Rights Act de 1996 qui prévoit l’obligation pour l’employeur de se comporter de manière raisonnable.

 

En effet, il est également attendu de l’employeur qu’il prenne les mesures nécessaires pour vérifier si un autre poste est disponible pour le ou les salariés concerné(s) par une mesure de licenciement pour motif économique.

 

L’employeur français doit rechercher à reclasser le salarié à la fois dans l’entreprise et, le cas échéant, dans les autres entreprises du groupe auquel elle appartient situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

 

En droit anglais, il est seulement précisé que l’offre de reclassement peut être proposée par l’employeur ou l’un de ses associés. Selon la loi anglaise, deux employeurs sont considérés comme associés si :

 

    • l’un est une société dont l’autre a (directement ou indirectement) le contrôle, ou
    • les deux sont des sociétés dont une tierce personne a le contrôle (directement ou indirectement) (7).

 

Ainsi, au regard de la loi anglaise, l’employeur doit rechercher à reclasser ses salariés dans l’une des sociétés du groupe auquel il appartient dès lors qu’il la dirige ou qu’il est dirigé par elle, ou que cette société et celle de l’employeur sont dirigées, directement ou indirectement, par une tierce personne (par exemple par une autre société).

 

La loi française prévoit précisément ce que doit contenir l’offre de reclassement. Celle-ci doit indiquer :

 

    • l’intitulé du poste et son descriptif,
    • le nom de l’employeur,
    • la nature du contrat de travail,
    • la localisation du poste,
    • le niveau de rémunération,
    • la classification du poste (8).

 

La jurisprudence anglaise impose à l’employeur de s’assurer que l’offre de reclassement est suffisamment précise. Il est requis que l’offre contienne des informations spécifiques sur les modalités du poste, notamment sur les compétences requises ainsi que sa localisation.

 

De nouveau, la France a fait le choix de légiférer de manière plus minutieuse.

 

A l’opposé, la réglementation anglaise ne souhaite pas imposer à l’employeur une liste précise d’informations devant être fournies au salarié. Elle se contente, sous le contrôle du juge, d’exposer succinctement les principales obligations auxquelles l’employeur est tenu.

 

De même, l’étendue et les modalités de communication des offres de reclassement sont prévues en détail par la loi française. Elles peuvent être :

 

    • soit communiquées, par écrit, de manière personnalisée, à chacun des salariés concernés par une mesure de licenciement pour motif économique,
    • soit diffusées collectivement à l’ensemble des salariés, par le biais d’une liste élaborée par l’employeur (9).

 

Ainsi, un employeur ne peut pas se contenter d’une proposition orale.

 

Ce n’est cependant pas la solution retenue par la jurisprudence anglaise. Cette dernière considère en effet que l’offre ne doit pas nécessairement être écrite (10). Néanmoins, l’Acas (11) recommande que l’offre ne soit pas faite oralement mais par écrit. Elle peut également être adressée individuellement ou à un groupe de salariés.

 

Enfin, une différence substantielle distingue les procédures française et anglaise concernant les conséquences de l’acceptation ou du refus de l’offre de reclassement.

 

Au Royaume-Uni, si le salarié accepte l’offre de reclassement, il dispose d’une période d’essai de quatre semaines afin de décider si son nouveau poste lui convient. Après ce délai, la loi considère que le licenciement pour motif économique n’a en substance jamais existé. En cas de refus du poste proposé, le salarié est licencié pour motif économique.

 

Toutefois, si le salarié refuse de manière déraisonnable (12) une offre de reclassement adapté , il perdra l’indemnité́ de licenciement pour motif économique à laquelle il était en droit de prétendre (13).

 

En cas de contestation du salarié, le juge devra effectuer deux sortes de contrôles, l’un reposant sur la pertinence de l’offre et l’autre sur le caractère raisonnable du refus. Il semble que le droit anglais cherche à «sanctionner» le salarié qui refuse une offre de reclassement approprié en lui ôtant le bénéfice de l’indemnité́ de licenciement.

 

Une telle possibilité́ n’existe pas en France. En effet, le salarié n’est pas fautif s’il refuse une offre de reclassement, il sera licencié pour motif économique et aura le droit aux indemnités afférentes.

 

En définitive, le législateur français prévoit précisément et de manière détaillée les obligations incombant à l’employeur, contrairement au législateur anglais qui ne prévoit pas de dispositions précises concernant les règles applicables à la procédure de licenciement pour motif économique.

 

Toutefois, le juge anglais s’est efforcé de combler cette « lacune », en établissant, au travers de ses décisions, la conduite à tenir par l’employeur, tout en lui laissant une marge de manœuvre bien plus importante que celle dont bénéficie l’employeur français.

 

A l’inverse du droit français du licenciement pour motif économique, le droit anglais se caractérise par une certaine souplesse et une flexibilité dans la prise de décision et sa mise en œuvre.

 

Christophe GIRARD, Avocat associé, et Camla BOULKOUT, Avocat, CMS Francis Lefebvre Lyon

 

(1) Cette notion figure à l’article 98 (4) de l’ Employment Rights Act de 1996. La jurisprudence avait depuis longtemps posé ce principe dans une décision importante Iceland Frozen Foods Ltd v Jones [1983] ICR 17.
(2) C. trav., art. L.1233-5.
(3) « Pool » en Anglais, c’est-à-dire par groupe de salariés dont l’employeur estime qu’ils effectuent des fonctions similaires.
(4) Si le licenciement est reconnu injustifié, le juge peut ordonner la réintégration ou le réengagement du salarié, cette décision s’imposant à l’employeur. En lieu et place, le juge peut également décider d’octroyer aux salariés une réparation pour le préjudice subi notamment en allouant une indemnité de base (award) qui peut être complétée par une indemnité compensatrice supplémentaire (compensatory award).
(5) C. trav., art L.1233-4.
(6) Articles 138 et 141 de l’Employment Rights Act 1996.
(7) Articles 231 de l’Employment Rights Act 1996.
(8) C. trav., art. D.1233-2-1.
(9) C. trav., art. L.1233-4, al 4.
(10) Roberts v Essoldo Circuit (Control) [1967] ITR 351 : 72.
(11) L’Acas est une institution publique indépendante dont le but est d’améliorer les relations entre employeurs et salariés. Elle peut mettre en place une médiation ou un arbitrage pour résoudre un conflit entre un employeur et un salarié ou un syndicat. Notamment, elle a rédigé plusieurs code intitulés The Acas Code of Practice on disciplinary and grievance procedures qui sont une source importante en droit du licenciement. Ce code n’est juridiquement pas contraignant mais les tribunaux en tiennent compte pour le règlement des litiges.
(12) Ce qui est assez rare en pratique.
(13) Article 141 de l’Employment Rights Act 1996.

 

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(*) Regards croisés sur la définition du licenciement pour motif économique en France et au Royaume-Uni (Christophe GIRARD, Avocat associé, et Camla BOULKOUT, Avocat, CMS Francis Lefebvre Lyon)

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