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Réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles en cas de faute inexcusable : un risque de coût accru pour les employeurs

Réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles en cas de faute inexcusable : un risque de coût accru pour les employeurs

Par deux arrêts rendus en assemblée plénière, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure s’agissant de l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue.

 

En effet, elle décide désormais que la rente versée par la caisse de sécurité sociale aux victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles n’indemnise pas le déficit fonctionnel permanent, de sorte que ces dernières peuvent en demander la réparation intégrale distincte en cas de faute inexcusable (Cass., ass. plén. 20 janvier 2023, n° 21-23.947 et 20-23.673).

 

La notion de déficit fonctionnel permanent correspond, selon le communiqué de la Cour de cassation aux souffrances qu’éprouvent les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle dans le déroulement de leur vie quotidienne, après consolidation, c’est-à-dire lorsqu’elles n’évoluent plus.

 

Rappel du contexte

Pour mémoire, le régime de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles est un régime dérogatoire au droit commun de la responsabilité, puisqu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la survenance de la maladie ou de l’accident est consécutive à une faute de l’employeur.

 

En contrepartie, la réparation accordée à la victime par la sécurité sociale présente un caractère forfaitaire. Ainsi, lorsque la victime de l’accident ou de la maladie est atteinte d’une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 %, elle perçoit une rente forfaitaire.

 

Jusqu’à présent, la Cour de cassation décidait que cette rente indemnisait, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent (Cass. 2ème civ., 11 juin 2009, n° 08-17.581, n° 07-21.768 et n° 08-16.089).

 

Toutefois, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, le salarié peut obtenir, outre la majoration de la rente versée, la réparation par l’employeur des préjudices énumérés à l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale (préjudice d’agrément, préjudice esthétique, souffrances physiques et morales) qui n’ont pas déjà fait l’objet d’une réparation par le versement de la rente.

 

A cet égard, le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 18 juin 2010 (QPC n°2010-8) a décidé que «les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale».

 

Il résulte de cette décision qu’en cas de faute inexcusable, le salarié peut demander la réparation de tous les préjudices non indemnisés par le versement de la rente, étant précisé que cette indemnisation ne se cantonne pas aux préjudices énumérés à l’article L.452-3 dont la liste n’est pas limitative.

 

Mais, la Cour de cassation n’autorisait le salarié à obtenir de l’employeur la réparation distincte de ses souffrances physiques et morales, qu’à la condition de démontrer que celles-ci n’avaient pas déjà été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (Cass. 2ème civ., 28 févr. 2013, n°11- 21.015). Or, une telle preuve était en pratique très difficile à rapporter.

 

Les décisions et leur portée

Dans les deux affaires soumises à l’examen de la Cour de cassation, deux salariés étaient décédés d’un cancer du poumon après avoir inhalé des poussières d’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle.

 

La faute inexcusable de l’employeur ayant été reconnue, leurs ayants droits avaient demandé l’indemnisation du préjudice résultant des souffrances physiques et morales endurées après la date à laquelle leur état avait été déclaré consolidé.

 

Les juridictions du fond saisies de ces demandes ayant rendu des décisions divergentes, les deux affaires ont été portées devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

 

Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation décide que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

 

Pour justifier sa décision la Cour relève que :

 

    • si la jurisprudence en vigueur depuis 2009 était justifiée par le souhait d’éviter une double indemnisation du préjudice, elle était néanmoins de nature à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente ;
    • il ressortait des décisions des juges du fond que les victimes éprouvaient parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n’indemnisait pas les souffrances physiques ou morales ;
    • le Conseil d’Etat décide de manière constante, depuis 2013, qu’ «eu égard à la finalité de la réparation d’une incapacité permanente de travail qui lui est assignée [par les dispositions qui les instituent] la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité».

 

Ainsi, la rente forfaitaire étant considérée désormais comme réparant uniquement les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, les victimes d’une faute inexcusable de l’employeur pourront demander la réparation de leurs souffrances physiques et morales sans avoir à démontrer que celles-ci n’ont pas déjà été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

 

De plus, l’indemnisation de ce préjudice n’étant plus comprise dans la réparation forfaitaire, les victimes pourront en demander la réparation intégrale.

 

S’il ne fait guère de doute que cette nouvelle jurisprudence va faciliter et améliorer l’indemnisation du préjudice personnel subi par les victimes d’une faute inexcusable de l’employeur, elle pourrait avoir des conséquences financières importantes pour les entreprises qui seront tenues de réparer intégralement ce préjudice.

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