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Eclairages de la cour d’appel de Paris sur la loi anti-cadeaux

Eclairages de la cour d’appel de Paris sur la loi anti-cadeaux

La cour d’appel de Paris a rendu, le 29 mars 2017, un arrêt infligeant de lourdes sanctions, sur le fondement de la loi anti-cadeaux, à deux entreprises commercialisant du matériel dentaire et à leur dirigeant commun.


Pour rappel, l’article L.4113-6 du Code de la santé publique1 interdit à toute entreprise fabriquant ou commercialisant des produits de santé remboursés par la sécurité sociale de proposer ou de procurer des avantages « en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte », à certains professionnels de santé.

Au cas particulier, il était reproché aux deux sociétés et à leur dirigeant commun, la mise en place d’un système de fidélisation, entre 2009 et 2013, par lequel des cadeaux2 étaient accordés, via un cumul de points convertibles, aux chirurgiens-dentistes (directement) ou à leurs conjoints et/ou assistants dentaires (indirectement) en contrepartie de l’achat de certains volumes.

C’est notamment à l’occasion de plusieurs plaintes de chirurgiens-dentistes, mécontents de ne pas avoir pu bénéficier d’un voyage à New-York, qu’une enquête a été diligentée par la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) de Paris.

Après avoir été relaxés en première instance, les intimés ont été finalement lourdement sanctionnés en appel, au terme d’un arrêt particulièrement détaillé, pour avoir proposé ou procuré, de manière directe ou indirecte, à des chirurgiens-dentistes, leurs assistantes dentaires et leurs conjoints, des avantages en contrepartie de l’achat de matériels dentaires.

Les amendes prononcées s’élèvent à 75 000 euros (pour les sociétés) et 40 000 euros (pour le dirigeant).

Une attention particulière doit être apportée à cette décision. En effet, au-delà des sanctions relativement importantes prononcées, la Cour retient une interprétation large du dispositif anti-cadeaux au regard des entreprises concernées (1), des bénéficiaires (2) et de la notion d’avantage (3).

1. Sur les entreprises concernées

En l’espèce, était contestée l’application de la loi anti-cadeaux au motif que les sociétés intimées ne commercialisaient pas de produits pris en charge par l’assurance maladie.

L’argument est écarté. Selon la Cour, les produits qui ne font pas partie de la liste de l’article L.165-1 du Code de la sécurité sociale (et qui ne sont donc pas des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale) mais qui sont nécessaires pour réaliser l’acte de chirurgie dentaire lui-même remboursé par l’assurance maladie (tels qu’amalgames dentaires, poudre à empreinte et ciment) doivent être soumis au dispositif anti-cadeaux.

2. Sur les bénéficiaires

Pour les intimés, le dispositif anti-cadeaux ne devait pas s’appliquer aux avantages accordés aux assistants dentaires, dans la mesure où ces derniers n’appartiennent pas à la catégorie des professionnels de santé expressément visée par le dispositif anti-cadeaux.

Là encore, la Cour rejette l’argument. Pour elle, les assistants dentaires, quand bien même ils ne seraient pas expressément visés par les textes, ne peuvent pas recevoir d’avantages de la part des entreprises concernées, dans la mesure où il s’agirait alors d’avantages indirectement versés aux professionnels de santé.

3. Sur la notion d’avantage

La Cour considère que celle-ci doit s’entendre largement et inclure « les cadeaux divers ou libéralités, la prise en charge de frais de voyages, la mise à disposition gratuite de matériel, les avantages en numéraire, les remises ou ristournes sur l’achat de matériel ».

A la lumière de cette définition extensive, la Cour apporte des éclairages intéressants sur la distinction entre cadeau et remise commerciale. Ainsi, alors que la remise : « quel que soit par ailleurs son mode de calcul, constitue un avantage commercial accordé au cabinet dentaire et vient en réduction immédiate ou différée du prix d’achat mentionné sur le tarif », le cadeau « n’a pas cette fonction et s’adresse uniquement à la personne physique […] et n’a aucune incidence sur les comptes de la structure professionnelle de l’acheteur ».

En l’espèce, à plusieurs reprises, la Cour insiste sur le fait que les avantages accordés aux chirurgiens-dentistes n’avaient pas pour finalité une utilisation dans le cabinet dentaire, mais « la satisfaction personnelle du praticien ou de ses proches ».

La Cour conclut qu’ « alors que les différents avantages commerciaux (remises, ristournes, avoirs, …) profitent à la comptabilité de la structure professionnelle en abaissant les coûts d’équipement et de fonctionnement et sont licites lorsqu’ils sont appliqués conformément aux dispositions du code de commerce (transparence et facturation notamment) et du code de la santé publique (les remises et ristournes ne sont pas libres sur le marché du médicament), les cadeaux […] n’ont pas vocation à demeurer dans le cabinet dentaire […] ».

A l’issue de son analyse, la cour d’appel de Paris inflige des sanctions qualifiées d’exemplaires par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et des fraudes (DGCCRF), qui a d’ores et déjà annoncé que « la surveillance [du secteur dentaire] sera maintenue » et que des « actions pédagogiques auprès des praticiens seront par ailleurs entreprises […] afin de promouvoir l’appropriation, par les acteurs économiques, de ces règles de prévention des conflits d’intérêts ».

Cet arrêt doit bien entendu retenir l’attention des acteurs du secteur de la santé. Néanmoins la rigueur des sanctions infligées doit être mise en perspective avec le contexte très particulier dans lequel elles s’inscrivent (à savoir importance des budgets alloués pour les cadeaux, par ailleurs sans aucun lien avec l’activité médicale3, et parts de marché très significatives détenues par les sociétés4).

D’après les informations à notre disposition, un pourvoi en cassation aurait été formé à l’encontre de cet arrêt. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés de la position prise par la juridiction suprême dans cette affaire.

Notes

1 L’Ordonnance n°2017-49 du 19 janvier 2017, en vigueur au plus tard le 1e juillet 2018, abroge six dispositions consacrant le dispositif anti-cadeaux, dont l’article L.4113-6 du Code de la santé publique. Par ailleurs, l’Ordonnance créé trois nouvelles sections au sein du chapitre consacré aux avantages consentis par les entreprises. Ces nouvelles sections maintiennent l’interdiction de principe des avantages consentis (avec des dérogations) mais font état d’un nouveau champ d’application.

2 Il s’agissait notamment d’un séjour à New-York, de sacs à main, de téléphones portables, de vin, de consoles de jeux, d’appareils électroménagers, de montres, de bijoux, d’écrans LED et de piscines.

3 Le budget consacré par les intimés à ces divers avantages est important, le dirigeant reconnaissant « plusieurs millions d’euros chaque année. Il s’agit pour l’année dernière [2012] de deux millions d’euros ».

« La moitié de l’effectif français des chirurgiens-dentistes étant clients de la société ».

Auteurs

Olivier Leroy, avocat associé, droit de la concurrence / droit de la distribution, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Charlène Daycard, avocat, droit de la concurrence / droit de la distribution, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

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