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Redéfinir la société ?

Redéfinir la société ?

Une proposition de loi met en lumière une question souvent présentée comme déterminante dans les réflexions en cours sur l’entreprise : faut-il redéfinir la notion même de société ?

Une proposition de loi annoncée par la Nouvelle gauche met en lumière une question qui est souvent présentée comme déterminante dans les réflexions en cours sur l’entreprise : faut-il redéfinir la notion même de société pour qu’elle intègre des exigences issues de la nécessaire prise en compte de l’intérêt social, de celui des parties prenantes (salariés, créanciers, État, etc.), de la responsabilité sociale et sociétale, des conditions d’une croissance durable et respectueuse de la préservation des biens communs ? La consultation diligentée à la demande du ministre de l’Économie Bruno Lemaire sur le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises appelait déjà à la réflexion sur le sujet et elle a suscité des prises de position souvent incompatibles.

Selon l’article 1382 du Code civil, la société est instituée par des personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Et l’article 1833 ajoute que toute société doit être constituée dans l’intérêt commun des associés. On n’aperçoit guère dans ces deux textes qualifiés « d’archaïques » par les auteurs de la proposition anciens la prise en compte des objectifs évoqués ci-dessus, sauf à retenir le mot « entreprise ». Or la société est devenue la technique dominante d’organisation de l’entreprise en tant qu’unité de production et de plus en plus, en tant qu’acteur citoyen, débiteur d’obligations multiples à l’égard de son environnement.

Pour autant, tenter une redéfinition n’est pas chose simple, indépendamment des objectifs que l’on souhaite privilégier. Les deux définitions semblent certes étriquées et peuvent se voir reprocher de ne prendre en compte que l’intérêt des associés. Mais le mérite que l’on doit leur reconnaître est celui de constituer le plus petit dénominateur commun à toutes les formes sociétaires. Si l’attention se porte spontanément sur les sociétés cotées, on ne peut oublier que d’innombrables sociétés civiles sont utilisées à des fins exclusivement patrimoniales ; que la société permet à beaucoup de petits entrepreneurs d’organiser leur patrimoine pour mieux le sécuriser et que les pouvoirs publics n’ont cessé d’encourager ce choix ; que la société constitue parfois un simple véhicule d’investissement (SICAV par exemple).

À partir de ce constat et compte tenu de l’intérêt que les projets du ministère de l’Économie semblent témoigner pour une redéfinition, plusieurs options sont possibles. On peut d’abord considérer qu’il faut conserver ce plus petit dénominateur commun garant de l’unité du concept de société et chercher par d’autres techniques à promouvoir des finalités sociales ou sociétales. Bien des textes contribuent déjà à cette perspective et le droit français est plutôt précurseur notamment sur les questions de parité, de place faite à la diversité ou encore de responsabilité sociale. Si l’on entend néanmoins dépasser cette option, la tentation sera alors d’intégrer ces finalités dans la définition même de la société, mais au risque de multiplier ensuite les sources de conflits entre associés. L’intérêt de l’entreprise, l’intérêt social, sont des notions vagues et l’on demandera au juge de leur donner un contenu.

Une troisième approche consiste, sans véritable redéfinition, à adjoindre une exigence suffisamment fédératrice pour avoir du sens quelle que soit la forme sociétaire : la proposition de loi évoquée en début précise que la société doit être gérée « en tenant compte des conséquences économique, sociale, environnementale de son activité ». Mais à vrai dire, la proposition combine les deux approches puisqu’elle intègre dans la définition l’exigence que la société soit gérée « conformément à l’intérêt de l’entreprise ».

Les trois options ont leurs défenseurs et l’arbitrage entre elles sera complexe.

 

Auteur

Alain Couret, avocat associé, responsable du service de doctrine juridique et professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université de Paris I)

Redéfinir la société ? – Article paru dans Le Cercle Les Echos le 7 décembre 2017
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