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Syndicats catégoriels : un pouvoir de négociation réduit

La Cour de Cassation juge par un arrêt du 2 juillet 2014 qu’un syndicat catégoriel ne peut valablement négocier et conclure seul un accord intéressant l’ensemble du personnel (Cass. Soc., n°13-14.622). Retour sur les implications pratiques de cette décision.

L’article L. 2232-13 du Code du travail reconnait à un syndicat catégoriel représentatif, affilié à une organisation syndicale catégorielle, le droit de négocier des accords applicables à la catégorie de salariés qu’il a statutairement vocation à représenter.

Ainsi, sous réserve qu’un syndicat catégoriel ait recueilli à lui seul au moins 30% des suffrages valablement exprimés dans le collège qu’il représente au premier tour des élections professionnelles, il est à même de signer seul un accord catégoriel.

En revanche, la capacité d’un syndicat représentatif catégoriel à négocier et conclure des accords intéressant l’ensemble du personnel –des «accords intercatégoriels»– n’est pas expressément abordée par les textes.

La Cour de cassation avait pour partie tranché cette question par un arrêt du 31 mai 2011 : elle y considérait qu’un syndicat représentatif catégoriel pouvait, avec des syndicats représentatifs intercatégoriels, et sans avoir à établir sa représentativité au sein de toutes les catégories de personnel, négocier et signer un accord d’entreprise intéressant l’ensemble du personnel (Cass. Soc. 31 mai 2011, n°10-14.391).

Néanmoins, dans cette hypothèse l’audience électorale du syndicat catégoriel devait être rapportée à l’ensemble des collèges électoraux afin de s’assurer de l’atteinte du seuil de 30% nécessaire à la validité de l’accord collectif.

La question de la capacité d’un syndicat catégoriel à signer seul un accord intercatégoriel demeurait en revanche en suspens.

Saisie de cette problématique, la cour d’appel de Versailles avait annulé un accord intercatégoriel signé par la seule CFE-CGC, au motif que ses statuts ne lui donnaient pas vocation à représenter les ouvriers et employés (CA Versailles, 22 janvier 2013, n°12/00341).

Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, la Cour de Cassation confirme cette position.

Bien qu’attendue cette décision de la Cour de Cassation n’en reste pas moins retentissante.

La Cour de cassation confirme l’annulation de l’accord collectif contesté en énonçant «qu’en application du principe de spécialité, un syndicat représentatif catégoriel ne peut négocier et signer seul un accord d’entreprise intéressant l’ensemble du personnel, quand bien même son audience électorale, rapportée à l’ensemble des collèges électoraux, est supérieure à 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel».

Cette décision résulte d’une application mécanique du principe de spécialité, en vertu duquel «les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts» (article L. 2131-1 du Code du travail), principe leur interdisant d’accomplir un acte étranger à cet objet.

Cette décision a également le mérite de la cohérence : les syndicats catégoriels ne peuvent en effet prétendre à une extension de leur champ d’action à tous les salariés alors même qu’ils ont statutairement choisi de se limiter à la représentation de certaines catégories et bénéficient à ce titre de règles particulièrement avantageuses pour l’appréciation de leur audience (article L. 2122-2 du Code du travail).

Quid des accords d’entreprise conclus depuis la loi du 20 août 2008 avec la CFE-CGC seule ?

La sanction attachée au non-respect du principe de spécialité est pour le moins radicale : faute pour un syndicat catégoriel de s’être adjoint la signature d’un syndicat intercatégoriel, c’est bien la nullité de l’accord qui est a priori encourue, et non sa seule inopposabilité aux catégories de salariés non représentées par le syndicat catégoriel.

Cette nullité pourrait d’ailleurs être soulevée à tout moment par une organisation syndicale, aucun délai de forclusion n’enfermant cette action.

Pour autant, tant que la nullité de l’accord n’a pas été prononcée, ces accords collectifs restent en vigueur.

Aussi, ni l’employeur, ni l’organisation syndicale signataire ne peuvent décider de cesser de les appliquer, sauf à procéder formellement à la dénonciation de l’accord : soit unilatéralement s’il est à durée indéterminée, soit avec l’accord unanime des parties s’il est à durée déterminée.

Un accord nul pouvant d’ailleurs être qualifié d’engagement unilatéral, il est permis de s’interroger sur la nécessité de respecter en sus les formalités de dénonciation propres à de tels engagements (délai de prévenance et information individuelle des salariés), dans l’hypothèse où cet accord nul ne serait pas remplacé par un nouvel accord collectif.

Ajoutons qu’il ne semble pas exister de moyens permettant de régulariser un accord affecté d’une nullité. Ainsi, la validité d’un accord devant être appréciée à la date de sa conclusion, il nous semble que l’éventuelle adhésion d’une organisation syndicale intercatégorielle ne permettrait pas de «valider» a posteriori l’accord.

Quid de la négociation avec la CFE-CGC pour l’avenir ?

Pour l’avenir, il est évidemment recommandé de ne conclure un accord intercatégoriel avec la CFE-CGC que sous réserve de la signature d’une autre organisation syndicale intercatégorielle représentative.

La plus grande vigilance s’impose en particulier lors de la négociation d’accords relatifs à l’épargne salariale, dont la nullité pourrait potentiellement conduire à la remise en cause des exonérations sociales.

Précisons néanmoins que dans des entreprises dont le personnel est très majoritairement cadre et en l’absence d’organisation syndicale intercatégorielle représentative, même s’il ne peut valablement conclure un accord collectif intéressant l’ensemble du personnel avec la CFE-CGC, l’employeur n’est pas pour autant dispensé de l’obligation de négocier avec cette dernière, par exemple lors de la NAO.

Il pourrait enfin être envisagé de préférer à la conclusion d’accords collectifs l’adoption de plans d’actions unilatéraux ou d’accords dérogatoires s’agissant des thèmes pour lesquels la loi autorise de telles alternatives (contrat de génération, égalité hommes-femmes, épargne salariale).

 

Auteurs

Thierry Romand, avocat associé en droit social.

Marie Sevrin, avocat en droit social

 

Article paru dans Les Echos Business le 22 octobre 2014

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