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Droit à l’image : tout manquement cause nécessairement un préjudice au salarié

Droit à l’image : tout manquement cause nécessairement un préjudice au salarié

Dans un arrêt du 19 janvier 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvrait droit à réparation, sans que le salarié n’ait à prouver l’existence de son préjudice (Cass. soc, 19 janvier 2022, n°20-12.420).

 

Bref rappel des règles en matière de droit à l’image du salarié :

Tout salarié conserve la jouissance de droits fondamentaux dans le cadre de sa relation de travail, en ce compris son droit à l’image, garanti par l’article 9 du Code civil qui dispose que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. (…) ».

Dès lors, l’employeur qui entend utiliser l’image de son salarié doit obtenir au préalable son consentement. Ainsi, les juges du fond ont déjà eu l’occasion d’accorder des dommages et intérêts à un salarié dont l’ancien employeur avait continué à utiliser son image malgré son refus (CA Bordeaux, 3 mai 2011, n°10/03599).

 

La consécration du préjudice nécessaire en cas d’atteinte au droit à l’image du salarié :

Dans cette affaire, deux salariés avaient été photographiés avec l’ensemble de leur équipe, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, pour apparaître sur le site internet de leur employeur.

Postérieurement à leur sortie des effectifs de la société, ces deux salariés avaient demandé à leur ancien employeur de retirer du site internet la photo sur laquelle ils apparaissaient.

Faute de réaction de la part de la société, les deux salariés avaient saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le retrait de cette photographie sur le site internet ainsi que le versement de dommages-intérêts par leur ancien employeur au titre de leur droit à l’image.

En cours de procédure, la société avait finalement retiré la photographie litigieuse. En conséquence, la Cour d’appel de Toulouse avait débouté les deux requérants de leur demande de dommages et intérêts, faute pour eux de démontrer « l’existence d’un préjudice personnel, direct et certain » du fait du maintien de la photographie malgré leur demande de retrait.

Dans son arrêt du 19 janvier 2022, la Haute Juridiction a toutefois cassé cet arrêt de la Cour d’appel de Toulouse et jugé que : « Vu l’article 9 du code civil : Il résulte de ce texte que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation, que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation. »

 

Par cet arrêt, la chambre sociale a repris à son compte un attendu de principe récemment dégagé par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 9 du Code civil, selon lequel :

 

« Il résulte de ce texte que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation, et que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation » (Cass., 1ère civ., 2 juin 2021, n°20-13.753, publié au bulletin) ;

 

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une décision antérieure de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, également publiée au bulletin (Cass., 2e civ., 30 juin 2004, n°03-13.416, publié au bulletin).

 

Une décision actant le retour du préjudice nécessaire en droit du travail ?

Pour rappel, la Cour de cassation a mis fin, depuis 2016, à sa jurisprudence qui reconnaissait que le manquement de l’employeur à ses obligations causait nécessairement un préjudice au salarié dont il appartenait seulement au juge d’apprécier l’importance (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.293 ; Cass. soc., 25 mai 2016 n°14-20.578).

Heureux revirement puisque cette jurisprudence antérieure était contestable au regard des principes fondamentaux « constitutionnalisés » (Cons. const. 9 novembre 1999, n° 99-419 DC) de la responsabilité civile imposant l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre eux pour obtenir réparation.

 

Toutefois, par cet arrêt du 19 janvier 2022 et en reprenant l’attendu de principe dégagé par la 1ère chambre civile pour l’appliquer au contentieux prud’homal, la chambre sociale semble opérer un retour progressif vers sa jurisprudence antérieure qui reconnaissait l’existence d’un préjudice nécessaire en droit du travail.

D’autant que cette décision n’est pas isolée puisque la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de réaffirmer l’existence d’un préjudice nécessaire dans plusieurs affaires récentes.

 

En ce sens :

 

    • Au visa de l’article 9 du Code civil, la Cour a considéré que « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation ». Au cas particulier, il était reproché à l’employeur d’avoir produit en justice, dans le cadre d’un litige l’opposant à un salarié, un message adressé à une autre salariée sur le réseau Facebook (Cass. soc., 12 novembre 2020, n°19-20.583) ;
    • Au visa de l’ancien article L.3121-35 (devenu L. 3121-20) du Code du travail, et en procédant à son interprétation à la lumière de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003, la Cour a récemment considéré que le seul constat du dépassement de la durée du travail ouvrait droit à réparation (Cass. soc., 26 janvier 2022, n°20-21.636)
    • Au visa de l’article L.2132-3 alinéa 2 du Code du travail, selon lequel les syndicats peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent, la Cour a jugé que la seule violation des dispositions de l’accord de branche causait un préjudice à l’intérêt collectif de la profession (Cass. soc., 20 janvier 2021, 19-16.283) ;
    • Au visa de l’article L.1235-15 du Code du travail, de l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 1240 du Code civil et de l’article 8, §1 de la directive n°2002/14/CE, la Cour a jugé que l’employeur qui n’a pas accompli, alors qu’il y était légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel, sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, sans qu’il soit besoin d’en rapporter la preuve (Cass. soc., 17 octobre 2018, n°17-14.392 ; Cass. soc., 8 janvier 2020, n°18-20.591).

 

Cet infléchissement doit toutefois être nuancé dans la mesure où, dans d’autres décisions, la Haute Juridiction continue à appliquer les principes fondamentaux de la responsabilité civile et à exiger du demandeur qu’il prouve l’existence de son préjudice.

 

En ce sens, peuvent être citées les décisions récentes :

 

    • Dans un arrêt publié au bulletin, la Cour de Cassation, rejetant le pourvoi d’un salarié, l’a ainsi débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la prétendue violation par son employeur de son obligation de santé de résultat : « La cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a constaté que le salarié se bornait à une déclaration de principe d’ordre général sans caractériser l’existence d’un préjudice dont il aurait personnellement souffert » (Cass. soc., 9 décembre 2020, n°19-13.470) ;
    • Dans d’autres arrêts également publiés, la Cour de cassation a confirmé que le salarié ou les organisations syndicales ne pouvaient se contenter d’invoquer l’exécution déloyale du contrat de travail ou encore la mauvaise foi de l’employeur pour solliciter le versement de dommages et intérêts : « En se déterminant ainsi, sans caractériser l’existence d’un préjudice indépendant du simple retard dans le paiement des salaires causé par la mauvaise foi de l’employeur, le conseil de prud’hommes n’a pas donné de base légale à sa décision » (Cass. soc., 24 juin 2020, n°18-23.869, 18-23.870 et 18-23.871 ; Cass. soc., 25 mars 2020, n°18-11.433 ; ces attendus ont par ailleurs été repris ultérieurement par des arrêts non publiés : Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-13.766 ; Cass. soc., 5 mai 2021, n°19-21.389).

 

Compte tenu de la diversité des décisions rendues, il est aujourd’hui difficile d’établir une ligne de partage claire entre les situations dans lesquelles l’existence d’un préjudice est reconnue sans que le salarié soit tenu d’en rapporter la preuve et celles dans lesquelles le droit commun de la responsabilité civile continue à s’appliquer.

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