Sécurisation des différences de traitement par accord collectif, un cap à suivre
2 décembre 2025
Dégagée en 2015 (Cass. soc., 27 janvier 2015, n°13-22.179, P), la présomption de justification d’une différence de traitement, que la chambre sociale infère de sa formalisation dans un accord collectif, est toujours active.
La Cour de cassation a certes signalé, en 2019, qu’elle n’est pas générale et qu’elle ne s’applique pas systématiquement lorsqu’une différence de traitement est pratiquée au sein de la collectivité de travail par la voie d’un accord collectif (Cass. soc., 3 avril 2019, n°17-11.970, P). Mais on constate qu’aucun arrêt n’a été rendu depuis qui en a écarté l’application.
La chambre sociale a au contraire admis un nouveau cas d’application en présence d’un accord de substitution qui prévoyait le maintien d’un avantage tenant à l’indemnisation des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail au profit des seuls anciens salariés du site de la société absorbée qui bénéficiaient de cet avantage à la date d’effet de l’accord (Cass. soc., 5 février 2025, n°22-24.000, P).
Et elle a confirmé, dans quatre arrêts rendus le 26 novembre, dans des affaires où notre cabinet assure la défense des intérêts de la société, que la présomption est toujours opérante lorsque la différence de traitement concerne des salariés appartenant à des établissements distincts ou affectés à des sites différents (Cass. soc., 26 novembre 2025, n°24-15.680 et autres).
Était en cause, en l’occurrence, l’attribution d’une prime de panier qui résultait d’un engagement unilatéral de l’employeur qui en avait fait bénéficier les seuls salariés affectés sur un site en raison de son isolement géographique rendant impossible la prise de leur repas à leur domicile au moment de la pause méridienne.
Cet avantage avait ensuite été conventionnalisé par un accord collectif conclu à l’occasion d’une négociation annuelle obligatoire (NAO). Des salariés affectés à un autre site réclamant le bénéfice de la prime sur le fondement du principe d’égalité de traitement, une cour d’appel avait fait droit à leur demande en retenant que, s’ils n’avaient pas été victimes de la différence de traitement pratiquée par l’employeur avant que l’avantage soit conventionnalisé, ils auraient conservé cet avantage après l’accord de NAO.
Le raisonnement était subtil, mais il n’a pas égaré la Cour de cassation qui a remis les normes à leur place.
La chambre sociale a rappelé, conformément à une jurisprudence constante, que
« lorsqu’un accord collectif ayant le même objet qu’un engagement unilatéral est conclu entre l’employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de l’entreprise qui ont vocation à négocier pour l’ensemble des salariés et anciens salariés, cet accord a pour effet de mettre fin à cet engagement unilatéral ».
A compter de l’entrée en vigueur de l’accord collectif, la différence de traitement avait donc pour seule source l’accord collectif et bénéficiait corrélativement de la présomption de justification. La chambre sociale juge en conséquence que, s’agissant de la période postérieure à l’accord, la motivation de la cour d’appel était impropre à caractériser que la différence de traitement était étrangère à toute considération de nature professionnelle.
La leçon à tirer fait redoubler d’intérêt la conclusion d’un accord collectif : utile pour cautionner des différences de traitement qu’il paraît objectivement justifié d’instaurer, elle est aussi très efficace pour sécuriser une différence de traitement préexistante dans l’attribution d’un avantage qui a source dans un usage ou dans une décision unilatérale de l’employeur.
L’accord ne permet pas de régulariser la situation antérieure ; mais il assèche les risques de contestation pour l’avenir en mettant fin, ipso jure, à la norme litigieuse à l’origine de la différence de traitement, tout en laissant cette dernière perdurer.
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