Gérant d’une société de l’UES : une fonction incompatible avec tout mandat représentatif au niveau de l’UES
3 décembre 2025
De manière générale, un mandataire social ne peut accéder à des fonctions de représentation du personnel, qu’elles soient électives ou syndicales, que s’il est titulaire d’un contrat de travail au titre duquel il bénéficie de la qualité de salarié.
Par exemple, pour être éligible et accéder aux fonctions de membres du CSE, il faut d’abord être électeur et, à ce titre, être titulaire d’un contrat de travail depuis trois mois au moins dans l’entreprise (1).
De même, pour accéder aux fonctions de délégué syndical, il faut, au titre des conditions de désignation, travailler dans l’entreprise depuis au moins un an.
La qualité de salarié de l’entreprise est donc fondamentale pour accéder aux fonctions représentatives, y compris pour les personnes titulaires de mandats sociaux.
Pour ces derniers, il existe cependant des exigences particulières en ce qu’ils ne doivent pas être assimilés à l’employeur.
En ce sens :
⇒ Pour l’accès aux fonctions de membres du CSE, l’article L.2314-19 al. 1er énonce que « Sont éligibles (…) à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur ainsi que des salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique».
⇒ Pour l’accès aux fonctions de délégués syndicaux, de représentants de la section syndicale ou de représentants syndicaux au CSE, la Cour de cassation écarte les salariés qui détiennent une délégation écrite particulière d’autorité (Cass. soc., 30 oct. 2001 n°00-60.311 ; Cass. soc., 21 mai 2003 n°02-60.100 et n°01-60.882).
L’assimilation du salarié à l’employeur, fondée sur une délégation écrite particulière d’autorité, constitue donc une incompatibilité avec un mandat de représentation du personnel.
Dans un arrêt récent (Cass. soc., 19 novembre 2025, n°24-16.430), la Cour de cassation s’est à nouveau penchée sur cette problématique à propos du gérant d’une société appartenant à une UES, également salarié d’une autre société, appartenant à cette même UES, qui était candidat pour être désigné délégué syndical central au niveau de l’UES.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans le cadre spécifique de l’UES (Cass. soc., 16 avril 2008, n°07-60.382), mais elle précise ici sa position en ce qui concerne la preuve de l’assimilation du salarié à l’employeur s’opposant à sa désignation.
Faits d’espèce
En l’espèce, l’UES était composée de 24 sociétés et avait été constituée conventionnellement.
Un accord « relatif à la mise en place et au fonctionnement des comités sociaux et économiques d’établissement » (CSEE) prévoyait la mise en place d’un comité social et économique (CSE) central et de 11 CSE d’établissement, auxquels les salariés étaient rattachés selon un critère géographique dépendant du lieu de travail.
En vue des élections professionnelles, un syndicat avait présenté comme candidat un salarié d’une des sociétés composant l’UES, également gérant d’une SARL appartenant à l’UES. Il était pourtant mentionné sur les listes électorales affichées en vue de ces élections que l’intéressé était électeur au sein de l’établissement dont relevait son lieu de travail, mais non éligible en raison de son mandat social de gérant.
À l’issue des élections, le candidat n’a pas été élu, mais le syndicat l’a tout de même désigné comme délégué syndical central de l’UES.
Les sociétés membres de l’UES, ainsi qu’un syndicat, ont saisi le tribunal judiciaire pour obtenir l’annulation de la désignation estimant que, en dépit de sa qualité de salarié de l’une des sociétés composant l’UES, il ne pouvait être désigné délégué syndical central de celle-ci dans la mesure où il exerçait parallèlement le mandat de gérant de l’une des sociétés.
Le tribunal judiciaire de Nanterre a cependant rejeté ces demandes considérant que la fonction de gérant du salarié ne le rendait pas inéligible ni ne lui interdisait d’être désigné délégué syndical central dès lors :
-
- qu’il n’était pas démontré que le salarié aurait été titulaire d’une délégation écrite particulière d’autorité ;
-
- qu’il n’était pas l’employeur de salariés ;
-
- et que ses pouvoirs étaient limités, n’ayant pas d’autonomie propre à sa fonction de gérant qui marquerait une forte originalité par rapport à sa fonction de salarié en qualité de directeur technique. Sur ce point, les juges du fond ont observé que l’intéressé n’était qu’une « courroie de transmission » d’une politique de gestion définie par les instances dirigeantes et que cette situation peu autonome était renforcée par son absence totale de pouvoir économique puisqu’il était gérant non-rémunéré et n’était pas associé.
A l’appui d’un pourvoi en cassation, les sociétés composant l’UES ont fait valoir que le mandat social de gérant d’une SARL confère, par sa seule nature, la qualité de chef d’entreprise et que, en conséquence, le salarié était, du fait de son mandat de gérant, inéligible et ne pouvait être désigné délégué syndical central de l’UES, sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’il pouvait être assimilé au chef d’entreprise.
Solution et portée
La Cour de cassation désavoue l’analyse du tribunal judiciaire et décide que le salarié gérant ne peut être désigné délégué syndical central au niveau de l’UES.
Pour justifier cette solution, la Cour, dans un premier temps, se réfère à différents fondements textuels et jurisprudentiels :
-
- à l’article L.2314-19 al. 1 du Code du travail, suivant lequel ne sont pas éligibles comme membres du CSE, notamment, des salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique ;
-
- mais aussi à l’article L.223-18, al. 5 du Code de commerce, aux termes duquel dans les rapports avec les tiers, le gérant d’une SARL est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société.
Elle rappelle également sa propre jurisprudence suivant laquelle ne peut exercer un mandat de représentation du personnel ou syndical au sein d’une unité économique et sociale dont fait partie l’entreprise qui l’emploie le salarié qui ne remplit pas les conditions pour exercer un tel mandat au sein de cette entreprise en raison de son assimilation au chef d’entreprise (Cass. soc., 16 avril 2008, n°07-60.382).
Dans, un second temps, la Cour expose que « le gérant d’une société à responsabilité limitée faisant partie d’une unité économique et sociale, titulaire par ailleurs pour des fonctions techniques d’un contrat de travail, fût-il conclu avec une autre société appartenant à la même unité économique et sociale, ne remplit pas les conditions d’éligibilité requises pour exercer un mandat de délégué syndical central au sein de cette unité économique et sociale en raison du mandat social lui conférant la qualité de chef d’entreprise d’une entreprise incluse dans cette unité économique et sociale ».
La Cour juge donc que la seule détention du mandat de gérant d’une SARL membre de l’UES fait obstacle à l’exercice d’un mandat représentatif dans l’ensemble de l’unité économique et sociale, indépendamment de l’existence d’un contrat de travail liant le salarié en cause à une autre société appartenant à l’UES.
Dans un troisième temps, appliquant cette solution de principe aux faits d’espèce, la Cour relève que le salarié en cause :
-
- détenait le mandat social de gérant de SARL lui conférant la qualité de chef d’entreprise d’une société faisant partie de l’UES ;
-
- et en déduit qu’un tel mandat était incompatible avec celui de délégué syndical central au niveau de l’UES.
Le salarié concerné ne satisfaisait donc pas aux conditions d’éligibilité aux fonctions de délégué syndical central.
Il suit de là que, il n’est pas nécessaire, en l’absence d’une délégation écrite particulière d’autorité, de démontrer l’assimilation du salarié à son employeur en examinant ses pouvoirs effectifs.
En effet, la seule existence d’un mandat social de gérant de SARL confère de plein droit au salarié, la qualité de chef d’entreprise et suffit pour justifier son assimilation à un employeur et, ainsi, exclure toute possibilité de désignation en qualité de délégué syndical.
AUTEURS
Astrid Duboys-Fresney, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
Léo Yamine, stagiaire au sein de la Doctrine sociale, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Suivant cette disposition : « Sont électeurs l’ensemble des salariés âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques »
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