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L’accord constituant ou modifiant le périmètre d’une UES n’est pas un accord interentreprises !

L’accord constituant ou modifiant le périmètre d’une UES n’est pas un accord interentreprises !

Par un arrêt rendu le 6 mars 2024 (n°22-13.672), la chambre sociale de la Cour de cassation, prenant le contrepied de ce qui avait été jugé par la cour d’appel de Versailles (CA, Versailles, 20 janvier 2022, n°21/02009), décide que l’accord portant reconnaissance ou modification conventionnelle d’une unité économique et sociale (UES) ne constitue pas un accord interentreprises.

 

Cette décision relance le débat – ancien – sur la qualification juridique de l’accord de configuration de l’UES.

 

En effet, la loi est muette sur ce sujet et se borne à préciser que « lorsqu’une unité économique et sociale regroupant au moins onze salariés est reconnue par accord collectif ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, un comité social et économique commun est mis en place.» (C. trav., art L.2313-8).

 

Par le passé, la Cour de cassation a d’abord décidé que l’accord constitutif d’UES obéissait aux règles de validité du protocole d’accord préélectoral requérant l’unanimité des organisations syndicales intéressées (Cass. soc., 31 mars 2009, n°08-60.494), avant d’opérer un revirement de jurisprudence en décidant que « la reconnaissance ou la modification conventionnelle d’une unité économique et sociale ne relève pas du protocole d’accord préélectoral mais de l’accord collectif signé, aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette UES » (Cass. soc., 14 novembre 2013, n°13-12.712 ; Cass. soc., 11 juillet 2016 n°14-50.036).

 

Par la suite, la loi du 8 août 2016 a institué l’accord interentreprises dont elle a précisé le régime juridique.

 

Ainsi, aux termes de l’article L.2232-36 du Code du travail, un tel accord «peut être négocié et conclu au niveau de plusieurs entreprises entre, d’une part, les employeurs et, d’autre part, les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées».

 

La représentativité des organisations syndicales dans le périmètre de l’accord est alors appréciée «par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections précédant l’ouverture de la première réunion de négociation» (C. trav., art. L.2232-37).

 

Enfin, s’agissant des taux de 30% ou de 50% nécessaires à la validation de l’accord, ils sont appréciés à l’échelle de l’ensemble des entreprises comprises dans le périmètre de cet accord.

 

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de ce dispositif, la Cour de cassation se prononce sur l’application du régime juridique des accords interentreprises aux accords portant constitution d’une UES ou en modifiant le périmètre.

 

Rappel des circonstances de l’affaire

 

Dans cette affaire, en vue d’étendre le périmètre d’une UES à de nouvelles sociétés, une négociation avait été engagée avec les organisations syndicales représentatives à l’échelle du nouveau périmètre de l’UES.

 

Une organisation syndicale, qui était représentative au sein de l’UES préexistante mais ne l’était plus au niveau du nouveau périmètre de celle-ci, et qui n’avait pas été conviée à la négociation, avait alors saisi le tribunal judiciaire de Nanterre pour demander à participer aux négociations.

 

Après avoir reconnu que la négociation en cause relevait bien du régime des accords interentreprises, le tribunal avait, de façon surprenante, fait droit à la demande de l’organisation syndicale.

 

Les entreprises constitutives de l’UES préexistante ayant fait appel de ce jugement, la cour d’appel de Versailles a retenu, par un arrêt du 20 janvier 2022, que l’accord portant sur la configuration de l’UES relevait bien du régime des accords interentreprises.

 

Le syndicat a formé un pourvoi en cassation.

 

La solution de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel de Versailles qui avait reconnu en ces termes que l’accord de configuration de l’UES était un accord interentreprises :

 

« Négocié entre des entreprises juridiquement distinctes, l’accord de configuration de l’UES constitue un accord interentreprises dans les termes de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

 

Il obéit donc au régime des articles L.2232-36 et L.2232-37 du Code du travail lesquels disposent qu’un accord peut être négocié et conclu au niveau de plusieurs entreprises entre, d’une part, les employeurs et, d’autre part, les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées tandis que la représentativité des organisations syndicales dans le périmètre de cet accord est appréciée conformément aux règles définies aux articles L.2122-1 à L.2122-3 relatives à la représentativité syndicale au niveau de l’entreprise, par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections précédant l’ouverture de la première réunion de négociation.

 

Il s’en déduit que les organisations syndicales ayant vocation à participer à la négociation sont celles, qui par cumul des voix obtenues au niveau de chacune des entreprises concernées, soit à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées, ont franchi le seuil de 10%, ce sans qu’il y ait lieu de faire de distinction entre la représentativité des organisations présentes au niveau de l’UES Capgemini et celles des entreprises “entrantes”.

 

Or, selon les modalités de calcul susvisées, l’organisation syndicale demanderesse ne franchissant pas le seuil de 10%, le jugement de première instance doit être infirmé en ce qu’il a enjoint à l’entreprise agissant pour le compte des sociétés de l’UES, de convoquer ce syndicat à la négociation de l’accord de révision portant sur la configuration de l’UES. »

 

La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement des juges d’appel. La Haute juridiction écarte en effet la qualification d’accord interentreprises de l’accord constitutif d’une UES, en retenant que «l‘accord collectif portant reconnaissance d’une unité économique et sociale, dont l’objet est essentiellement de mettre en place un comité social et économique selon les règles de droit commun prévues par le Code du travail, ne constitue :

 

ni un accord interentreprises qui permet la mise en place, dans les conditions prévues par l’article L.2313-9 du Code du travail, d’un comité social et économique spécifique entre des entreprises d’un même site ou d’une même zone et dont les attributions seront définies par l’accord interentreprises ;

 

ni un accord interentreprises permettant de définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises dans les conditions prévues par les articles L.2232-36 à L.2232-38 du Code du travail ».

 

Elle rappelle ensuite sa jurisprudence antérieure selon laquelle :

 

« Une UES ne pouvant être reconnue qu’entre des entités juridiques distinctes prises dans l’ensemble de leurs établissements et de leur personnel, toutes les organisations syndicales représentatives présentes dans ces entités doivent être invitées à la négociation portant sur la reconnaissance entre elles d’une unité économique et sociale (Cass. soc., 10 novembre 2010, n°09-60.451 » ; et que

 

« la reconnaissance ou la modification conventionnelle d’une unité économique et sociale ne relève pas du protocole d’accord préélectoral mais de l’accord collectif signé, aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette unité économique et sociale (Cass. soc., 14 novembre 2013, n°13-12.712) ».

 

Elle en conclut que «l’accord de révision d’un accord portant reconnaissance d’une unité économique et sociale ne constitue pas un accord interentreprises de sorte que ne sont pas applicables, les dispositions des articles L.2232-36 [appréciation de la représentativité des organisations syndicales à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées], L.2232-37 [appréciation de la représentativité syndicale par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les établissements concernés] et L. 2232-38 [appréciation des taux de 30% et de 50% nécessaires à la validation de l’accord à l’échelle de l’ensemble des entreprises comprises dans le périmètre de l’accord] du Code du travail.»

 

Doivent en conséquence participer à la négociation de l’accord, toutes les organisations syndicales représentatives dans l’une quelconque des entités faisant partie du périmètre de l’UES, quand bien même elles ne sont pas représentatives au niveau de l’ensemble des entités concernées.

 

S’il est encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences de cette décision, il ne fait guère de doute que celle-ci va susciter de nombreuses interrogations pour tous les praticiens de l’UES.

 

Une intervention législative qui viendrait, une fois pour toutes, préciser l’ensemble du régime juridique applicable à l’UES, de sa création à sa disparition, serait de nature à sécuriser l’utilisation de ce dispositif ancien, créé par la jurisprudence, et qui n’a jamais fait l’objet d’un traitement global dans le Code du travail.

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