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Validité du forfait en jours : les dernières précisions de la Cour de cassation

Validité du forfait en jours : les dernières précisions de la Cour de cassation

Par deux arrêts en date du 10 janvier 2024 (n°22-15.782 et n°22-13.200), la Cour de cassation a rappelé avec vigueur l’importance du suivi et du contrôle effectif de la charge de travail du salarié en forfait jours :

 

d’une part, en affirmant, pour la première fois, que la méconnaissance des dispositions supplétives par l’employeur entrainait la nullité de la convention individuelle de forfait en jours du salarié (Cass. soc., 10 janvier 2024, n°22-15.782) ;

 

d’autre part, en rappelant que l’employeur devait remédier en temps utile à la surcharge de travail du salarié dont il a été informé (Cass. soc., 10 janvier 2024, n°22-13.200).

 

Le non-respect des dispositions supplétives entraîne la nullité de la convention individuelle de forfait

 

Depuis la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, l’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doit, notamment, déterminer (C. trav., art. L.3121-64) :

 

    • les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
    • les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise.

 

Néanmoins, si l’accord collectif ne prévoit pas de suivi de la charge de travail ou est insuffisant, et afin de sécuriser et d’éviter la nullité des conventions de forfait en jours, la loi Travail a instauré des dispositions supplétives.

 

Ce dispositif « béquille » permet à l’employeur de conclure valablement une convention individuelle de forfait en jours avec un salarié, sous réserve de respecter certaines conditions (C. trav., art. L.3121-65) :

 

    • qu’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées soit établi, sous la responsabilité de l’employeur;
    • que l’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
    • qu’un entretien annuel dédié à la charge et à l’organisation du travail soit organisé.

 

Dans la première affaire (n°22-15.782), la Cour de cassation était amenée, pour la première fois, à se prononcer sur la méconnaissance par l’employeur de ces dispositions supplétives.

 

En l’espèce, un salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour demander la nullité de sa convention individuelle de forfait jours.

 

L’accord collectif relatif à la réduction et l’aménagement du temps de travail du 5 septembre 2003 applicable dans le champ de la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires qui permettait la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours n’étant pas conforme aux prescriptions légales, l’employeur s’était fondé sur le régime dérogatoire pour conclure une convention de forfait en jours avec le salarié.

 

La cour d’appel devait donc vérifier si les prescriptions supplétives posées par l’article L.3121-65 du Code du travail avaient, dans les faits, été respectées par l’employeur.

 

Dans son appréciation, la Cour a relevé que si l’employeur avait bien mis en place un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées et que le salarié avait renseigné les documents de suivi mensuel, ces derniers ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié.

 

De plus, le salarié avait, notamment, mis en avant qu’il lui était interdit de procéder à toute modification dudit document qui lui était adressé par le service des Ressources Humaines.

 

La cour d’appel a ainsi considéré qu’il importait peu que les tableaux aient pu être renseignés par le salarié dès lors que ceux-ci devaient être établis sous la responsabilité de l’employeur.

 

Partant, elle a estimé que, dans ces conditions, il apparaissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire.

 

Elle a également relevé que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.

 

Dans ce contexte, la cour d’appel a fait droit aux demandes du salarié et a annulé sa convention de forfait en jours pour non-respect des dispositions supplétives.

 

L’employeur a formé un pourvoi contre cette décision.

 

La Haute juridiction, suivant l’analyse de la cour d’appel, a considéré que « en cas de manquement à l’une de ces obligations [supplétives], l’employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l’article L. 3121-65 du code du travail. Il en résulte que la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l’accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l’article L.3121-64, II, 1° et 2°, du même code, est nulle. »

 

Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle, avec vigueur, qu’il est de la responsabilité de l’employeur de s’assurer que :

 

d’une part, ce document de suivi de la charge de travail est dument renseigné ;

 

et que, d’autre part, il retranscrit exactement la réalité de la situation. De surcroit, elle ajoute que n’a pas d’impact une potentielle erreur dans cette retranscription imputable au salarié, dès lors que c’est sur l’employeur que repose la responsabilité de contrôler la véracité dudit document et qu’il engage sa responsabilité en cas de manquement. La seule instauration de mesures de « rattrapage » ne suffit pas, encore faut-il les respecter.

 

Si la jurisprudence de la Cour de cassation reste sévère en la matière, il nous semble nécessaire de rappeler néanmoins que cette dernière vient d’admettre, dans le cadre d’un contentieux relatif aux heures supplémentaires, hors convention de forfait en jours, la recevabilité des éléments probatoires produits par l’employeur pour démontrer l’existence ou le nombre d’heures de travail réellement accomplies par ses salariés, alors qu’il avait manqué à son obligation de décompte du temps de travail par un système objectif, fiable et accessible (Cass. soc., 7 février 2024, n°22-15.842).

 

Des contraintes internes à l’entreprise ne peuvent constituer un motif légitime au manquement de l’employeur à son obligation de suivi

 

Dans une seconde affaire (n°22-13.200), la Cour de cassation rappelle que l’employeur est tenu de mettre en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail d’un salarié qui serait incompatible avec une durée raisonnable de travail.

 

En l’espèce, un salarié avait saisi la juridiction prud’homale en contestant, notamment, la validité de sa convention individuelle de forfait en jours du fait de la méconnaissance des dispositions de l’article L.3121-60 du Code du travail et de l’article 2.4 de l’avenant n°22 du 16 décembre 2014 de la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants.

 

En effet, les dispositions d’ordre public prévoient, que l’employeur doit régulièrement s’assurer que la charge de travail du salarié est raisonnable et qu’elle permet une bonne répartition dans le temps de son travail.

 

L’accord de branche, quant à lui, prévoit que l’employeur est tenu d’organiser un entretien annuel avec le salarié afin d’évoquer sa charge de travail, l’amplitude de ses journées d’activité, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sa rémunération.

 

En l’espèce, le salarié faisait valoir que, lors de son entretien en 2017, il avait alerté son employeur en signalant son état de fatigue, l’impact sérieux de sa charge de travail, le dépassement de son forfait et le non-respect ponctuel de son repos hebdomadaire. Il indiquait également n’avoir été convoqué qu’au mois de mars 2019 pour son entretien au titre de l’année 2018.

 

Tout en relevant ces différents points, la cour d’appel n’a pas fait droit aux demandes du salarié.

 

En effet, la Cour a suivi l’argumentaire développé par l’employeur en retenant que ce dernier justifiait d’un motif admissible et légitime pour justifier du retard dans la tenue de l’entretien, dès lors que ce retard était la conséquence de la démission du Directeur général de la société, suivi de l’entrée en fonction d’un nouveau Directeur des opérations.

 

S’agissant des autres griefs portant sur une surcharge de travail, la cour d’appel a retenu que des jours de récupération avaient été octroyés au salarié, que son forfait avait été diminué et qu’enfin les jours de dépassement avaient donné lieu à compensation.

 

Saisie par un pourvoi formé par le salarié, la Haute juridiction a, quant à elle, pris le contrepied de la position adoptée par la cour d’appel.

 

En effet :

 

  d’une part, la Cour de cassation a considéré que des contraintes internes à l’entreprise ne pouvaient justifier un défaut d’entretien, d’autant plus que le salarié avait alerté son employeur l’année précédente sur l’impact sérieux de sa charge de travail ;

 

d’autre part, la Cour a profité de cette occasion pour rappeler que les mesures à mettre en œuvre pour remédier à la charge de travail du salarié incompatible avec une durée raisonnable du travail, doivent impérativement être mises en œuvre en temps utile. En effet, afin de garantir la santé et sécurité du salarié, l’action de l’employeur doit nécessairement, pour être efficace, être contemporaine et concomitante au signalement du salarié ou au constat effectué par la société.

 

A travers ces deux décisions, la Cour de cassation réaffirme l’impérieuse nécessité pour l’employeur d’assurer un suivi effectif et réel de la charge de travail des salariés bénéficiant d’une convention de forfait en jours.

 

AUTEURS

Anaïs Vandekinderen, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

Mathilde Cadiou, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

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