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Barème Macron : une résistance modérée des juges du fond non tolérée par la Cour de cassation

Barème Macron : une résistance modérée des juges du fond non tolérée par la Cour de cassation

Malgré les décisions de la Cour de cassation du 11 mai 2022 validant le barème d’indemnisation applicable en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, certaines cours d’appel continuent de résister. Pour autant, le constat est celui de l’essoufflement des tentatives de non-application du barème. Et, de son côté, la Cour de cassation continue de casser les arrêts de cour d’appel écartant le barème.

 

Pour mémoire, le Comité européen des Droits sociaux «CEDS» a rendu une décision le 23 mars 2022 s’agissant du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse fixé à l’article L.1235-3 du Code du travail, estimant, à l’unanimité, que le barème était contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne, et ce, malgré la position du Conseil d’Etat, du Conseil Constitutionnel, et les décisions de la Cour de cassation, en particulier celles du 11 mai 2022 (1), jugeant que le barème est bien conforme aux normes internationales, et applicable en droit interne.

 

Le CEDS a, en particulier, relevé que les plafonds fixés par le barème ne sont pas suffisants et que le barème fait obstacle à l’application du droit commun de la responsabilité civile qui permet, en principe, une indemnisation des préjudices en fonction de l’importance concrète du dommage.

 

Nonobstant la décision du CEDS, la Cour de cassation a jugé en mai 2022 :

 

Que la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct dans les litiges entre salariés et employeurs, et ne s’adresse qu’aux Etats, contrairement à la Convention 158 de l’OIT dont l’article 10 contient des dispositions claires et inconditionnelles (2) ;

 

Que le barème est conforme à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT ;

 

Que le contrôle de conventionnalité in concreto permettant au juge national d’écarter le barème lorsque son application ne permet pas de tenir compte de la situation personnelle du salarié, doit être écarté.

 

Si cette décision de la Cour de cassation semblait avoir définitivement mis un terme à tout débat sur la validité du barème, cette dernière ayant depuis (y compris très récemment, dans un arrêt du 6 septembre 2023) réaffirmé sa position (3), certaines juridictions du fond tentent la résistance.

 

La motivation originale de la cour d’appel de Grenoble, écartant l’application du barème Macron sur différents fondements

 

Dans une affaire ayant donné lieu à une décision de la cour d’appel de Grenoble du 16 mars 2023 (4), une salariée avait saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle justifiait de huit années d’ancienneté et pouvait, en application du barème Macron, prétendre à une indemnisation comprise entre trois et huit mois de salaire.

 

Estimant que ledit barème était contraire à l’article 10 de la convention OIT nº158 et n’était pas de nature à indemniser le préjudice subi à raison de la perte injustifiée de son emploi, elle réclamait une indemnisation supérieure au barème.

 

Relevant un manquement à l’obligation de sécurité et de loyauté, le conseil de prud’hommes avait prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail.

 

La société ayant fait appel du jugement, la cour d’appel de Grenoble a écarté l’application du barème et condamné la société au paiement d’une indemnité équivalente à vingt mois de salaire en tenant compte, au cas d’espèce :

 

    • de la précarité de la salariée au regard de l’emploi, étant précisé qu’elle était âgée de 57 ans au jour de son licenciement ;
    • de ce que la résiliation judiciaire du contrat de travail sollicitée par la salariée avait été prononcée en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, de sorte que la société avait porté atteinte au droit à la santé, droit constitutionnellement garanti. La Cour retient que l’article L.1235-3-1 du Code du travail (prévoyant une indemnité pour nullité de la rupture au moins égale à 6 mois de salaire) devait s’appliquer, peu important que la nullité ne soit pas sollicitée par la salariée, ce qui apparaît au demeurant contestable car la salariée ne demandait pas la requalification en licenciement nul.

 

Pour justifier cette solution, la cour d’appel relève :

 

    • d’une part, que, selon la Cour de cassation, les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail sont seulement «compatibles» avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, ce qui implique qu’il puisse faire l’objet d’adaptation, notamment une mise en conformité au moyen, selon le comité d’experts de l’OIT, d’une action positive de l’Etat français ;
    • d’autre part, que le comité d’expert de l’Organisation Internationale du Travail a imposé au gouvernement français, sur le fondement de la Convention n°158 de l’OIT, un examen régulier des modalités d’application du barème, afin de s’assurer qu’il permet dans tous les cas une réparation adéquate du préjudice (5). Or, le gouvernement français n’ayant pas réalisé un tel examen du texte depuis son entrée en vigueur le 24 septembre 2017, la cour d’appel de Grenoble juge que l’article L.1235-3 du Code du travail doit être purement et simplement écarté.

 

Ainsi, plutôt que de s’appuyer sur l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui, selon la Cour de cassation, n’a pas d’effet direct dans les litiges entre salariés et employeurs, la cour d’appel s’est fondée, dans cette décision, sur l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT qui, lui, est d’effet direct.

 

A cet égard, les magistrats précisent que si la décision du comité d’experts n’est pas «une décision émanant d’une juridiction supranationale s’imposant au juge français», elle a néanmoins «une autorité significative» (6).

 

Depuis cette décision, la cour d’appel de Grenoble a de nouveau écarté l’application du barème, mais en s’appuyant cette-fois sur l’article 24 de la Charte sociale européenne, estimant, malgré la position de la Cour de cassation, que celui-ci est d’effet direct dans les litiges entre particuliers, ce qui apparaît critiquable au vu de son libellé très général (7).

 

 

Une modeste tentative de résurgence d’un contrôle de conventionnalité in concreto non validée par la Cour de cassation

 

Parmi les décisions récentes sur ce thème, notons que les cours d’appel de Grenoble et de Douai ont, au vu des circonstances de l’espèce, refusé d’écarter l’application dudit barème (8).

 

Dans ces décisions, les cours se contentent d’indiquer qu’au regard du préjudice subi par le salarié au vu des éléments fournis, le moyen tiré de l’inconventionnalité des barèmes n’était pas opérant en l’espèce.

 

Certaines cours tentent donc de réaliser un contrôle de conventionnalité in concreto du barème (ampleur du préjudice, âge et état de santé du salarié), pour tenir compte des circonstances de l’espèce malgré la position de la Cour de cassation qui refuse un tel contrôle.

 

Cette dernière se retrouve à casser les arrêts de cour d’appel écartant le barème au regard des circonstances particulières d’espèce (9).

 

La Cour de cassation ne tolère aucune dérogation à sa position.

 

Un alignement de la majorité des cours d’appel sur la position de la Cour de cassation

 

Pour rappel, les cours d’appel s’étaient déjà largement alignées sur la position de la Cour de cassation à la suite des avis rendus le 17 juillet 2019 (10).

 

Le mouvement se poursuit et se généralise depuis les arrêts de la Cour de cassation de mai 2022, la majorité des cours d’appel faisant application des plafonds du barème Macron, comme le prouvent les décisions récentes rendues notamment par les cours d’appel de Versailles, Paris, Lyon et Aix-en-Provence (11).

 

Les décisions de juridictions du fond écartant le barème devraient donc se faire de plus en plus rares à l’avenir.

 

AUTEURS

Anaïs VANDEKINDEREN, Avocate Senior, CMS Francis Lefebvre Avocats

Camille LAFOREST, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) CE Réf. Ord. 7 décembre 2017, n°415243 ; Conseil const., décision n°2018-761 DC du 21 mars 2018 ; Cass. soc. avis, 17 juillet 2019, n°15012 et n°15013 ; Cass. ass. plén., 11 mai 2022, n°21-15.247 et n°21-14.490.

(2) Pour autant, la nuance est ténue, la rédaction de l’article 10 de la Convention de l’OIT étant plutôt générale et vague, et présentant de grandes similitudes avec l’article 24 de la Charte sociale européenne.

(3) Cass. soc., 1er février 2023, n°21-21.011 ; Cass. soc., 6 septembre 2023, n°22-10.973.

(4) CA de Grenoble, 16 mars 2023, n°21/02048

(5) Décision approuvée par le conseil d’administration de l’OIT en mars 2022.

(6) Notons que la CA de Douai avait, quelques mois plus tôt, écarté l’application du barème Macron (CA de Douai, 21 octobre 2022, n°20/01124).

(7) CA de Grenoble, 22 juin 2023, n°21/03352. La cour d’appel de Grenoble s’est en partie fondée sur une décision rendue par le tribunal supérieur de justice de catalogne, ayant appliqué l’article 24 de la Charte. La cour d’appel a en outre relevé que « Les premières études de l’application concrète des barèmes confirment en conséquence qu’ils ne permettent pas une indemnisation adéquate des licenciements sans cause réelle et sérieuse en particulier, mais pas exclusivement, pour les salariés ayant une ancienneté faible ou réduite » (dans le même sens : CA de Grenoble, 6 juillet 2023, n°21/03641).

(8) CA de Grenoble, 8 juin 2023, n°21/02982 ; CA de Grenoble, 7 septembre 2023, n°21/03679 ; CA de Douai, 27 janvier 2023, n°20/02359.

(9) Cass. soc., 6 septembre 2023, n°22-10.973

(10) CA de Paris, 9 janvier 2020, n°18/02066 ; CA de Chambéry, 4 février 2020, n°18/01987 ; CA de Paris, 4 mars 2020, n°18/06675 ; CA de Basse-Terre, 25 mai 2020, n°19/00251 ; CA de Paris, 30 octobre 2019, n°16/05602.

(11) CA de Versailles, 8 juin 2023, n°21/00430 ; CA de Versailles, 29 juin 2023, n°21/02790 ; CA de Paris, 8 juin 2023, n°21/01081 ; CA de Lyon, 5 juillet 2023, n°20/03564 ; CA d’Aix-en-Provence, 24 mars 2023, n°19/00244 ; CA de Bordeaux, 27 juillet 2023, n°21/00837 ; CA de Colmar, 28 juillet 2023, n°22-01020 ; CA d’Angers, 10 août 2023, n°22-00108 ; Cour d’appel de Nancy, 7 septembre 2023, n°21/01300.

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