Mise en place d’un PSE au niveau de l’UES : après celles du Conseil d’Etat, les précisions de la Cour de cassation
21 novembre 2022
La mise en place d’un PSE au niveau de l’UES fait l’objet d’une jurisprudence riche et évolutive qui tient compte du cadre applicable aux plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), issu de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.
Depuis lors, les juridictions administratives détiennent désormais une compétence exclusive pour apprécier la validité des aspects collectifs (procédure d’information-consultation ; contenu du plan de reclassement etc.) du PSE, mis en place par accord collectif ou par un document unilatéral soumis au contrôle de l’administration.
Les juridictions judiciaires conservent, quant à elles, le pouvoir d’apprécier l’application individuelle du PSE aux salariés concernés (critères d’ordre, mesures de reclassement), ainsi que l’existence du motif économique et l’indemnisation du salarié licencié en cas d’annulation de la décision de validation ou d’homologation du PSE.
Les juges relevant de l’ordre administratif et judicaire sont ainsi amenés, au gré des contentieux, à clarifier le régime juridique du PSE dans leurs domaines de compétence respectifs, notamment lorsque la mise en œuvre de celui-ci est envisagée au niveau d’une unité économique et sociale (UES) reconnue par accord collectif ou par décision de justice.
Ainsi, tout récemment, le Conseil d’Etat a reconnu, pour la première fois, la possibilité de négocier et de conclure un accord collectif déterminant le contenu d’un PSE au niveau d’une UES.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a néanmoins approuvé les juges du fond d’avoir annulé la décision de validation de l’accord collectif portant PSE conclu au niveau de l’UES, pour un motif tenant à la qualité des parties signataires de l’accord.
En effet, l’UES n’ayant pas la personnalité morale, l’accord conclu dans le périmètre spécifique de l’UES ne pouvait être valablement conclu par le représentant de l’une des entités composant l’UES – comme c’était le cas en l’espèce – mais devait l’être par chacune des entreprises constituant l’UES ou par l’une d’entre elles, sur mandat exprès préalable des autres entreprises membres de l’UES, ainsi que par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau de l’UES (CE, 2 mars 2022, n°438136) (1).
Dans le sillage de cette décision, la Cour de cassation, par un arrêt du 28 septembre 2022 (n°21-19.092), s’est également prononcée sur la problématique de la mise en place du PSE au niveau de l’UES, mais sur des aspects différents.
Si l’arrêt du Conseil d’Etat portait sur le principe même de la conclusion d’un accord portant PSE au niveau de l’UES et ses modalités de conclusion, l’apport de la décision de la Cour de cassation concerne les conséquences de la reconnaissance d’une UES sur le niveau d’appréciation des conditions d’effectif et du nombre de licenciements envisagés pour la mise en place du PSE.
Retour sur les principaux enseignements de cette décision.
Les faits d’espèce : le niveau d’appréciation des conditions requises pour la mise en place d’un PSE
Pour rappel, les entreprises d’au moins cinquante salariés qui envisagent de licencier au moins 10 salariés sur une période de 30 jours, doivent mettre en place un PSE par accord collectif majoritaire ou par décision unilatérale.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par une société appartenant à un groupe de huit sociétés entre lesquelles avait été reconnue, par décision de justice, l’existence d’une UES.
Deux des sociétés concernées, dont l’employeur du salarié, ont alors interjeté appel de cette décision.
La liquidation judiciaire de la société employeur du salarié ainsi que celles des autres entreprises du groupe ayant été prononcée par plusieurs jugements du tribunal de commerce, le mandataire liquidateur a procédé au licenciement pour motif économique de ce salarié dont le contrat de travail a été rompu d’un commun accord du fait de son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.
Le mandataire liquidateur s’est ensuite désisté de l’appel interjeté par les sociétés contre la décision judiciaire reconnaissant l’existence d’une UES.
Le salarié a alors saisi la juridiction prud’homale, aux fins de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, en soutenant que la décision de licencier les salariés ayant été prise au niveau de l’UES, c’est à ce niveau qu’auraient dû être appréciées les conditions d’effectif et de nombre de licenciements pour la mise en œuvre d’un PSE.
Se posait donc la question de savoir si les conditions d’effectif et de nombre de licenciements donnant lieu, le cas échéant, à la mise en place d’un PSE, doivent s’apprécier au niveau de l’UES lorsque le jugement reconnaissant ce périmètre fait l’objet d’une contestation judicaire au fond.
La cour d’appel a débouté le salarié de sa demande en considérant qu’au jour de l’engagement de la procédure de licenciement, le jugement de reconnaissance de l’UES n’était pas définitif puisque, d’une part, la procédure d’appel était toujours en cours et que, d’autre part, ce jugement n’était pas assorti de l’exécution provisoire.
En conséquence, la décision de licencier n’avait pu être prise au niveau de l’UES et c’est donc au seul niveau de l’entreprise que devaient s’apprécier les conditions de mise en place du PSE.
Le salarié s’est alors pourvu en cassation en considérant que le jugement reconnaissant l’existence de l’UES, ayant un caractère déclaratif et rétroactif à la date de l’acte introductif d’instance, avait autorité de la chose jugée, même frappé d’appel et non assorti de l’exécution provisoire, jusqu’à sa réformation éventuelle par la cour d’appel. Il considérait ainsi qu’il pouvait se fonder sur ce jugement pour contester son licenciement.
La solution du juge : seule une décision judiciaire définitive ou assortie de l’exécution provisoire reconnaissant l’UES peuvent permettre la mise en place d’un PSE à ce niveau
La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond en se fondant essentiellement sur le rappel des règles de procédure civile.
En effet, pour rejeter la demande du salarié, la Cour se réfère à l’article 539 du Code de procédure civile, suivant lequel : «Le délai de recours par une voie ordinaire suspend l’exécution du jugement», afin d’affirmer qu’une décision frappée d’appel, qui n’est pas assortie de l’exécution provisoire, ne peut pas servir de base à une demande en justice tendant à la réalisation des effets de cette décision.
La Cour approuve donc la cour d’appel d’avoir décidé que c’est au seul niveau de la société employeur et non de l’UES que devaient s’apprécier les conditions de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
Ainsi, seule une décision définitive (en cas d’absence d’appel, d’arrêt confirmatif rendu en appel ou de désistement d’appel) reconnaissant l’UES ou assortie de l’exécution provisoire peut :
-
- permettre d’apprécier si les conditions de mise en place du PSE, en termes d’effectif et de nombre de licenciements, sont réunies au niveau de l’UES ;
-
- et servir de base à la contestation par un salarié licencié du niveau décisionnel auquel sont décidés les licenciements.
Ce faisant, la Cour de cassation adopte un raisonnement identique à celui qu’elle avait déjà tenu dans une précédente affaire, portant sur la demande d’annulation de la désignation d’un délégué syndical au niveau d’une UES. La Cour avait fait droit à cette demande au motif que le jugement reconnaissant l’existence d’une UES n’était pas assorti de l’exécution provisoire et faisait l’objet d’un appel au jour de la désignation litigieuse (Cass. soc. 29 mai 2013, n°12-60.262).
Si ce raisonnement n’est pas nouveau, sa portée l’est davantage et concourt à la clarification des règles de mise en place du PSE dans un périmètre plus large que celui de l’entreprise, en l’espèce, l’UES.
Portée de la solution : vers une clarification croissante des règles de mise en place du PSE dans un périmètre dépassant l’entreprise
Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle, à titre préliminaire, qu’«il résulte des articles L. 1233-61 et L. 1233-58 du Code du travail, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017, que les conditions d’effectif et de nombre de licenciements dont dépend l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi s’apprécient au niveau de l’entreprise que dirige l’employeur».
Ce principe de mise en place du PSE au niveau de l’entreprise fait l’objet d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation suivant laquelle les conditions déterminant l’élaboration du PSE s’apprécient :
-
- au niveau de l’entreprise ou de l’établissement concerné par les mesures de licenciement économique envisagées au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée (Cass. soc., 16 janv. 2008, n°06-46.313 ; Cass. soc., 28 janv. 2009, n°07-45.481 ; Cass. soc., 13 juill. 2010 n° 09-65.182) ;
-
- y compris lorsque l’entreprise appartient à une UES (Cass. soc., 16 janvier 2008 n° 06-46.313) ;
-
- ou à un groupe (Cass. soc., 26-2-2003 n° 01-41.030 ; Cass. soc., 23 sept. 2008, n°07-42.862) ;
-
- ou encore à un groupement d’intérêt économique (Cass. soc., 30 juin 2004, n°02-42.672).
Ni la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi ni les ordonnances de septembre 2017 n’ont remis en cause ce principe.
Ainsi, l’instruction du 19 juillet 2013, relative à la mise en œuvre de la procédure de licenciement économique collectif instaurée par la loi du 14 juin 2013, précise que «L’accord collectif majoritaire est négocié par les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. Il ne peut pas être négocié au niveau de l’établissement, mais son périmètre d’application peut être l’établissement» (Fiche 1, I).
Toutefois, concernant le niveau du groupe, bien que la jurisprudence n’ait pas encore, à notre connaissance, consacré la mise en place du PSE à ce niveau, des arguments militent en ce sens.
En premier lieu, l’article L. 2232-33 al. 1 du Code du travail, modifié par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, précisant que : «L’ensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions, sous réserve des adaptations prévues à la présente section».
Par ailleurs, l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 a ouvert la possibilité de prévoir, par un accord de groupe, que les informations et consultations ponctuelles, parmi lesquelles figure la consultation relative aux projets de restructuration et de compression des effectifs, sont effectuées au niveau du comité de groupe (C. Trav., art. L. 2312-56).
Concernant l’UES, la Cour de cassation avait déjà admis une exception au principe selon lequel les conditions d’effectif et le nombre de licenciements s’apprécient au niveau de l’entreprise, lorsque la décision de licencier est prise au niveau de l’UES (Cass. soc., 16 nov. 2010, n°09-69.485 ; Cass. soc., 9 mars 2011, n°10-11.581).
Dans cette hypothèse, l’employeur est alors tenu de mettre en œuvre le PSE dans l’UES, sauf fraude (Cass. soc., 30 nov. 2017, n°15-14.303 ; Cass. soc., 17 mars 2021, n°18-16.947).
C’est ce qu’elle rappelle dans son arrêt du 28 septembre 2022 en rappelant que «les conditions d’effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l’obligation d’établir un PSE s’apprécient au niveau de l’entreprise. Il n’en va autrement que lorsque, dans le cadre d’une unité économique et sociale (UES), la décision de licencier a été prise au niveau de l’UES».
Le Conseil d’Etat a retenu la même exception dans un récent arrêt du 2 mars 2022 dont la motivation est particulièrement intéressante sur ce point.
En effet, les Sages ont considéré que l’absence de personnalité morale de l’UES ne fait pas obstacle à la conclusion d’un accord PSE à ce niveau bien que celle-ci «ne se substitue pas aux entités juridiques qui la composent», c’est-à-dire, concrètement, «n’est pas l’employeur des salariés des entreprises qui la composent» (concl. Rapp. Public F. Dieu).
Pour justifier cette exception au périmètre de l’entreprise pour la mise en place du PSE, le Conseil a insisté sur «l’objet» spécifique de l’UES «constituée par voie conventionnelle ou par voie judiciaire, qui est d’assurer la protection des droits des salariés appartenant à une même collectivité de travail, en raison de l’existence, en dépit d’entités juridiques distinctes, d’activités complémentaires ou similaires de celles-ci et d’une concentration du pouvoir de direction économique et d’une unité sociale, en permettant une représentation de leurs intérêts communs (…)».
Au-delà des différences relatives aux instances en cause, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont tous les deux admis dans ces deux affaires la possibilité de négocier un accord relatif à un PSE au niveau d’une UES :
-
- selon le Conseil d’Etat, « l’accord prévu à l’article L 1233-24-1 précité peut être conclu au niveau de l’UES » ;
-
- selon la Cour de cassation, dans le cadre d’une UES, la décision de licencier peut être prise au niveau de l’UES.
Par ces récentes décisions, la Cour de cassation, comme le Conseil d’Etat, participent donc à la consolidation du périmètre de l’UES pour la mise en place du PSE, qui déroge à celui de l’entreprise. Précisons, néanmoins, que la seule appartenance de l’entreprise à une UES n’implique pas nécessairement que l’effectif et le nombre de licenciements soient appréciés dans ce périmètre, encore faut-il que la décision de licencier ait été prise à ce nveau.
Béatrice TAILLARDAT-PIETRI, Responsable adjoint de la doctrine sociale et Astrid DUBOYS-FRESNEY, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocat
(1) L’UES : confirmation d’un nouveau périmètre de négociation d’un accord majoritaire fixant le contenu du PSE (Laura SULTAN, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats)
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