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Elections professionnelles : la détermination des électeurs à l’aune de la décision du Conseil constitutionnel

Elections professionnelles : la détermination des électeurs à l’aune de la décision du Conseil constitutionnel

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la conformité à la Constitution de l’article L.2314-18 du Code du travail tel qu’interprété par la Cour de cassation qui excluait de l’électorat les salariés assimilés à l’employeur pour les élections professionnelles, le Conseil constitutionnel a prononcé l’inconstitutionnalité de la disposition du Code du travail en cause, obligeant par conséquent le législateur à revoir sa copie (décision n° 2021-947 QPC du 19 novembre 2021).

 

Dans l’attente de l’entrée en vigueur du texte modifié, les employeurs vont tout de même devoir tenir compte de cette décision lors de l’organisation des élections.

 

La décision du Conseil constitutionnel

La QPC soumise aux Sages portait sur les dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail aux termes duquel «sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques».

 

Si cette disposition n’emporte pas par sa rédaction même exclusion de l’électorat des salariés assimilés à l’employeur, son interprétation, telle qu’elle résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, a cependant conduit à exclure du corps électoral les salariés qui, soit disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d‘entreprise (1), soit représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives, le CSE mais également les représentants de proximité (2).

 

Or l’interprétation jurisprudentielle d’une disposition entre bien dans les compétences du Conseil constitutionnel comme ce dernier l’a d’ailleurs confirmé en reconnaissant à « tout justiciable le droit de contester la constitutionalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » (3).

 

C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L. 2314-18 du Code du travail contraire à la Constitution en jugeant que : «en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d’électeur à l’élection du comité social et économique, au seul motif qu’ils disposent d’une telle délégation ou d’un tel pouvoir de représentation, ces dispositions portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs garanti au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946».

 

A cet égard, il est singulier de constater que dans un souci de ménager la susceptibilité du juge, lorsque le Conseil constitutionnel remet en cause l’interprétation d’une disposition légale par la jurisprudence, il censure la disposition légale qui en est le support alors même que cette disposition telle qu’elle est rédigée n’est pas en cause.

 

A l’occasion du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi déposé le 7 septembre 2022 à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a réécrit l’article L. 2314-18 pour se conformer aux exigences constitutionnelles et sécuriser les élections professionnelles.

 

L’article 3 du projet de loi prévoit de modifier comme suit les dispositions de l’article L.2314-18 du Code du travail : «sont électeurs l’ensemble des salariés âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques».

 

L’ajout des mots « l’ensemble » a pour objet d’englober la totalité des salariés, sans distinction des fonctions occupées pour permettre aux salariés assimilés à l’employeur de faire partie des collèges électoraux.

 

L’article 3 du projet de loi inscrit par ailleurs pour la première fois dans la loi les critères d’exclusion en matière d’éligibilité retenus de façon constante par la chambre sociale de la Cour de cassation et non remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel.

 

Il prévoit ainsi que ne sont pas éligibles «les salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique».

 

Le projet de loi a été approuvé par le Conseil d’Etat dans un avis n°405.699 du 5 septembre 2022, qui considère que la rédaction actuelle permet de «lever toute difficulté d’ordre constitutionnel s’agissant de la définition du corps électoral».

 

En revanche, concernant les conditions d’éligibilité, la juridiction administrative a estimé que l’article L. 2314-19 du Code du travail qui exclut de l’éligibilité les salariés qui peuvent être assimilés à l’employeur, ne violait pas le principe d’égalité, ni le droit de participation des travailleurs qui peut être valablement limité par la loi, compte tenu de «l’incidence que les attributions exercées ou les fonctions occupées seraient, par elles-mêmes, de nature à avoir sur le bon fonctionnement des comités sociaux et économiques».

 

Quelles conséquences sur les élections professionnelles en cours ?

Jugeant que l’abrogation immédiate de l’article L. 2314-18 du Code du travail aurait pour effet de supprimer toute condition pour être électeur aux élections du CSE, le Conseil constitutionnel a prévu de reporter l’abrogation de l’ancien article L.2314-18 du Code du travail déclaré contraire à la Constitution, au 31 octobre 2022.

 

En effet, compte tenu des conséquences qu’auraient eu une abrogation immédiate des dispositions relatives à l’électorat, le Conseil constitutionnel a décidé d’en différer les effets de sa décision dans le temps.

 

Ainsi pour toutes les élections organisées avant le 1er novembre 2022, il y a – sans aucun doute – lieu d’organiser les élections sur la base de l’ancienne disposition de l’article L. 2314-18 du Code du travail – même si elle a été déclarée contraire à la Constitution – puisqu’elle ne sera abrogée que le 31 octobre 2022.

 

A cet égard, le Conseil constitutionnel a précisé que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

 

La question est plus ardue s’agissant des élections donnant lieu à la négociation d’un protocole d’accord préélectoral avant le 1er novembre 2022 lorsque le premier tour des élections est fixé après cette date.

 

En effet, selon une jurisprudence constante, l’appréciation des conditions d’électorat s’effectue à la date de l’élection, c’est-à-dire à la date du premier tour de scrutin (Cass. soc., 6 juillet 1983, n° 82-60.613 ; Cass. soc., 1er décembre 2010, n° 10-60.163).

 

Or, à cette date, les dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail dans leur rédaction actuelle auront cessé d’être applicables.

 

Il reste à espérer que les parlementaires prendront en compte l’urgence et la nécessité de promulguer à temps la loi pour sécuriser les élections professionnelles à venir.

 

Dans le cas contraire, la prudence devrait conduire à permettre aux salariés qui peuvent être assimilés à l’employeur de voter effectivement lors du premier tour des élections organisé après le 31 octobre 2022.

 

Il n’en demeure pas moins que l’absence de définition du corps électoral à compter de l’abrogation de l’article L. 2314‑18 du Code du travail au 1er novembre 2022 sera, si elle devait persister, une source d’insécurité juridique pour les processus électoraux en cours.

 

(1) Cass. soc., 6 mars 2001 n°99-60.553
(2) Cass. soc., 31 mars 2021 n°19-25.233
(3) CC, décision n° 2010-96 QPC du 4 février 2011

 

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