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Proposition simultanée d’une modification du contrat pour motif économique et d’une modification des conditions de travail : Le mieux est parfois l’ennemi du bien

Proposition simultanée d’une modification du contrat pour motif économique et d’une modification des conditions de travail : Le mieux est parfois l’ennemi du bien

Si la modification des conditions de travail s’impose au salarié qui ne peut en principe la refuser sans s’exposer à une sanction pouvant aller jusqu’à son licenciement, il n’en est pas de même lorsque cette modification s’est inscrite dans une proposition de modification du contrat de travail.

 

C’est-ce que réaffirme la Chambre sociale de la Cour de cassation dans une récente décision (Cass. soc., 28 septembre 2022, n°21-13.058).

 

Un employeur avait ainsi proposé à une salariée, en raison de difficultés économiques, une mutation géographique dans le même secteur géographique et une réduction de son salaire contractuel.

 

La salariée a refusé cette proposition dans son ensemble. Son employeur l’a alors informée qu’il renonçait à la modification de sa rémunération et que le nouveau lieu de travail entrant dans le même secteur géographique, sa mutation ne constituait qu’un changement des conditions de travail qui s’imposait donc à elle.

 

La salariée ayant refusé de rejoindre son nouveau lieu de travail, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en reprochant à son employeur de lui avoir imposé unilatéralement une modification de son contrat de travail.

 

Déboutée de sa demande, la salariée a interjeté appel devant la cour d’appel de Bordeaux afin de demander qu’il soit jugé que la mutation sur un nouveau lieu de travail, proposé sur le fondement de l’article L. 1222-6 du Code du travail, caractérisait nécessairement une proposition de modification du contrat de travail pour motif économique.

 

La cour d’appel de Bordeaux n’a pas davantage suivi l’argumentation de la salariée au motif que «la distance qui sépare l’ancien lieu de travail, à savoir la commune de Bordeaux du nouveau lieu de travail, celle de Mérignac, n’est pas telle que ces deux adresses peuvent être considérées comme relevant d’un secteur géographique différent, la commune de Mérignac jouxtant celle de Bordeaux et faisant partie de la communauté de communes « Bordeaux Métropole».

 

Selon la Cour, la société n’était pas contrainte de recueillir préalablement l’accord de la salariée pour l’affecter à son nouveau lieu de travail, de sorte que le refus par la salariée d’accepter le changement de ses conditions de travail et de rejoindre les locaux de Merignac est illégitime. (CA. Bordeaux, 2 décembre 2020, n°17/06196)

 

Ainsi, la Cour d’appel a simplement appliqué la jurisprudence relative à la modification du lieu de travail en rappelant qu’en l’absence de clause de mobilité, une mutation dans le même secteur géographique constitue un simple changement des conditions de travail qui s’impose au salarié sans prendre en considération le fait qu’en l’espèce, le changement de lieu de travail avait été proposé dans le cadre d’une procédure de modification pour motif économique du contrat de travail.

 

La Chambre sociale a, dès lors, cassé cet arrêt au motif qu’il importe peu que la mutation de la salariée s’opère dans le même secteur géographique dès lors que le changement de lieu de travail s’est inscrit dans la procédure de modification du contrat de travail pour motif économique : «En statuant ainsi, alors qu’elle ne pouvait, en l’état de la proposition faite par l’employeur conformément à l’article L. 1222-6 du code du travail, dénier l’existence de la modification du contrat de travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés

 

En d’autres termes, recourir à la procédure de modification du contrat de travail pour un motif économique implique nécessairement de requérir l’accord du salarié, peu important que le changement envisagé constitue un simple changement des conditions de travail.

 

Une continuité jurisprudentielle

En 1999, la Cour de cassation (Cass. soc., 12 juillet 1999, n°97-41.738) avait déjà fait preuve de sévérité dans une situation similaire.

 

Dans cette affaire, un employeur avait proposé, dans le cadre d’une procédure de modification du contrat de travail pour motif économique, tant une réduction du temps de travail qu’un changement de lieu de travail constituant une simple modification des conditions de travail.

 

Le salarié avait refusé cette proposition et avait donc continué de se présenter sur son lieu de travail habituel. L’employeur, estimant que le changement de lieu de travail ne modifiait pas le contrat de travail, avait refusé de fournir du travail au salarié.

 

Ce dernier avait alors saisi la juridiction prud’homale d’une demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements commis par l’employeur.

 

Le salarié fut débouté en appel au motif que seule la réduction du temps de travail proposée par l’employeur constituait une modification de son contrat mais non le changement du lieu de travail, simple modification des conditions de travail.

 

Partant, le salarié ne pouvait prétendre se maintenir sur son lieu de travail habituel et aurait dû se rendre sur son nouveau lieu de travail : le refus de fournir du travail de l’employeur n’était donc pas fautif.

 

Saisie de cette question, la Cour de Cassation avait cassé cet arrêt au motif que la cour «ne pouvait, en l’état de la proposition faite par l’employeur conformément à l’article L.321-1-2 du Code du travail (devenu l’article L. 1222-6 du Code du travail), dénier l’existence de la modification du contrat de travail».

 

La formulation retenue en 2022 est strictement la même qu’en 1999. L’arrêt commenté vient donc confirmer une tendance jurisprudentielle constante :

 

l’employeur qui recourt à la procédure de modification du contrat de travail ne peut imposer la modification au salarié quand bien même celle-ci ne constituerait qu’un simple changement des conditions de travail.

 

Il est donc impératif de vérifier en amont la nature de la modification envisagée et de lui appliquer la procédure correspondante.

 

Et lorsque la modification envisagée constitue un simple changement des conditions de travail, l’employeur ne doit pas laisser au salarié la faculté de la refuser.

 

En effet, le salarié ne peut pas se voir imposer un changement des conditions de travail quelle qu’en soit la nature si :

 

    • la procédure de modification pour motif économique est observée (Cass. soc., 9 juillet 2014, n°13-11.212, Cass. soc., 26 octobre 2017, n°16-17.138),
    • ou si un simple changement des conditions de travail est proposé dans le cadre d’un avenant au contrat de travail (Cass. soc., 6 mars 2019, n°17-23.205, et Cass. soc., 14 octobre 2020, n°19-10.167).

 

Dans ces hypothèses, le salarié a, par principe, le droit de refuser et, dans ce cas, l’employeur doit poursuivre la relation de travail de la même façon ou prendre la décision de le licencier, même si la modification envisagée constitue en réalité un simple changement des conditions de travail.

 

Et si la proposition de modification ne repose ni sur un motif économique au sens de l’article L.1233-3 du Code du travail ni sur un motif personnel, le salarié pourrait la refuser sans que cela constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 27 mai 2020, n°18-19.605).

 

L’employeur n’a ainsi aucun intérêt à faire du « 2 en 1 » si les modifications en cause ont une nature différente : appliquer la procédure de modification du contrat de travail à un changement des conditions de travail, c’est nécessairement être tenu d’appliquer le régime y afférent, peu important la nature réelle de la modification envisagée.

 

Recommandation

Face à cette jurisprudence, il conviendra de redoubler de prudence lors de l’élaboration de tout projet, en particulier pour motif économique, en isolant, si besoin, ce qui concerne uniquement un changement des conditions de travail de ce qui constitue une modification du contrat de travail.

 

En pratique, il appartiendra ainsi aux entreprises de traiter différemment une modification des conditions de travail et une modification du contrat de travail, même si les deux s’avèrent être justifiées par une raison économique.

 

Dans la décision d’espèce, une telle distinction aurait permis à l’employeur d’imposer à la salariée la mutation géographique, dès lors que cette dernière se situait dans le même secteur géographique et que l’employeur avait abandonné son projet de modifier la rémunération contractuelle. Une occasion manquée…

 

Marie-Pierre SCHRAMM, Avocat associé et Antoine DEPARDAY, Juriste, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

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