Une proposition de loi pour relancer l’encadrement de l’esport ?
4 décembre 2025
Le 18 novembre 2025, a été enregistrée à l’Assemblée nationale une proposition de loi n° 2106 « pour un esport responsable et attractif ».
Cette proposition, composée de sept articles, a pour objectif de retravailler et sécuriser l’environnement juridique de l’esport en France en (I) modernisant et adaptant le cadre instauré par la loi pour une République numérique et (II) en insérant de nouvelles règles pour l’écosystème esportif.
Suppression du CDD esportif, autorisation des tournois en ligne payants et encadrement de la profession d’agent esportif, de quoi relancer les discussions sur l’esport.
Moderniser et adapter l’existant
Â
Sécuriser le passeport talent pour les esportifs (Article 1)
L’article 1 de la proposition a pour objet d’inscrire dans la loi l’accès au « passeport talent » mention « renommée internationale » pour les joueurs et entraîneurs d’esport.
Une instruction interministérielle du 15 mai 2023 avait déjà demandé à l’administration consulaire et préfectorale de considérer qu’étaient éligibles à cette carte de séjour les joueurs et entraîneurs étrangers « dont la renommée nationale ou internationale est établie ou qui est susceptible de participer de façon significative et durable au développement économique, au même titre que l’exercice d’une activité dans un domaine intellectuel ou sportif » (https://cms.law/fr/fra/news-information/l-extension-du-passeport-talent-aux-joueurs-professionnels-de-jeux-video-et-a-leurs-entraineurs).
Une inscription dans la loi permettrait de sécuriser l’accès au dispositif et d’attirer et sécuriser la venue de talents étrangers.
Exigences d’honorabilité et de sécurité pour les encadrants liés à l’esport (Article 2)
L’article 2 de la proposition de loi n° 2106 vient compléter et préciser les dispositions de la loi pour une République numérique introduites par la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 et relatives aux conditions d’honorabilité pour exercer des fonctions d’encadrement dans le domaine du jeu vidéo (https://www.jurisportiva.fr/articles/la-nouvelle-obligation-dhonorabilite-pour-les-encadrants-esport/).
Depuis 2022, un décret devait être publié afin de préciser les modalités de mise en œuvre de ces obligations mais cela n’a jamais été le cas. Le nouvel article a pour objectif de préciser les conditions d’honorabilité en vue de la future publication du décret.
Autorisation des compétitions en ligne payantes (Article 3)
L’article 3 de la proposition de loi a pour but d’autoriser l’organisation de compétitions esportives en ligne avec des droits d’entrée.
A ce jour, seules les compétitions en la présence physique des participants peuvent engendrer des frais de participation pour les joueurs sous réserve que le total des frais de participation ne soit pas supérieur au coût de l’organisation de la compétition (Article L.321-9 du Code de la sécurité intérieure).
La proposition de loi étend ce mécanisme aux compétitions en ligne en les faisant sortir du régime des jeux d’argent et de hasard tout en laissant le détail des modalités d’application à un futur décret.
Ce changement est susceptible de favoriser le développement des circuits compétitifs en ligne, notamment amateurs, en permettant une meilleure structuration chez les amateurs et en facilitant également la détection de talents français lors de ces compétitions.
Cependant, en 2016, ce modèle n’avait pas été autorisé du fait de l’importance des risques de triche, de blanchiment d’argent et d’addiction pour les joueurs. Ainsi, un véritable travail d’encadrement devra être prévu par le décret afin d’éviter au maximum ces risques dans un écosystème esportif qui, en dehors du haut niveau, peut manquer de maturité. Une piste à envisager pourrait être celle de la labellisation de certains organisateurs de tournois, afin de gérer au mieux l’organisation des tournois (Vakarm.net, Tournois en ligne payants : une interdiction à repenser ?, Paul Letartre).
Suppression du CDD esportif (Article 5)
Enfin, une autre modification importante de la loi pour une République numérique est la suppression définitive du CDD esportif par l’article 5 de la proposition de loi.
Cette suppression peut apparaître logique au regard du peu d’appétence pour ce modèle contractuel par les parties concernées, qu’il s’agisse tant des joueurs que des équipes, comme nous avions pu l’évoquer (BJT nov. 2025, n° BJT205e9, A. Friedlander, P. Letartre).
Reste à savoir par quoi le CDD esportif serait remplacé ? Sur ce point, la proposition de loi ne se prononce pas clairement, puisqu’elle renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de préciser « les caractéristiques et clauses obligatoires » de ce nouveau contrat.
Toutefois, il est à noter que, si le terme « salarié » était supprimé du I de l’article 102, le joueur professionnel de jeu vidéo resterait défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire. Or, le lien de subordination reste le critère central du contrat de travail, permettant de le différencier d’autres types de contrat tel que le contrat de prestation de service.
L’exposé des motifs donne par ailleurs quelques pistes sur ce que devrait être ce nouveau contrat, en précisant qu’il devra permettre « d’assurer à la fois la sécurité juridique des clubs et la protection des joueurs, tout en tenant compte de la nature intermittente et compétitive de leur activité ».
Il n’est pas inutile de rappeler que le droit du travail connaît un contrat de travail intermittent (articles L. 3123-33 et s. du Code du travail), qui est très largement répandu dans le sport amateur et qui a donné lieu à la négociation d’un article spécifique au sein de la convention collective nationale du sport (article 4.5). Est-ce à dire qu’un tel modèle pourrait être source d’inspiration pour l’esport ?
A noter que le mécanisme de l’agrément du ministre chargé du numérique est conservé. Ainsi, pour utiliser le contrat établi par décret, il sera toujours nécessaire d’obtenir cet agrément.
De nouvelles propositions
Au sein de la proposition de loi, figurent parmi les nouveautés :
La mise en place d’un cadre sécurisé pour les évènements esportifs (Article 4)
Ce cadre sécurisé passerait notamment par un encadrement de la consommation d’alcool, et par un dispositif répressif spécifique des comportements violents, haineux ou discriminatoires des spectateurs, prévoyant notamment l’introduction d’une peine complémentaire d’interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords d’une enceinte accueillant une compétition de jeu vidéo, soit le pendant de l’interdiction judiciaire de stade dans le sport traditionnel.
Ces nouvelles infractions inscrites dans le Code de la sécurité intérieure viennent sans aucun doute en réaction aux incidents survenus lors du championnat de France de Valorant en avril 2025 mais aussi à l’envahissement de la scène ayant eu lieu lors du Major de Counter Strike à Copenhague.
L’encadrement de la profession d’agent esportif (Article 6)
Selon cet article, l’exercice de cette profession serait soumis à l’obtention d’une licence délivrée par un organisme désigné par voie réglementaire.
L’ensemble des modalités d’obtention, de suspension et de retrait de la licence ainsi que des conditions d’exercice de la profession d’agent esportif doivent être précisées par décret. L’on observe que la version actuelle de la proposition de loi fait toujours référence au « joueur professionnel salarié » de jeu vidéo compétitif, alors même que son article 5 a supprimé la notion de « salarié » (voir ci-dessus). Simple coquille ou signe manifeste d’une profonde hésitation ?
A noter que le 30 octobre 2025, l’Esports Integrity Commission (ESIC) a lancé un mécanisme de certification volontaire pour les agents de joueurs esportifs. Se pose la question de savoir quelles seront les modalités d’application de cet article quand les éditeurs établissent des rulebooks, sachant que la frontière est parfois mince entre les activités d’influenceur et de joueur des esportifs (Jurisport n°256, L’agent (e)sportif  : un professionnel sans cadre, mais pas sans avenir, Maxime Hanriot, Paul Letartre) ?
La création d’un cadre d’accompagnement de carrière pour les talents esportifs (Article 7)
L’article 7 prévoit la création de centres de formation par des associations de jeux vidéo pour les esportifs qui devront conclure des conventions entre l’esportif et l’association.
Une reconnaissance de la contribution au rayonnement national des esportifs de haut niveau, dont la liste sera arrêtée par les ministres des Sports et du Numérique, est également prévue.
De plus, cet article prévoit l’extension des dispositifs du sport traditionnel prévus pour les sportifs de haut niveau (Articles L. 221-3, L. 221-4, L. 221-6 à L. 221-14 du Code du sport), notamment relatifs à l’accompagnement et l’aménagement scolaire, aux aménagements en milieu de travail, au suivi médical et à la prévention.
L’ensemble de ces nouveautés seront précisées par décret.
Cette proposition de loi a un objectif clairement identifié : relancer la structuration de l’esport. Cela passe par une révision de l’existant mais également par la création de nouveaux dispositifs demandés par l’écosystème.
A ce stade, le projet de texte vient seulement d’être déposé à l’Assemblée nationale et il faudra sûrement attendre 2026 pour qu’un débat ait lieu, mais l’initiative mérite d’être saluée en ce qu’elle permet d’initier des discussions autour des différentes propositions.
AUTEURS
Previous Story
Gérant d’une société de l’UES : une fonction incompatible avec tout mandat représentatif au niveau de l’UES
Next Story
This is the most recent story.
Related Posts
L’accès des syndicats à l’Intranet de l’entreprise bientôt généralisÃ... 4 janvier 2017 | CMS FL
Télétravail : mode d’emploi d’un outil de reconfiguration des espaces de t... 1 septembre 2019 | Pascaline Neymond
Quand trop de prévenance emporte de lourdes conséquences ou quand l’annonce ... 12 juin 2024 | Pascaline Neymond
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat : explications sur les conditions d... 16 janvier 2019 | CMS FL
Contrats des joueurs esportifs 6 novembre 2025 | Pascaline Neymond
Obligation de loyauté ou véritable clause de non-concurrence ? Attention à la... 4 avril 2017 | CMS FL
Demande de congés : l’absence de réponse de l’employeur vaut acceptation t... 27 juin 2022 | Pascaline Neymond
La grève de protestation contre le licenciement d’un collègue est illicite f... 28 juillet 2022 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Une proposition de loi pour relancer l’encadrement de l’esport ?
- Gérant d’une société de l’UES : une fonction incompatible avec tout mandat représentatif au niveau de l’UES
- Sécurisation des différences de traitement par accord collectif, un cap à suivre
- L’obligation de vigilance du maître d’ouvrage ne s’étend pas au sous-traitant du cocontractant
- Prestations du CSE : fin du critère d’ancienneté au 31 décembre 2025
- Cession d’une filiale déficitaire : sauf fraude, l’échec du projet de reprise ne permet pas de rechercher la responsabilité de la société mère
- Repos hebdomadaire : la Cour de cassation consacre la semaine civile
- L’inviolabilité du domicile du télétravailleur
- En cas de refus par le salarié inapte d’un poste de reclassement, le médecin du travail doit être à nouveau consulté !
- Le législateur transpose les accords interprofessionnels sur le dialogue social et l’emploi des salariés expérimentés
