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Abandon de poste à l’issue d’un arrêt de travail : faut-il faire passer une visite de reprise ?

Abandon de poste à l’issue d’un arrêt de travail : faut-il faire passer une visite de reprise ?

Est relativement banale la situation du salarié qui, après un arrêt de travail plus ou moins long, cesse d’envoyer des certificats médicaux sans pour autant reprendre son poste. Comment l’employeur doit-il réagir dans une telle situation ? La position de la Cour de cassation apparaît tout sauf claire, deux arrêts apparemment contradictoires du mois de mai 2015 semant encore un peu plus le doute…


Il appartient au salarié faisant l’objet d’un arrêt de travail d’en avertir son employeur et de lui communiquer son arrêt de travail dans les plus brefs délais, à défaut de quoi il s’expose à sanction.

Si la jurisprudence se montre plus rigoureuse en cas de prolongation d’une absence, dès lors que l’employeur a été informé par la remise du certificat médical initial de l’arrêt de travail du salarié (Cass. Soc. 11 janvier 2006), la négligence du salarié combinée aux efforts de l’employeur pour s’enquérir de sa situation peut justifier un licenciement, le cas échéant pour faute grave (not. Cass. Soc. 12 octobre 2011, n° 09-68.758).

Si les juges attendent de l’employeur diligent qu’il adresse une ou plusieurs mises en demeure au salarié, avant de le convoquer à un entretien préalable, doit-il également le convoquer à une visite de reprise pour pouvoir le licencier ?

Rappel des règles en matière d’examen de reprise du travail par le médecin du travail

Rappelons que l’article R. 4624-22 du Code du travail impose une visite de reprise auprès de la médecine du travail après tout congé maternité, après toute absence pour cause de maladie professionnelle, ainsi qu’après une absence d’au moins trente jours pour accident du travail comme pour accident ou maladie non professionnelle.

Or, traditionnellement, le contrat demeure suspendu jusqu’à la visite de reprise.

Sur ce fondement, la Cour de cassation avait pu considérer, dans certains cas particuliers, que le salarié ne pouvait être licencié pour abandon de poste avant que cette visite n’ait lieu (Cass. Soc. 21 mai 2008, n°07-41.102 ; Cass. Soc. 20 mars 2013, n°12-14.779).

La confirmation que la suspension du contrat de travail en l’absence de visite de reprise fait obstacle au licenciement pour abandon de poste ?

Un arrêt du 6 mai 2015 semble confirmer cette solution. Le salarié avait fait l’objet d’arrêts de travail successifs pour maladie non professionnelle pendant près d’un an, puis avait cessé d’envoyer des certificats médicaux de prolongation.

Prudent, l’employeur avait adressé non pas une mais deux mises en demeure au salarié, de justifier de son absence ou de reprendre son poste, à dix jours d’intervalle, lesquelles étaient toutes deux restées sans réponse.

Face au silence prolongé du salarié en dépit de ses relances, l’employeur avait considéré le salarié en abandon de poste et procédé à son licenciement pour faute grave.

Alors que les juges du fond avaient approuvé ce licenciement, la Cour de cassation, reprenant à son compte les arguments du salarié a considéré «qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le contrat de travail demeurait suspendu à défaut d’organisation d’une visite de reprise, de sorte que le salarié n’était pas tenu à l’obligation de venir travailler, la cour d’appel, qui ne retient que l’abandon de poste, a violé les textes susvisés».

Selon une première lecture, l’employeur ne pourrait licencier le salarié qui ne reprend pas son poste à l’issue de son arrêt de travail sans avoir au préalable organisé de visite de reprise. Cependant, cette jurisprudence s’articule mal avec celle relative à l’obligation de l’employeur d’organiser une visite de reprise.

Une solution apparemment incompatible avec la règle selon laquelle la visite de reprise ne s’impose qu’à la reprise effective du travail

L’obligation pour l’employeur de solliciter l’organisation de cet examen auprès de la médecine du travail ne naît qu’au moment où il a «connaissance de la date de la fin de l’arrêt de travail» (article R. 4624-23). Surtout, il dispose d’un «délai de huit jours à compter de la reprise du travail par le salarié» pour ce faire.

A cet égard, la Cour de cassation avait précédemment jugé à de multiples reprises que, si l’organisation de la visite de reprise incombait, à titre principal, à l’employeur, il n’était tenu à cette obligation que pour autant que le salarié avait effectivement repris le travail ou manifesté sa volonté de le reprendre, ou sollicité l’organisation d’une visite de reprise (Cass. soc. 28 juin 2006, n°04-47.746 ; Cass. soc. 25 juin 2013, n°11-22.370).

Dans cette dernière espèce, la Haute juridiction avait ainsi admis le licenciement pour faute grave de la salariée, «qui ne s’était pas présentée à son poste de travail, n’avait pas prévenu de ses absences, ni apporté de justificatifs dans les délais prévus par la convention collective».

Surtout, cette solution a été réaffirmée par un arrêt du 13 mai 2015 (n°13-23.606), soit une semaine après l’arrêt du 6 mai, par une chambre sociale présidée par le même conseiller.

Dans cette affaire particulière, l’inspecteur du travail avait autorisé le licenciement pour faute grave d’un salarié protégé, qui avait cessé d’envoyer des arrêts de travail à l’issue d’un arrêt maladie de plusieurs mois et qui n’avait pas répondu aux demandes de l’employeur de justifier de son absence.

Alors que la Cour d’appel avait octroyé au salarié des rappels d’indemnités de licenciement faute pour l’employeur d’avoir organisé une visite de reprise, la Cour de cassation censure : le salarié ne rapportant pas la preuve qu’il s’était mis à la disposition de celui-ci, l’employeur n’avait pas d’obligation d’organiser la visite de reprise.

Une invitation à rédiger la lettre de licenciement de manière factuelle

A la lumière de ce qui précède, une seule lecture de l’arrêt du 6 mai 2015 apparaît envisageable, fondée sur la précision selon laquelle la Cour d’appel n’a retenu «que l’abandon de poste».

Ainsi, selon une seconde interprétation, plus fine, l’arrêt n’interdirait pas nécessairement tout licenciement en l’absence de visite de reprise, mais seulement celui fondé sur l’abandon de poste. A contrario, un licenciement fondé sur le manquement du salarié à son obligation de loyauté, qui résulterait de son abstention délibérée de justifier de son absence, pourrait être admis.

Une telle solution n’apparaît cependant pas satisfaisante en ce que, une même situation factuelle pourrait donner lieu à deux solutions différentes.

Or, si la lettre de licenciement fixe l’objet du litige, les juges qui ne sont pas liés par la qualification retenue par l’employeur (abandon de poste ou déloyauté), doivent au contraire se livrer à leur propre appréciation des faits.

En résumé, quelques conseils pratiques…

En conclusion de ce qui précède et eu égard à l’articulation pour le moins peu évidente des règles posées par la Cour de cassation, il est recommandé à l’employeur qui envisage de procéder au licenciement d’un salarié qui ne justifie pas ou plus de son absence :

  • de le mettre en demeure de reprendre son poste ou de justifier de son absence ;
  • d’organiser une visite de reprise ;
  • de rédiger factuellement la lettre de licenciement, en visant tant l’absence injustifiée du salarié que son refus de se présenter à la visite de reprise et, plus généralement, son comportement déloyal.

 

Auteurs

Raphaël Bordier, avocat associé, département droit social.

Aurore Friedlander, avocat, département droit social

 

*Abandon de poste à l’issue d’un arrêt de travail : faut-il faire passer une visite de reprise?* – Article paru dans Les Echos Business le 9 septembre 2015

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