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Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : l’illicéité du moyen de preuve ne peut pas être soulevée devant le juge prud’homal

Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : l’illicéité du moyen de preuve ne peut pas être soulevée devant le juge prud’homal

Par une décision du 21 septembre 2022, la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel l’autorité de la chose jugée au pénal s’oppose à ce que la licéité du moyen de preuve produit par l’employeur soit contestée devant le juge civil (Cass. soc., 21 septembre 2022, n° 20-16.841).

 

L’affaire soumise à la Cour de cassation :

Dans cette affaire, un salarié avait eu une altercation avec un membre du personnel d’une autre entreprise. Licencié pour faute grave en avril 2017, le salarié avait été définitivement condamné par le tribunal de police en septembre 2018.

 

Le salarié avait alors contesté le bien-fondé de son licenciement, au motif que la preuve par l’employeur des faits reprochés s’appuyait exclusivement sur la vidéo prise par l’autre protagoniste à son insu, ce qui constituait, selon lui, un moyen de preuve illicite et une violation de son droit à un procès équitable.

 

Débouté en appel, le salarié avait formé un pourvoi en cassation.

 

Après avoir constaté que le licenciement était motivé par les faits de violence volontaires pour lesquels le salarié avait été pénalement condamné, la Cour de Cassation approuve les juges du fond d’avoir «décidé que l’autorité absolue de la chose jugée au pénal s’opposait à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud’homal l’illicéité du mode de preuve reconnu probant par le juge pénal».

 

Ainsi, la décision du juge pénal interdit au salarié de se prévaloir de l’illicéité du moyen de preuve alors que celle-ci aurait pu être retenue sur le seul terrain civil.

 

Le principe de loyauté et de licéité de la preuve en matière prud’homale :

En principe, la preuve est libre en matière prud’homale, mais à la condition néanmoins qu’elle respecte les principes de licéité et de loyauté.

 

Ainsi, un employeur ne peut valablement rapporter la preuve des faits reprochés au salarié au moyen d’un procédé clandestin non porté à la connaissance du personnel et non soumis à une consultation du CSE préalablement à sa mise en place.

 

Il en est ainsi, notamment, des faits révélés par un dispositif de vidéosurveillance installé dans les locaux de l’entreprise pour surveiller l’activité des salariés ou des faits révélés à l’occasion d’une filature ou d’une enquête.

 

La Cour de cassation décide, de manière constante, qu’un tel mode de preuve obtenu par un procédé déloyal doit être écarté des débats.

 

Néanmoins, une jurisprudence récente traduit un infléchissement de ce principe, en retenant que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats.

 

Il appartient, en effet, au juge d’apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523 ; Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058).

 

A côté du « droit de la preuve » se dessine ainsi progressivement un « droit à la preuve ».

 

L’exception consécutive à l’autorité de la chose jugée au pénal :

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, lorsque le motif énoncé dans la lettre de licenciement était constitutif d’une infraction pénale faisant par ailleurs l’objet de poursuites devant les juridictions répressives, le principe selon lequel  le criminel tient le civil en l’état» faisait obligation au juge prud’homal de surseoir à statuer jusqu’à ce que les juridictions pénales aient rendu leur verdict.

 

Désormais les juridictions civiles peuvent se prononcer sans être tenues d’attendre l’issue du procès pénal.

 

Or, dans l’hypothèse où la décision pénale précède la décision du juge prud’homal, l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, affirmée de façon constante par la Cour de cassation (Cass. soc., 10 novembre 1991, n°90-44.351 ; Cass. soc., 2 juillet 2015, n° 13-25.928), conduit à écarter les principes énoncés ci-dessus.

 

Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation précise que «les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a nécessairement été jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la décision».

 

Il résulte de ce qui précède que lorsque le licenciement est motivé par des faits relevant d’une qualification pénale, l’autorité de la chose jugée au pénal ne permet pas au juge civil de revenir sur ce qui a été définitivement jugé, peu important que le moyen de preuve produit puisse être considéré comme illicite dans le cadre d’un procès civil, sous réserve des récentes évolutions jurisprudentielles.

 

Il en aurait toutefois été différemment si la lettre de licenciement, au lieu d’énoncer un motif de licenciement constitutif d’une incrimination pénale – comme c’était le cas en l’espèce puisque le licenciement était motivé par des faits de violences volontaires (C. Pen., art. 222-9) – avait été motivé par un manquement du salarié à ses obligations contractuelles ou à la discipline (on aurait pu par exemple reprocher au salarié de s’être soustrait sans autorisation à l’autorité de l’employeur ou d’avoir méconnu les instructions formelles qu’il avait reçues, à l’intérieur d’un site classé Seveso, en descendant de son camion, chargé d’un produit dangereux, en laissant les portes ouvertes et le moteur en fonctionnement).

 

Dans un tel cas, l’issue du procès pénal aurait été sans incidence sur celle du procès prud’homal.

 

Les risques liés à l’utilisation d’une qualification pénale dans la lettre de licenciement :

En principe, le juge du contrat, c’est-à-dire le juge prud’homal, doit rechercher si le salarié a méconnu ses obligations contractuelles sans être tenu par la décision, quelle qu’elle soit, rendue par la juridiction répressive, laquelle n’est pas compétente pour connaître des obligations découlant du contrat de travail.

 

C’est pourquoi, la jurisprudence considère habituellement que, lorsque la faute d’un salarié, sanctionnée par l’employeur, fait, par ailleurs, l’objet de poursuites pénales, le sort du contentieux prud’homal éventuel n’est pas lié à celui du contentieux pénal en cours (Cass. soc., 14 novembre 1991, n° 90-44.663 ; Cass. soc., 21 janvier 1992, n°90-45.937 ; Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-40.880 ; Cass. soc., 28 mai 2013, n° 12-12.681).

 

Il faut cependant pour cela que la lettre de licenciement ne reproche pas au salarié des faits constitutifs d’une infraction pénale et qualifiés comme tels (vol, violences, volontaires, etc.).

 

En effet, lorsqu’une telle qualification est expressément retenue par la lettre de licenciement, la Cour de cassation décide que la relaxe au pénal est suffisante pour démontrer que la matérialité des faits retenus par l’employeur à l’appui du licenciement prononcé n’est pas établie, rendant par là même le licenciement abusif (Cass. soc., 15 décembre 2004, n°02-45.347 ; Cass. soc., 8 décembre 2010, n°09-65.135).

 

Ainsi, la Cour a pu considérer qu’est sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié auquel était reproché la fabrication des faux documents et qui avait été relaxé du chef de faux et d’usage de faux dès lors qu’il y avait identité entre la faute pénale et les griefs disciplinaires (Cass. soc., 12 mai 2010, n°09-40.933) ou le licenciement du salarié motivé par un abus de confiance dont il a été relaxé (Cass. soc., 12 octobre 2016, n°15-19.620).

 

Dans ces conditions, il convient pour l’employeur d’invoquer, à l’appui de la sanction ou du licenciement pour faute, des faits constitutifs d’un manquement contractuel et de ne pas mentionner leur qualification pénale.

 

Par exemple, en cas de vol et si une plainte a été déposée au pénal, il est préférable :

 

    • de ne pas procéder au licenciement pour vol, car il s’agit de la qualification pénale des faits ;
    • mais d’invoquer le manquement du salarié à ses obligations contractuelles en indiquant, par exemple, que «le salarié n’a pas respecté les consignes en vigueur qui lui faisaient obligation d’informer son supérieur hiérarchique préalablement à toute sortie de matériel».

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 2022, le fait de retenir une qualification pénale des faits dans la lettre de licenciement avait finalement été favorable à l’employeur puisque le juge pénal avait retenu la culpabilité du salarié pour ces mêmes faits.

 

Mais il en aurait été différemment si le salarié avait fait l’objet d’une relaxe ou d’un non- lieu.

 

Le juge prud’homal aurait sans doute décidé, sans même examiner la licéité des moyens de preuve produits, que le licenciement prononcé était abusif.

 

Ainsi, si certains auteurs soulignent que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil peut inciter les entreprises à recourir au droit pénal lorsque leurs moyens de preuve sont douteux (1) un tel recours n’est pas sans risque dès lors que l’issue du procès prud’homal sera conditionnée par celle du procès pénal quand celle-ci la précède.

 

(1) Licenciement et poursuites pénale la délicate articulation des procédures, J-E Ray, le Monde, 24 novembre 2022

 

Béatrice TAILLARDAT-PIETRI, Responsable adjoint de la Doctrine sociale et Astrid DUBOYS-FRESNEY, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocat

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