Licenciement économique : l’appréciation du motif économique ne se limite pas au seul examen de la baisse du chiffre d’affaires

19 décembre 2022
Dans un arrêt en date du 21 septembre 2022 (n°20-18.511), la Cour de cassation est venue préciser qu’une entreprise peut invoquer des difficultés économiques pour justifier un licenciement même lorsque la réalité de l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n’est pas établie.
Cette décision offre l’occasion de revenir sur la définition du motif économique.
Rappel des indicateurs économiques énumérés au 1° de l’article L.1233-3 du Code du travail
Conformément à l’article L.1233-3 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutif notamment, à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation d’activité de l’entreprise.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dite «loi Travail», l’article L.1233-3 du Code du travail fixe des critères objectifs permettant de définir les difficultés économiques visées par le 1° de l’article L.1233-3 du Code du travail qui sont susceptibles de justifier un licenciement pour motif économique.
Les difficultés économiques peuvent ainsi être caractérisées, soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique telle qu’une baisse des commandes, une baisse du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier ces difficultés.
Les critères permettant de caractériser cette évolution significative ne sont pas précisés par la loi, à l’exception de celui concernant la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires.
En effet, la «loi Travail» précise que cette baisse doit être constatée sur un certain nombre de trimestres, variable en fonction de l’effectif de l’entreprise, par comparaison avec la même période de l’année précédente.
Dès lors que les critères afférents à cet indicateur sont réunis, le licenciement fondé sur des difficultés économiques est présumé justifié.
A cet égard, la Cour de cassation a récemment précisé que la durée de la baisse du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, s’apprécie en comparant leur niveau au moment de la notification du licenciement avec celui de l’année précédente à la même période (Cass. soc., 1er juin 2022, n°20-19.957).
La liste des indicateurs économiques n’est donc pas limitative et peut laisser la place à d’autres critères d’appréciation de nature à justifier ces difficultés.
Ainsi, lorsque l’employeur ne parvient pas à prouver la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires il appartient au juge de rechercher si l’évolution d’un autre indicateur ou de tout autre élément serait de nature à justifier des difficultés économiques.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 21 septembre 2022
En l’espèce, une société dont l’effectif est compris entre 50 et moins de 300 salariés avait engagé une procédure de licenciement collectif pour motif économique en raison de sa réorganisation au début de l’année 2017 (soit postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi dite Travail).
La société a fait valoir plusieurs indicateurs économiques pour justifier ces licenciements, à savoir :
-
- la baisse significative du chiffre d’affaires et des commandes ;
-
- des pertes structurelles conséquentes sur les 4 dernières années, avec un endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros ;
-
- des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social.
Un salarié a contesté la réalité et le bien-fondé du motif économique du licenciement, en faisant notamment valoir que la situation de l’entreprise n’était pas réellement obérée à la date du licenciement.
Ce dernier a été débouté en première instance par jugement du Conseil de prud’hommes de Mulhouse, en date du 10 décembre 2018, mais a obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Colmar par une décision du 19 mai 2020 (n°19/00379).
La cour d’appel a en effet retenu que l’employeur n’apportait pas la preuve de la baisse des commandes et/ou du chiffre d’affaires sur 3 trimestres consécutifs, incluant celui au cours duquel la rupture du contrat de travail a été notifiée (soit courant 2016/1er trimestre 2017).
En effet, selon la cour d’appel, la Société «se réfère pour preuve de ses difficultés aux bilans qu’elle produit des années 2013, 2014, 2015 et 2016, mais ne justifie pas de sa situation à la date du licenciement autrement qu’en évoquant des résultats prévisionnels pour 2016, en tout cas n’apporte pas la preuve de la baisse sur 3 trimestres consécutifs courant 2016/1er trimestre 2017 des commandes et/ou du chiffre d’affaires, ni même ne produit une analyse prévisionnelle de l’évolution de sa situation économique pour 2017 (…)».
Ce raisonnement est toutefois censuré par la Cour de cassation.
En effet, selon la Cour de cassation, il appartenait au juge, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques étaient caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des indicateurs économiques énumérés au 1° de l’article L. 1233-3 du Code du travail, telle que des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Au cas particulier, elle estime que la cour d’appel aurait dû prendre en compte les deux autres éléments également invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement, à savoir des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et un niveau d’endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016.
Il faut relever et saluer la position pragmatique de la Cour de cassation qui invite les juges du fond à s’intéresser à l’ensemble des indicateurs économiques transmis par la société pour caractériser la cause économique du licenciement.
Ainsi lorsque les conditions requises pour bénéficier de la présomption légale ne sont pas réunies, l’employeur conserve la faculté de rapporter, par tous moyens, la preuve des difficultés économiques qu’il invoque.Cand
Caroline FROGER-MICHON, Avocat associé et Candice LACHENAUD-ZUCCONI, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
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