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Requalification en contrat de travail de la relation entre chauffeurs de VTC et plateforme : la Cour de cassation dit « non » … pour cette fois

Requalification en contrat de travail de la relation entre chauffeurs de VTC et plateforme : la Cour de cassation dit « non » … pour cette fois

Une nouvelle décision vient d’être rendue concernant les rapports entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants : la Cour de cassation a refusé de requalifier la relation de travail qui liait la plateforme « Le Cab » avec l’un de ses chauffeurs en contrat de travail. Retour sur cette décision et le contexte dans lequel elle s’inscrit.

 

Une nouvelle application de la méthode jurisprudentielle du « faisceau d’indices » …

Après son arrêt « Take Eat Easy » du 18 novembre 2018 (1) qui concernait des livreurs à domicile, la Cour de cassation s’est prononcée sur la situation de chauffeurs de VTC en requalifiant leur relation de travail avec la plateforme Uber en contrats de travail dans un arrêt du 4 mars 2020 (2).

Par un arrêt du 13 avril 2022 (n°20-14.870), la Cour de cassation analyse la relation de travail existant entre des chauffeurs de VTC et la plateforme numérique « Le Cab », exploitée par une société qui conclut des contrats de location de véhicules et d’adhésion avec ces chauffeurs.

 

Sans surprise, elle met en œuvre sa méthode désormais bien établie en matière de requalification en contrat de travail de la relation de travail d’un travailleur indépendant avec son donneur d’ordre.

 

La Cour se fonde sur l’article L.8221-6 du Code du travail, en vertu duquel un travailleur indépendant est présumé non-salarié, sauf preuve de l’existence d’un lien de subordination caractérisé par le pouvoir de donner des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. Ce lien de subordination s’apprécie selon la méthode du « faisceau d’indices ».

 

Au cas d’espèce, les indices relevés la Cour d’appel étaient les suivants :

 

    • l’absence de liberté des chauffeurs dans le choix de leur véhicule ;
    • l’interdépendance entre le contrat de location du véhicule et le contrat d’adhésion à la plateforme ;
    • la possibilité pour le donneur d’ordre de géolocaliser les chauffeurs en temps réel, afin de pouvoir répartir de manière optimisée et efficace les courses ;
    • le contrôle permanent de l’activité du chauffeur à travers la fixation du montant des courses par le donneur d’ordre, l’établissement par celui-ci de factures au nom et pour le compte des chauffeurs et la faculté de modifier le prix des courses à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires ;
    • un pouvoir de sanction caractérisé par le système de notation des chauffeurs par les passagers.

 

La Cour d’appel avait jugé ce faisceau d’indices suffisant pour caractériser un contrat de travail. La Cour de cassation casse cette décision au motif que ces indices ne permettent pas de qualifier un lien de subordination.

 

… qui aboutit à l’absence de caractérisation d’un lien de subordination entre le chauffeur de VTC et la plateforme

Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel n’a pas caractérisé l’exercice d’un travail au sein d’un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par le donneur d’ordre, et donc un lien de subordination, en ce qu’il n’a pas été démontré que ce donneur d’ordre « adressait au chauffeur des directives sur les modalités d’exécution du travail, qu’il disposait du pouvoir d’en contrôler le respect et d’en sanctionner l’inobservation ».

 

Au premier abord, il est tentant de considérer que la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence du 4 mars 2020 : certains indices rappellent ceux mis en exergue dans l’arrêt Uber qui a conclu à l’existence d’un contrat de travail (l’absence de choix dans la fixation du tarif des courses par exemple) et la Cour d’appel a bien caractérisé un pouvoir de contrôle et de sanction du donneur d’ordre exercé sur le chauffeur VTC.

En réalité, c’est davantage l’appréciation des stricts faits d’espèce que sanctionne la Cour de cassation.

 

En effet, pour celle-ci, aucun des éléments retenus par la cour d’appel, y compris le contrôle par la plateforme de l’activité du chauffeur par géolocalisation, ne permettait d’établir l’existence de directives données par la plateforme portant « sur les modalités d’exécution du travail ».

 

De la même manière, un système de notation par les passagers peut constituer une sanction pour un chauffeur de VTC qui serait noté négativement. Néanmoins, le donneur d’ordre n’a aucune maitrise sur cette notation, qui ne peut donc constituer en elle-même une sanction prononcée par ce dernier en raison d’un manquement du chauffeur aux directives qu’il lui aurait données (il en irait différemment si la plateforme adoptait des mesures en réaction à cette notation).

 

La Haute Juridiction apporte donc des limites à la caractérisation des pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction pouvant entrainer la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.

 

Ces trois pouvoirs doivent traduire une véritable subordination juridique du travailleur indépendant au donneur d’ordre prenant à son égard des mesures directes qui impactent la réalisation du travail.

 

Cette décision doit être saluée en ce qu’elle rappelle que l’existence d’un lien de subordination juridique repose sur un faisceau d’indices apprécié « in concreto », ce que l’arrêt Uber avait peu mis en évidence.

 

Une décision rendue dans un contexte de construction d’un statut des travailleurs des plateformes

Si la décision du 13 avril 2022 s’avère « rassurante » pour certaines plateformes, elle fait apparaître une fois encore toutes les incertitudes juridiques qui entourent la relation de travail unissant les travailleurs indépendants et les plateformes numériques.

Il est d’autant plus dommageable que la jurisprudence sociale soit fluctuante qu’elle influence d’autres matières.

Ainsi, la Cour de cassation a récemment admis que la requalification de la relation de travail entre une plateforme et des chauffeurs de VTC en contrat de travail pouvait fonder une action en concurrence déloyale formée contre la plateforme par une société exerçant la même activité (3).

 

Également, cette requalification fait courir un risque pénal de délit de travail dissimulé pour la plateforme, comme l’a qualifié le Tribunal correctionnel de Paris dans un jugement du 19 avril 2022 concernant la plateforme de livraison de repas Deliveroo.

 

La législation tend de son côté à se renforcer : la loi « Travail » de 2016 (4) a en premier lieu instauré une « responsabilité sociale » des plateformes à l’égard des travailleurs concernés.

 

Une ordonnance du 21 avril 2021 – ratifiée par une loi du 7 février 2022 (5) – a ensuite institué un mode de représentation des travailleurs indépendants auprès des plateformes. Cette même loi prévoit que le gouvernement peut fixer par voie d’ordonnance de nouvelles obligations pour les plateformes à l’égard des chauffeurs VTC/livreurs de marchandises indépendants, « afin de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité ».

 

C’est ainsi qu’une ordonnance du 6 avril 2022 (6) vise à renforcer l’indépendance de ces travailleurs en :

 

    • imposant aux plateformes de leur communiquer la destination de la prestation et de leur laisser un délai raisonnable pour l’accepter ou non ;
    • interdisant aux plateformes de leur imposer l’utilisation d’un matériel ou d’un équipement (sous réserve d’obligations légales et règlementaires) ;
    • rappelant qu’ils ont le choix de leurs plages horaires d’activité, au cours desquelles ils peuvent se déconnecter, et de leurs périodes d’inactivité, qu’ils ne sont pas liés exclusivement à une plateforme et choisissent librement leur itinéraire au regard notamment des conditions de circulation, de la proposition d’itinéraire de la plateforme et éventuellement du choix du client.

 

Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé devant le Parlement le 20 avril 2022. Ces règles pourraient en outre s’étoffer au regard d’un récent projet de directive européenne destiné à améliorer les conditions de travail des personnes liées à des plateformes

 

L’objectif sous-jacent est de limiter les indices pouvant caractériser l’existence d’un lien de subordination, et donc d’un contrat de travail, entre ces travailleurs et les plateformes. Mais au regard de la juxtaposition des textes légaux et des jurisprudences sur le sujet, cet objectif est à ce jour incertain.

 

(1) Cass. Soc. 18 novembre 2018, n° 17-20 .079

(2) Cass. Soc. 4 mars 2020, n° 19-13.316

(3) Cass. Com. 12 janvier 2022, n° 20-11.139

(4) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (JO 9 août).

(5) Loi n° 2022-139 du 7 février 2022 ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 (JO 8 févr.)

(6) Ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l’autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi

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