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Sanctionner le management toxique : le comportement de l’employeur ne minore pas la faute du salarié

Sanctionner le management toxique : le comportement de l’employeur ne minore pas la faute du salarié

Un arrêt récent de la Cour de cassation est l’occasion de préciser que l’employeur n’est pas nécessairement tenu d’avoir un comportement irréprochable pour user de son pouvoir disciplinaire. C’est en particulier le cas lorsque la faute commise par le salarié relève d’une atteinte à la santé et à la sécurité des autres salariés de l’entreprise, justifiant son départ immédiat de l’entreprise.

 

En ce sens, dans un arrêt du 6 mai 2025 (n°23-14.492), la Cour de cassation a jugé que la persistance d’un management inadapté postérieurement à un avertissement déjà notifié pour cette raison, conduisant à une situation de souffrance au travail dénoncée notamment par certains salariés et le médecin du travail, caractérisait un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise et ce, « quelle qu’ait pu être l’attitude de l’employeur » par le passé vis-à-vis du manager licencié.

 

En l’espèce, un responsable d’édition avait été averti en novembre 2017 par son employeur pour avoir adopté « un comportement excessivement autoritaire, dénué ou manquant d’empathie, rigide et rugueux qui dévalorisait et exerçait une pression importante sur certains salariés dont il n’était pas satisfait, voire les « cassait » psychologiquement » (…) à l’origine d’une souffrance au travail pour près de la moitié des salariés de l’établissement ».

 

Par la suite, le comportement managérial inadapté de ce collaborateur avait perduré, donnant lieu, en juin 2018, à un signalement par une élue en réunion du CSE, puis successivement en juillet et en août 2018 à deux alertes du médecin du travail sur la dégradation de l’état de santé de quatre collaborateurs.

 

C’est dans ce contexte que l’employeur a licencié le salarié pour faute grave, motif tiré de l’absence de modification de son comportement ou d’évolution dans ses méthodes managériales, depuis la notification de l’avertissement quelques mois plus tôt.

 

Le salarié ayant contesté son licenciement pour faute grave, les juges du fond (tant le conseil de Prud’hommes que la cour d’appel) ont considéré que, bien que le comportement reproché au manager soit avéré, il ne justifiait pas un licenciement pour faute grave, ni même un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

 

La cour d’appel de Riom a estimé que l’avertissement adressé en novembre 2017 était régulier, justifié et proportionné aux faits reprochés. Elle a relevé que, malgré cette sanction, le management du salarié avait continué de provoquer une situation de souffrance au travail, et que l’employeur restait tenu de protéger la santé de ses salariés, en particulier celle de ceux ayant dénoncé cette situation. Elle a en outre considéré que l’employeur devait également offrir au salarié les moyens de modifier son comportement managérial afin de faire cesser une situation déjà sanctionnée.

 

Constatant que, postérieurement à l’avertissement de novembre 2017, l’employeur n’avait pas effectué d’enquête interne sérieuse, ni organisé d’audit social, ni fait appel à des intervenants extérieurs, ni organisé « sérieusement » de mesure d’évaluation, d’assistance ou de formation du manager, et qu’il lui avait au surplus « renouvelé sa confiance » même s’il l’avait sommé de modifier ses méthodes de management, d’agir avec respect et humanité, de mieux communiquer avec ses équipes, la cour d’appel a considéré qu’« une telle attitude de la part de l’employeur ne pouvait aider le salarié à admettre ses carences en matière managériale, encore moins lui permettre de s’améliorer sur ce point ».

 

L’employeur ayant formé un pourvoi contre cette décision, l’affaire a été portée devant la Cour de cassation. Celle-ci a précisé sa jurisprudence relative à la qualification de la faute en présence de risques pour la santé et la sécurité des salariés, en réaffirmant les principes fondamentaux applicables en la matière.

 

Visant les articles L.1234-1, L.1234-5, L.1234-9, L.1152-1 et L.4122-1 du Code du travail, la Cour de cassation insiste dans sa décision sur l’obligation de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs pour juger que la Cour d’appel de Riom n’aurait pas dû écarter la faute grave même si, selon son appréciation, « l’attitude de l’employeur a été ambiguë, voire flottante et que, tenu d’effectuer une enquête interne sérieuse, il n’est pas justifié qu’il aurait entendu les chefs de service ainsi que la secrétaire des services généraux sur la situation de souffrance au travail ni organisé d’audit social, ni fait appel à des intervenants extérieurs ou mis en place de médiation et enfin que l’employeur n’a pas aidé, assisté ou contrôlé le salarié dans l’exercice des fonctions managériales après ».

 

Le comportement managérial qui cause une situation persistante de souffrance au travail caractérise une faute grave

 

Cette décision fait écho à d’autres arrêts récents qui ont confirmé la particulière gravité de la faute liée à un mode de management inadapté, de nature à porter atteinte à la santé ou la sécurité des collaborateurs du manager concerné.

 

Dans un arrêt du 26 février 2025 (n°22-23.703), la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Rennes ayant jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement disciplinaire pour faute grave d’un responsable d’agence qui « avait adopté à l’égard des collaboratrices placées sous son autorité un comportement lunatique, injustement menaçant, malsain et agressif ayant provoqué le départ de l’une d’elles, avait eu un mode de management maladroit et empreint d’attitude colérique ».

 

De même, dans un arrêt du 14 février 2024 (n°22-14.385) concernant une salariée ayant eu « un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés », la Cour de cassation a jugé que ces faits « étai[en]t de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise ».

 

En présence de manquements de la part d’un salarié occupant des fonctions managériales de nature à porter atteinte à la santé et à la sécurité des autres salariés, la faute grave semble donc caractérisée. Cette solution est à nouveau confirmée par l’arrêt du 6 mai précité.

 

Pas d’atténuation de la faute en raison du comportement ambigu de l’employeur

 

Dans sa décision, la Haute juridiction a pris soin de viser l’article L.4122-1 du Code du travail, qui dispose que chaque salarié est individuellement tenu d’une obligation de protection de sa propre santé et sécurité mais également de celles des autres personnes «concernées par ses actes ou ses omissions au travail».

 

Ce faisant, même si elle ne s’immisce pas dans l’appréciation par la cour d’appel du comportement de l’employeur jugé «ambigu, voire flottant», la Cour de cassation rappelle que les salariés, en matière de santé et de sécurité, ne peuvent pas se dédouaner de toute responsabilité.

 

La solution retenue apparaît satisfaisante, notamment dans un contexte où, bien que l’employeur aurait pu en faire davantage, il n’était pas resté inactif, ayant notamment alerté à plusieurs reprises le salarié concerné, en particulier par la notification d’un avertissement.

 

L’arrêt du 6 mai 2025 apporte ainsi une précision utile quant à la portée du manquement caractérisé par les actes constitutifs de management toxique : le comportement de l’employeur vis-à-vis du salarié fautif n’est pas de nature à réduire la gravité de sa faute.

 

La Cour de cassation avait déjà refusé de disqualifier la faute grave pour un motif tiré de l’ancienneté du salarié lorsque « la pratique par le salarié d’un mode de management de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés » (Cass. soc., 8 févr. 2023, n°21-11.535), même si elle avait alors précisé qu’il s’agissait d’un motif « insuffisant à lui seul à écarter la qualification de faute grave ».

 

Il est constant, en matière disciplinaire, que le comportement de l’employeur, tout comme l’ancienneté du salarié et la qualité de ses états de service, peut être pris en considération comme circonstance atténuante de la faute reprochée au salarié.

 

C’est notamment le cas lorsque l’employeur, par l’insuffisance de son contrôle, incite un salarié à prendre ou faire perdurer une situation à risques (Cass. soc., 4 juin 1992, n°91-40.384 ou Cass. soc., 25 nov. 2015, n°14-20.764).

 

De même, l’inertie de l’employeur alors qu’il était prévenu des risques en cause ou une forme de tolérance de l’employeur caractérisent généralement des circonstances de nature à atténuer la faute du salarié (v. par ex. Cass. soc,. 27 juin 2001, n°99-42.641).

 

Cependant, en l’espèce, l’ambiguïté du comportement de l’employeur ou son attitude équivoque à l’égard du manager ne saurait, selon l’appréciation de la Cour de cassation, atténuer la gravité de la faute imputée à ce dernier.

 

Une telle solution doit être approuvée, en ce qu’elle permet à la Cour de cassation de conférer sa pleine portée à l’obligation de prévention des risques professionnels incombant à l’employeur. Il serait en effet paradoxal, voire contre-productif, d’imposer à ce dernier un choix entre la protection des collaborateurs du manager fautif et le risque de voir sa décision de licenciement ultérieurement remise en cause.

 

Enjeux complémentaires

 

Les récentes solutions en matière de sanction disciplinaire du management toxique, et plus particulièrement celle du 6 mai 2025, appellent deux remarques complémentaires.

 

Tout d’abord, si la faute grave peut être envisagée de façon quasiment constante, ce n’est bien entendu que sous réserve de disposer d’éléments suffisants pour prouver la matérialité des faits.

 

Dans chacune des décisions précitées, la Cour de cassation prend soin de relever les éléments retenus par les juges d’appel caractérisant une atteinte à la santé et à la sécurité des collaborateurs du manager.

 

Bien souvent, face à des accusations de management inapproprié, il sera donc nécessaire d’envisager l’organisation d’une enquête interne pour confirmer les faits reprochés.

 

Il faudra dans ce cas réfléchir aux mesures de prévention temporaires permettant de faire cesser les éventuels agissements managériaux fautifs dans l’attente de la conclusion de l’enquête. A défaut, les salariés subissant ces agissements pourraient agir contre l’employeur en raison du manquement à son obligation de prévention des risques professionnels.

 

A cet égard, les lignes directrices publiées par le Défenseur des droits en matière d’enquête interne (Décision-cadre du Défenseur des droits, Discrimination et harcèlement sexuel dans l’emploi privé et public : recueil du signalement et enquête interne, 5 févr. 2025) recommandent, pour la protection des victimes présumées, de leur permettre de ne pas côtoyer la ou les personnes qu’elles ont mises en cause, et ce, dès le stade de l’enquête afin de garantir leur sécurité et leur santé. Sont notamment évoqués, à titre de mesure de protection, la mise en œuvre d’une mise à pied conservatoire, le placement en télétravail ou encore un changement d’affectation

 

Enfin, la confirmation de la possibilité pour l’employeur d’invoquer de façon quasiment constante la faute grave pour licencier un manager au comportement de nature à porter atteinte à la santé et à la sécurité de ses collaborateurs pourrait ne pas être exclusive d’une demande indemnitaire du salarié mis en cause.

 

En effet, si le comportement de l’employeur ne constitue pas une circonstance atténuante de la faute du salarié, une attitude ambiguë ou un manquement à certaines obligations vis-à-vis du manager sanctionné (ex. pressions excessives pour l’atteinte de résultats au sein de son équipe), pourrait entraîner des demandes indemnitaires spécifiques de sa part.

 

AUTEURS

Aurore Friedlander, avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats 

Marie Leclerc, avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

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