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Co-emploi : la société mère peut superviser ses filiales

Dans un arrêt du 2 juillet 2014, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a cassé un arrêt de la cour d’appel de Toulouse qui avait condamné l’équipementier automobile américain Molex, comme «co-employeur» des salariés licenciés par sa filiale française en 2009.
Au-delà du cas d’espèce, cette décision intéresse tous les groupes de sociétés en ce qu’elle marque un coup d’arrêt à la dérive que semblait autoriser la jurisprudence antérieure de la Chambre Sociale. L’arrêt admet en effet clairement dans un attendu de principe que l’appartenance à un groupe de sociétés appelle «la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés et l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer».

Ceci ne suffit donc pas à justifier la mise en cause comme co-employeur, d’une autre société. Cette mise en cause ne pourra, désormais être retenue, en l’absence d’un lien de subordination, que si la société mère s’immisce dans la gestion économique et sociale de sa filiale.

Les juges du fond devraient dès lors user du co-emploi avec plus de modération… et les groupes de sociétés seront moins exposés à cette requalification s’ils évitent l’immixtion.

Pour mesurer la portée de cette décision, il faut faire un bref retour en arrière.

Apparition et extension du co-emploi

L’objectif initial de la jurisprudence était de faire cesser certains abus caractérisés, principalement par la mise en liquidation d‘une filiale dont l’insolvabilité avait été «organisée »» par le groupe et qui se trouvait «sacrifiée» avec son personnel dans l’intérêt dudit groupe, sans que celui-ci en assume la charge financière, transférée, en pratique, sur les organismes sociaux et notamment l’AGS.

Notons que la Chambre Sociale rejoint, par cet arrêt, la jurisprudence de la Chambre Commerciale qui a admis, elle aussi, que le principe d’autonomie juridique de chaque société puisse connaître une exception mais uniquement en cas d’immixtion fautive de la société dominante, voire de gestion de fait. Alors que la Chambre Sociale avait tendance, depuis des arrêts de principe du 18 janvier 2011, à se contenter de constater la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction. Les curseurs n’étaient ainsi pas placés au même niveau d’exigence par les deux Chambres comme en attestait le sens différent de deux décisions de la Cour de Cassation concernant pourtant la même affaire (METALEUROP Cass. Soc. 28/09/2011 et Cass. Com. 19/11/2013). La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation prenait en effet déjà garde à ne pas décourager l’investissement des groupes en France et reconnaissait pleinement que l’existence d’un groupe implique des relations croisées entre ses membres, un contrôle d’ensemble, une unité de direction et une stratégie commune.

Le danger de la reconnaissance du co-emploi

Dans son domaine de base, celui des licenciements économiques et des procédures collectives de règlement et liquidation judiciaire, les avocats des salariés, l’AGS et de nombreuses juridictions du fond se sont engouffrés dans cette brèche avec une interprétation particulièrement extensive de faits souvent reconstruits après coup. Et, face à un sinistre économique local, l’impartialité du juge local n’était pas perçue comme, par les groupes internationaux, garantie. La conception particulièrement large de la notion de co-emploi et ses conséquences créait donc une insécurité juridique forte.

Mais le problème menaçait aussi de s’étendre de manière incontrôlée, puisque tout le droit du travail repose sur la relation employeur-salarié. Si l’employeur est responsable vis-à-vis du salarié, le co-employeur risquait de l’être tout autant. Les conseils ne pouvaient manquer d’attirer l’attention de leurs clients sur les risques attachés à l’éventuelle extension de cette notion.

De plus, l’écho médiatique qu’a rencontré cette nouvelle manifestation de la créativité juridique nationale contribuait à asseoir une image défavorable de l’environnement juridique français pour les groupes étrangers.

Telle la créature de Frankenstein, le co-emploi menaçait donc d’échapper à son auteur.

La reprise en main par la Cour de Cassation

Certains auteurs envisageaient l’opportunité d’une décision d’Assemblée Plénière pour harmoniser la doctrine divergente de ses Chambres.

Certes, l’examen des arrêts les plus récents faisait apparaître une volonté de restriction, marquée par plusieurs cassations de décisions des juges du fond (cf. notamment Cass. Soc. 24/06/2014). Mais ceux-ci se voyaient simplement reprocher de ne pas avoir caractérisé pertinemment la triple confusion.

L’arrêt du 2 juillet 2014 donne donc un nouveau mode d’emploi aux juges : tout en s’appuyant toujours sur la référence à la triple confusion, il est ainsi précisé que le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et que la société mère ait pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de la filiale et se soit engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois, ne pouvait suffire à caractériser une situation de co-emploi.

La sécurité juridique n’est certes pas absolue, mais cet arrêt marque un louable progrès en ce sens.

 

Auteurs

Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.

Alain Couret, avocat associé, responsable du service de doctrine juridique

 

Article paru dans Les Echos Business du 11 juillet 2014

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