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Les délais de paiement interentreprises dans le projet de loi Sapin II

Les délais de paiement interentreprises dans le projet de loi Sapin II

Comme nombre de ses prédécesseurs, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit Projet de «loi Sapin I», entend lui aussi dissuader les politiques délibérées de paiements tardifs pratiquées par certaines entreprises pour améliorer leur trésorerie (art.36). Le texte adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale le 29 septembre 2016, après l’échec de la commission mixte paritaire, devrait être le plus proche de la version définitive de la loi puisque même en cas de nouveau désaccord du Sénat, ce sont les députés qui seront appelés à se prononcer en dernier ressort.

Sans surprise, la dissuasion passe par un renforcement des sanctions qui se traduit tout d’abord par le relèvement significatif de 375 000 euros à 2 millions d’euros du plafond de l’amende administrative encourue en cas de non-respect de la règlementation sur les délais de paiement, qu’il s’agisse des délais de droit commun (art. L.441-6 VI C. com.) ou des délais spécifiques (art. L. 443-1 C. com.), mais aussi de ceux applicables aux entreprises publiques (art. 40-1 de la loi n°2013-100 du 23 janvier 2013). En outre, l’Assemblée nationale entend accroître les sanctions de l’article L 442-6 I 4° réprimant l’obtention (ou sa tentative) de conditions manifestement abusives de délais de paiement sous la menace d’une rupture de relations commerciales en prévoyant une amende civile pouvant être portée à 5 millions d’euros.

Le projet supprime ensuite la limitation du cumul du montant des amendes administratives au maximum légal le plus élevé en cas de manquements en concours (art. L. 465-2 VII C. com.). Cette suppression n’avait pas reçu en première lecture l’aval du Sénat, lequel avait été à l’origine de l’introduction de la règle de plafonnement lors de l’adoption de la loi Hamon du 17 mars 2014 destinée à garantir que les sanctions désormais administratives et non plus civiles et pénales restent proportionnées.

Enfin, il est prévu la publication systématique, et non plus seulement facultative, des sanctions qui seront prononcées pour non-respect de la règlementation sur les délais de paiement prévue par le Code de commerce, ce qui entraînera la divulgation au public du nom des entreprises contrevenantes («name and shame»). Pour le Conseil d’Etat, le caractère obligatoire de cette publication n’est pas contraire au principe d’individualisation des peines dans la mesure où l’Administration conservera une marge d’appréciation quant aux modalités et à la durée de la publicité en fonction des circonstances propres à chaque espèce (avis n°391-262 du 24 mars 2016).

Mais dans le même temps qu’elle renforce la répression, l’Assemblée nationale, non suivie sur ce point par le Sénat, vient assouplir la réglementation en faveur des activités du «grand export» (art. L. 441-6, I et art. L. 443-1, 4° C. com.). Elle autorise en effet les parties à convenir, pour les achats de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne, effectués en franchise de TVA en application de l’article 275 du CGI, d’un délai de paiement de 90 jours à compter de la date d’émission de la facture. Cette dérogation, qui devra être expressément prévue par le contrat et ne pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, ne concernera pas les achats effectués par les grandes entreprises. Et en cas de non-respect de la condition d’exportation des biens, des pénalités de retard seraient dues dans les conditions de droit commun. L’introduction de cette dérogation part du constat que les entreprises concernées «sont sujettes, pour leur trésorerie, à un effet de ciseau résultant d’un décalage significatif entre les délais dans lesquels elles doivent payer leurs fournisseurs et les délais dans lesquels elles sont elles-mêmes rémunérées par leurs clients installés hors de l’Union européenne». Les parlementaires semblent avoir à cette occasion constaté que les clients situés hors de l’UE pratiquent des délais de paiement supérieurs à ceux prévus par le droit français. Si l’idée n’est pas nouvelle, il est de plus en plus probable que, après les tentatives d’introduction avortées dans le cadre de l’adoption de la loi Hamon de 2014 puis d’une proposition de loi (n°2216), ce dispositif dérogatoire qui n’a toujours pas remporté l’adhésion du Sénat finisse par faire son entrée dans le droit positif.

Auteur

Nathalie Pétrignet, avocat associée en droit douanier, droit de la concurrence, droit européen, droit de la consommation et de la distribution, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris

Les d̩lais de paiement interentreprises dans le projet de loi Sapin II РAnalyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 10 octobre 2016
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