Conditions et limites de l’appropriation par un salarié des courriels professionnels aux fins de contester son licenciement

6 février 2023
Quand la contestation du licenciement prend une tournure contentieuse, l’administration de la preuve revêt une importance fondamentale tant elle est déterminante de l’issue du litige.
Par une décision du 9 novembre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure au terme de laquelle un salarié ne peut s’approprier des documents appartenant à l’entreprise que s’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à son employeur tout en rappelant que la démonstration du caractère strictement nécessaire de ces documents incombe au salarié (Cass. soc., 9 novembre 2022, n°21-18.577).
Les circonstances de l’affaire
Dans cette affaire, un salarié en arrêt de travail pour accident du travail, avait été licencié pour faute grave pour avoir transféré sur sa messagerie professionnelle des informations particulièrement sensibles qui lui avaient été adressées par erreur par la société et avoir procédé au transfert de 256 courriels professionnels sur sa messagerie personnelle quelques jours après la réception de sa convocation à un entretien préalable à un licenciement.
La cour d’appel ayant prononcé la nullité du licenciement du salarié au motif que celui-ci, intervenu en période de suspension de son contrat consécutive à un accident du travail, n’était pas justifié par une faute grave, l’employeur s’est pourvu en cassation.
La haute juridiction censure la décision des juges du fond. Elle leur reproche en effet de ne pas avoir recherché si le salarié établissait que les documents en cause étaient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige qui l’opposait à son employeur à l’occasion de son licenciement.
Cette nouvelle décision est l’occasion de faire le point sur les conditions dans lesquelles un salarié peut s’approprier des documents appartenant à l’entreprise.
Les moyens de preuve admis par le juge
La question des moyens de preuve sur lesquels le salarié peut valablement fonder sa défense a été tranchée par la Chambre sociale de la Cour de cassation ; la Haute Cour considérant d’une part, que les documents produits doivent être strictement nécessaires à la défense du salarié dans le procès et d’autre part, que le salarié doit avoir eu connaissance de ces documents à l’occasion de l’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 30 juin 2004, n°02-41.720) ou avoir eu accès à ces documents dans le cadre normal de son activité (Cass. soc., 2 décembre 1998, n°96-44.258).
La position de la chambre sociale de la Cour de cassation est conforme à celle adoptée par la chambre criminelle (Cass. crim., 11 mai 2004, n°03-85.521 ; Cass. crim., 16 juin 2011, n°10-85.079).
En conséquence de ce qui précède, lorsque l’intention du salarié est de préserver des preuves et que ce dernier a eu connaissance des documents de l’entreprise dans le cadre de ses fonctions, le salarié peut valablement produire ces documents à l’appui de sa défense sans s’exposer à des poursuites pénales pour vol.
A l’inverse, un salarié ne saurait produire des documents qui n’ont jamais été mis à sa disposition (Cass. soc. 8 décembre 2015, n°14-17.759) ou qui ne lui ont pas été remis volontairement (Cass. soc., 27 novembre 2019, n°18-19.237).
En outre, la Cour de cassation avait précisé, dans sa décision du 16 juin 2011, que la démonstration du caractère strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense n’est pas subordonnée à l’introduction d’une action prud’homale.
Dès lors, si les deux conditions posées par la Cour et rappelées ci-dessus (Cass.soc. 30 juin 2004, op.cit.) ne sont pas remplies, le juge pourra écarter des débats les documents en cause, ordonner la destruction des copies de documents (Cass. soc., 31 mars 2015, n°13-24.410), voire condamner le salarié pour vol de documents appartenant à l’entreprise.
La Cour de cassation a repris ce raisonnement dans sa décision du 9 novembre 2022, confirmant ainsi que les moyens de preuve admis dans le cadre d’un litige sont limités aux documents appartenant à l’entreprise qui sont strictement nécessaires à la défense du salarié.
Le transfert de courriels professionnels par un salarié dont le contrat de travail prévoit une clause de confidentialité
La particularité des circonstances de l’espèce ayant donné lieu à la décision du 9 novembre 2022 réside dans le fait que le salarié avait été licencié pour faute grave après avoir procédé, dans un premier temps, au transfert d’un fichier professionnel vers sa messagerie personnelle puis, quelques jours après la réception de sa convocation à un entretien préalable au licenciement, au transfert de pas moins de 256 courriels professionnels vers sa messagerie personnelle.
La Cour d’appel avait considéré que la clause de confidentialité prévue dans le contrat de travail du salarié et la charte informatique signée par ce dernier n’interdisant pas expressément aux membres du personnel de l’entreprise le transfert des courriels professionnels vers leur messagerie personnelle, le salarié pouvait donc valablement procéder à de tels transferts.
De plus, la Cour d’appel avait jugé que le salarié, avisé du projet de son licenciement, avait seulement appréhendé des documents dont il avait eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, et dont la production pouvait s’avérer nécessaire à l’exercice de sa défense dans la procédure prud’homale engagée peu après, et en avait déduit que l’employeur ne pouvait se prévaloir d’une faute grave.
La Cour de cassation écarte ce raisonnement, considérant que la clause de confidentialité prévue dans le contrat de travail du salarié, ainsi que la charte informatique signée par ce dernier, ne sont pas de nature à justifier le transfert opéré par le salarié vers sa messagerie personnelle, quand bien même le contrat de travail et la charte informatique n’excluaient pas expressément un tel transfert.
De même, l’engagement d’une procédure de licenciement à l’encontre du salarié n’est pas une justification suffisante du caractère strictement nécessaire à la défense de ce dernier des documents et courriels électroniques ainsi transférés.
Plus généralement, par cette décision, la Cour de cassation se fonde sur l’obligation de bonne foi inhérente à l’exécution du contrat de travail (1), et sur la charge de la preuve telle que définie par le Code civil (2), pour réaffirmer le principe selon lequel il incombe au salarié d’établir que les documents appartenant à l’employeur et produits dans le cadre du litige sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense.
Cette position vient d’ailleurs confirmer la jurisprudence antérieure rendue à cet égard (Cass. soc., 31 mars 2015, n°13-24.410).
Par cette décision, la Cour de cassation prend soin de rappeler les principes gouvernant l’appropriation par un salarié de courriels professionnels aux fins de contester son licenciement.
Un salarié ne peut donc s’approprier des documents appartenant à l’entreprise que s’il en a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et que les documents sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à son employeur, étant précisé que le contexte dans lequel s’inscrit cette appropriation de documents, et notamment la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, ne suffit pas à une telle démonstration.
Auteurs
Vincent Delage, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Charlotte Gouranton, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Article L.1222-1 du Code du travail.
(2) Article 1353 du Code civil.
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