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Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la réforme des retraites

Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la réforme des retraites

Le Conseil constitutionnel a rendu le 14 avril deux décisions relatives à la réforme des retraites : la décision n°2023-849 DC sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023, portant réforme des retraites, et la décision n°2023-4 RIP sur la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans, soumise à un référendum d’initiative partagée.

 

1. En ce qui concerne la LFRSS portant réforme des retraites, le Conseil constitutionnel a, sans surprise, rejeté l’essentiel des quatre requêtes dont il était saisi.

 

En ce qui concerne le vecteur choisi pour mener cette réforme, il a jugé que «si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas du domaine obligatoire des LFSS, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît en lui-même aucune exigence constitutionnelle» (Ct 11).

 

Ce moyen était voué est à l’échec pour deux raisons :

 

    • d’une part, le régime d’assurance vieillesse est l’un des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale compris dans le champ de la LFSS ;
    • d’autre part, d’autres réformes des retraites, certes plus limitées, ont déjà été réalisées dans ce cadre.

 

Le Conseil a rejeté, en deuxième lieu, toute une série de moyens tirés de l’irrégularité de la procédure parlementaire, qu’il s’agisse :

 

    • de la mise en œuvre des règles et délais d’examen prévus par l’article 47-1 de la Constitution,
    • de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement en application de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution,
    • des conditions d’exercice du droit d’amendement,
    • de la procédure suivie par l’Assemblée nationale pour sélectionner la motion visant à soumettre le projet de loi au référendum,
    • de l’opposition du Gouvernement à l’examen de certains sous-amendements non soumis à la commission saisie au fond,
    • du recours au vote bloqué et à la procédure de clôture des débats au Sénat,
    • de l’examen, en priorité, de certains amendements, ou encore des documents qui devaient être joints au projet de loi.

 

Le principal moyen était tiré de la mise en œuvre cumulative par le Gouvernement des différentes armes que lui confèrent la Constitution (article 47-1 et article 49) et le règlement des assemblées.

 

Conformément à une jurisprudence constante, le Conseil a rejeté ce moyen en estimant que «si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions du débat, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution.» (Ct 70)

 

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, au fond, sur l’article 10 de la loi relatif au report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et à l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une pension à taux plein.

 

Il a jugé «qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et, ainsi, en garantir la pérennité. Il a notamment tenu compte de l’allongement de l’espérance de vie. Au nombre des mesures qu’il a prises, figurent le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, tant pour les salariés du secteur privé que pour les agents du secteur public, ainsi que l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une pension à taux plein. […]

Ce faisant, il a pris des mesures qui ne sont pas inappropriées au regard de l’objectif qu’il s’est fixé et n’a pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées.» (Il s’agit du 11ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui implique la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités.) (Ct 93).

 

En ce qui concerne les cavaliers sociaux, qui constituent, depuis le début, le talon d’Achille de la loi, le Conseil constitutionnel a procédé en deux temps :

 

* Il a d’abord censuré les cavaliers sociaux dénoncés par les requêtes, ce qui l’a conduit à annuler l’article 2 instaurant dans les entreprises d’au moins 300 salariés la publication d’un indicateur relatif à l’emploi des seniors, l’article 3 créant, à titre expérimental, un contrat de fin de carrière pour le recrutement de demandeurs d’emploi de longue durée âgés d’au moins 60 ans, et l’article 17 relatif à la prévention et la réparation de l’usure professionnelle.

 

Dans les trois cas, il a estimé que ces dispositions n’ont pas d’effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base.

 

* Le Conseil a ensuite examiné d’office s’il y avait dans la loi d’autres cavaliers sociaux qui devaient être annulés. Il n’en a censuré que deux : l’article 6 qui apportait diverses modifications à l’organisation du recouvrement des cotisations sociales et l’article 27 qui instaurait un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.

 

Au total, le Conseil a ainsi censuré cinq cavaliers sociaux, témoignant d’une très grande retenue par rapport à d’autres décisions.

 

2. La décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 sur le référendum d’initiative partagée.

 

La proposition de loi faisant l’objet de cette procédure relevait d’un détournement de procédure, puisqu’aux termes de l’article 11 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la révision constitutionnelle de 2008 : «Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an».

 

Or la proposition de loi soumise par l’opposition au RIP a pour seul objet d’abroger la réforme des retraites mais, pour éviter d’être irrecevable à ce titre, les parlementaires de l’opposition ont déposé leur proposition de loi avant le vote définitif de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative, portant réforme des retraites.

 

Le Conseil constitutionnel avait déjà admis le même tour de passe-passe pour la loi concernant la privatisation d’Aéroports de Paris.

 

L’objet de la proposition de loi était, selon son titre, «d’affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans».

 

Le Conseil constitutionnel dans le cadre de cette procédure, doit exercer un contrôle de fond sur l’objet du référendum en vérifiant qu’il porte bien, selon les termes de l’article 11 «sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation.»

 

Pour déclarer, que la proposition de loi ne portait pas sur une réforme sociale, le Conseil a fait un double constat :

 

    • il a d’abord constaté qu’à la date à laquelle il a été saisi de cette proposition de loi, l’âge d’ouverture du droit à la retraite est fixé par l’article L 161-17-2 du Code de la sécurité sociale à 62 ans : par conséquent, «la proposition de loi visant à affirmer que l’âge de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans, n’emporte pas de changement de l’état du droit» (Ct 8) ;
    • il a rappelé en second lieu «que le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum. Ainsi, ni la circonstance que ces dispositions seraient adoptées par référendum, ni le fait qu’elles fixeraient un plafond contraignant pour le législateur ne permettent davantage de considérer que cette proposition de loi apporte un changement de l’État du droit » (Ct 9).

 

Il résulte, en effet, d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, que le Parlement ne peut pas aliéner la liberté du pouvoir législatif : en d’autres termes, aucune majorité ne peut limiter pour l’éternité à 62 ans l’âge de départ à la retraite, seule une disposition constitutionnelle pourrait le faire.

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel a-t-il très habilement fait la réponse du berger à la bergère : à une tentative de référendum d’initiative partagée qui constituait à l’évidence un détournement de procédure, il a répondu par des arguments de procédure très solides.

 

Cette motivation habile, brillante même, a ainsi épargné au Gouvernement le calvaire du recueil des 6 millions de signatures et du feuilleton législatif propre à la procédure du référendum d’initiative partagée. Toutefois, un autre référendum d’initiative partagée a été déposé sur lequel le Conseil constitutionnel se prononcera le 3 mai prochain.

 

Olivier Dutheillet de Lamothe, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats, Membre honoraire du Conseil constitutionnel

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