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L’accident du travail et la déclaration de maladie professionnelle à la suite d’un entretien avec l’employeur

L’accident du travail et la déclaration de maladie professionnelle à la suite d’un entretien avec l’employeur

Comment réagir face au risque de déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle à la suite d’un entretien ?

 

Depuis 2003, la Cour de cassation retient que le choc psychologique subi par le salarié lors d’un entretien avec son employeur peut constituer un accident du travail. Il en est de même du trouble anxiodépressif développé par un salarié à la suite d’un tel entretien donnant lieu à la délivrance d’un arrêt de travail pour maladie professionnelle.

 

Le bénéfice de la protection contre le licenciement

 

En cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle, le contrat de travail est suspendu et le salarié bénéficie de la protection contre le licenciement applicable aux salariés en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, peu important que le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie ne soit finalement pas retenu par la CPAM (1).

 

En application de l’article L.1226-9 du Code du travail, le licenciement n’est alors possible que pour faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’accident ou la maladie.

 

Un arrêt de travail de droit commun peut-il permettre à un salarié de bénéficier de la protection contre le licenciement au motif que l’absence du salarié résulterait de manquements de l’employeur et aurait ainsi une origine professionnelle que l’employeur ne pouvait ignorer ?

 

La jurisprudence de la Cour de cassation est fluctuante sur le sujet.

 

Une décision a cependant été rendue récemment au sujet de la prise en compte des absences pour maladie dans l’appréciation de l’ancienneté pour le calcul de l’indemnité de licenciement.

 

Pour mémoire, seules les absences pour accident du travail ou maladie professionnelle sont prises en compte pour l’appréciation de l’ancienneté retenue pour le calcul de l’indemnité de licenciement.

 

Dans cette affaire, la Cour de cassation a refusé la prise en compte des absences pour maladie, peu important qu’elles soient consécutives à un harcèlement moral d’origine professionnelle (Cass. soc., 28 septembre 2022, n°20-18.218).

 

Néanmoins, au regard de l’absence de clarté de la jurisprudence, il semble prudent de faire application de la protection, dès lors que l’employeur a connaissance d’un évènement de nature à rattacher l’arrêt de travail à la sphère professionnelle (survenance d’un accident au temps et au lieu de travail, plainte d’un salarié concernant l’existence d’un harcèlement moral ou d’une détérioration de ses conditions de travail).

 

Prévenir le risque de déclaration d’AT/MP à la suite d’un entretien

 

Il peut être souhaitable, dans certains cas, qu’une autre personne, dont la neutralité ne puisse pas être mise en doute, assiste à l’entretien aux côtés de l’employeur.

 

La personne présente pourra alors attester des propos qui ont été échangés et du climat dans lequel s’est déroulé l’entretien.

 

La prudence s’impose, néanmoins, s’agissant de l’assistance de l’employeur lors de l’entretien préalable au licenciement, qui n’est admise que sous certaines conditions restrictives.

 

En effet, le juge n’autorise l’employeur à se faire assister que par une personne appartenant au personnel de l’entreprise que dans les cas où cela est strictement nécessaire et à la condition que l’assistance n’ait pas pour effet de déséquilibrer l’entretien et de le transformer en «procès à charge».

 

Si la jurisprudence a tendance à retenir que la seule circonstance que les faits soient survenus au temps et au lieu de travail suffit à caractériser l’accident de travail (2), veiller à mesurer ses propos, dans le cadre de l’entretien, peut néanmoins permettre d’éviter que l’entretien puisse être à l’origine d’un choc psychologique.

 

L’employeur doit ainsi veiller :

 

    • à rester factuel et à mener l’entretien dans un climat serein (CA Versailles, 18 août 2016, n°14/03611) ;
    • à demeurer respectueux à l’égard du salarié et à éviter toute mise en cause de sa personne (CA de Bordeaux, 4 avril 2019, n°17/02471).

 

La cour d’appel de Paris a ainsi pu considérer que «le manque de mesure de l’employeur dans la formulation de ses reproches», peut être à l’origine d’un choc émotionnel constitutif d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (CA Paris, 8 décembre 2016, n°14/06055).

 

Ces préconisations sont également opportunes pour éviter la reconnaissance d’une faute inexcusable.

 

En effet, la Cour de cassation a déjà pu considérer que :

 

    • La seule insistance de l’employeur à l’égard d’un salarié psychiquement fragile au cours d’un entretien disciplinaire ne saurait suffire à caractériser une telle faute en l’absence de tout comportement humiliant, violent ou vexatoire (Cass. civ. 2, 28 novembre 2019, n°18-24.161).
    • En revanche, un comportement brutal exercé à l’encontre d’un salarié ayant une forte ancienneté et dont la fragilité psychologique était connue de l’employeur caractérise l’existence d’une faute inexcusable (Cass. civ. 2, 28 novembre 2019, n°18-23.987).

 

En cas de déclaration d’AT/MP postérieure à l’entretien

 

Lorsque l’employeur a dû procéder à une déclaration d’accident du travail à la suite du malaise d’un salarié intervenu lors de l’entretien, il est vivement recommandé d’accompagner la déclaration de réserves, dans le but d’indiquer que les échanges qui ont eu lieu durant l’entretien n’ont donné lieu à aucun comportement excessif de l’employeur etc.

 

Il convient également de faire connaître ses observations lors de la procédure d’instruction faisant suite à une demande de reconnaissance de maladie professionnelle d’un salarié effectuée en raison du trouble anxiodépressif consécutif à un entretien.

 

Par ailleurs, il n’est pas rare que le médecin traitant du salarié indique dans l’arrêt de travail que celui-ci résulte d’un choc émotionnel ou d’un trouble anxiodépressif lié au travail.

 

Dans un tel cas, il est opportun, dans un premier temps, de rappeler au médecin traitant pour ses obligations déontologiques en la matière. En effet, ce dernier ne peut établir un tel certificat qu’en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail (CE, 6 juin 2018, n°405453).

 

Vis-à-vis du salarié, l’arrêt de travail pour AT ou MP à la suite d’un entretien préalable de licenciement pourra conduire l’employeur à reconsidérer son projet de licenciement, selon le motif envisagé de celui-ci.

 

En effet, en cas d’AT/MP, seule la faute grave ou l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif lié à l’accident ou à la maladie peuvent, pour rappel, justifier le licenciement du salarié.

 

Or, la suspension du contrat de travail n’entraîne l’interruption ou la suspension ni du délai de prescription de deux mois dont dispose l’employeur pour engager une procédure disciplinaire, ni du délai d’un mois qui lui est imparti après l’entretien préalable pour notifier le licenciement disciplinaire.

 

Dans un tel cas, l’employeur n’aura d’autre choix que de prononcer une sanction moindre que le licenciement s’il veut sanctionner le comportement fautif du salarié et se ménager des éléments venant à l’appui d’éventuels nouveaux faits fautifs ultérieurs.

 

A défaut, en l’absence de faute grave ou d’ impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie, l’employeur doit renoncer à la procédure de licenciement engagée.

 

Notons à cet égard que la seule existence d’un motif économique de licenciement ne suffit pas à caractériser une telle impossibilité, sauf cessation de l’activité ou suppression de l’emploi du salarié.

 

L’insuffisance professionnelle ne constitue pas non plus une impossibilité de maintenir le contrat de travail. Mais d’une manière générale lorsque le motif du licenciement n’est pas disciplinaire, rien ne s’oppose à ce que l’employeur ne reporte la mise en œuvre de la procédure à la date de retour du salarié et après, le cas échéant, qu’une visite de reprise ait été organisée auprès du médecin du travail pour mettre fin à la protection, sous réserve toutefois que ce délai ne soit pas trop long.

 

Auteurs

Thierry Romand, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Victor Birgy, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Cass. soc., 22 juin 2011, n°10-14.316

(2) Cass. soc., 27 juin 1963, n°62-12.306  ; Cass. soc., 31 janvier 1973, n°72-10.838; Cass. civ. 2, 5 avril 2007 n°06-11.468 ; Cass. civ. 2, 11 juillet 2019 n°18-19.160)

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