Le serment juratoire : attention à la discrimination !

15 mars 2017
En application de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer, les agents de contrôle de la RATP doivent être assermentés pour pouvoir être habilités à dresser des procès-verbaux d’infraction.
Madame X, ayant été intégrée dans le cadre permanent de la RATP, a été convoquée le 5 septembre 2007 pour cette prestation de serment devant le président du tribunal de grande instance de Paris.
Elle a toutefois refusé, en raison de sa religion chrétienne, de prononcer la formule « je le jure » et a déclaré : « Toutefois, mes croyances religieuses m’interdisant de lever la main droite et de jurer, je suis en revanche autorisée à faire une affirmation solennelle de la même substance dans laquelle je m’engage à respecter la réglementation et la législation … ».
Le président du Tribunal de grande instance a refusé cette formule et a fait acter que l’intéressée avait refusé de prêter serment. L’intéressée a été licenciée pour faute grave le 12 novembre 2007 au motif qu’elle n’avait pas obtenu son assermentation devant le Tribunal.
Devant les juges du fond, qu’il s’agisse du conseil de prud’hommes ou de la cour d’appel de Paris, Madame X a été déboutée de sa demande d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour les juges du fond, le licenciement était parfaitement valable : l’assermentation étant indispensable à l’exercice des fonctions, Madame X a bien commis une faute en refusant de se soumettre à la procédure exigée par le Tribunal ; par ailleurs, l’employeur est étranger à un débat circonscrit entre le président du TGI et la salariée.
La Cour d’appel a notamment estimé
« que l’employeur n’avait pas à entrer dans le débat de savoir si la formule que proposait la salariée en remplacement de celle qu’entendait lui imposer le juge pour recevoir son assermentation aurait dû être acceptée par celui-ci ».
La Cour de cassation a annulé l’arrêt de la Cour d’appel par un raisonnement en deux temps :
-
- elle a d’abord jugé « qu’’il résulte de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion »;
-
- elle en a déduit « qu’il s’ensuit que la salariée n’avait commis aucune faute en proposant une telle formule et que le licenciement prononcé en raison des convictions religieuses de la salariée était nul ».
L’interprétation ainsi donnée de l’article 23 est une interprétation constructive.
Aux termes de cet article : « Au moyen du serment prêté devant le Tribunal de grande instance de leur domicile, les agents de surveillance de l’administration et des concessionnaires ou fermiers pourront verbaliser sur toute la ligne du chemin de fer à laquelle ils seront attachés ».
Si cet article n’impose pas une formule de serment, qui est pourtant utilisée en pratique, c’est seulement en combinant ce texte avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif à la liberté religieuse, visé par la décision, qu’on peut en déduire que le serment peut être reçu « selon les formes en usage dans leur religion ».
La combinaison des deux textes est une démarche familière de la chambre sociale qui, de plus en plus, interprète des dispositions législatives nationales à la lumière des stipulations de la CEDH. Elle ne peut qu’être approuvée dans la mesure où elle ouvre une possibilité de prononcer le serment dans le respect des convictions religieuses de chacun.
La seconde partie du jugement est beaucoup plus contestable.
Certes, on ne peut contester que, compte tenu de l’interprétation donnée par la chambre sociale de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845, la salariée n’a commis aucune faute en proposant une formule qui lui permettait de respecter ses convictions religieuses.
Ce faisant, la chambre sociale a admis implicitement mais nécessairement que la formule « je le jure » était susceptible de porter atteinte à des convictions chrétiennes, comme impliquant une invocation du nom du Seigneur, ce qui n’a rien d’évident.
Il n’en reste pas moins que dans la mesure où elle n’a pas obtenu son assermentation, nécessaire pour l’exercice de ses fonctions, elle ne pouvait être recrutée, de même, par exemple, que le retrait du permis de conduire interdit à un routier de conduire son camion (Cass., soc., 3 mai 2011, n°09-67464). Le licenciement aurait pu être justifié sur ce terrain.
L’absence de faute aurait pu permettre de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse sans aller plus loin.
Or, la Cour de cassation a estimé que le licenciement « prononcé en raison des convictions religieuses de la salariée » était nul, ce qui conduit à faire porter sur l’employeur la responsabilité d’une discrimination qui n’émane en réalité que du président du Tribunal de grande instance sur lequel l’employeur était sans influence.
C’est donc une jurisprudence très sévère pour les employeurs qui conduit à leur imputer des discriminations éventuelles commises par d’autres qu’eux.
Cette jurisprudence confirme la tendance de la chambre sociale à n’aborder les questions religieuses que sous l’angle de la discrimination comme elle l’a fait dans l’affaire Baby Loup, censurée par l’Assemblée Plénière, et dans l’affaire Micropole pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Article publié dans les Echos Business le 15/03/2017
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