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Manifestations de convictions religieuses et politiques dans l’entreprise : la Cour de cassation persiste et signe

Manifestations de convictions religieuses et politiques dans l’entreprise : la Cour de cassation persiste et signe

Près de trois ans après son arrêt de principe rendu dans l’affaire Micropole, la Chambre sociale de la Cour de cassation applique au port d’une barbe, dont la coupe serait à connotation religieuse, sa jurisprudence sur le port du voile islamique.

Dans cet arrêt du 8 juillet 2020 (n° 18-23.743) promis à une large diffusion, la Cour de cassation rappelle l’ensemble des règles applicables en matière de signes ostentatoires religieux, politiques ou philosophiques en entreprise. Analyse.

 

Rappel des faits

Un salarié, consultant sûreté en mission au Yémen, pour une société qui assure des prestations de sécurité et de défense pour le compte de gouvernements, d’organisations internationales non gouvernementales ou d’entreprises privées, s’était vu reprocher le port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politiques ». Alors que son employeur lui avait enjoint de « revenir à une barbe d’appartenance plus neutre », il avait refusé et avait fait l’objet, en 2013, d’un licenciement pour faute grave.

Soutenant que son licenciement reposait sur un motif discriminatoire, le salarié avait obtenu gain de cause devant la Cour d’appel qui avait prononcé la nullité de son licenciement.

Saisie d’un pourvoi formé par l’employeur, la Cour de cassation précise les contours de sa jurisprudence en matière de restrictions à la liberté religieuse et politique.

 

Sur l’absence de clause de neutralité générale et indifférenciée dans le règlement intérieur

La Cour rappelle tout d’abord qu’en application des dispositions du Code du travail, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché. Le règlement intérieur ne peut donc contenir de dispositions apportant aux droits des personnes des restrictions qui ne seraient ni justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.

Néanmoins, l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur ou une note de service (soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur), une clause de neutralité interdisant le port visible de signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Cette clause doit être générale, indifférenciée et ne s’applique qu’aux salariés en contact avec des clients.

Cette faculté est d’ailleurs prévue – depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 – par le Code du travail qui dispose que « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché » (C. trav., art. L.1321-2-1).

 

En l’espèce, « l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués ».

 

Ainsi, à défaut de clause de neutralité prévue dans le règlement intérieur, l’interdiction faite au salarié de porter une barbe qui manifesterait des convictions religieuses et politiques lors de l’exercice de ses fonctions et l’injonction qui lui a été faite de revenir à une apparence plus neutre caractérisent, conformément à la jurisprudence européenne, une discrimination directe fondée sur les opinions religieuses et politiques du salarié.

 

Sur l’absence d’exigence professionnelle essentielle et déterminante

Toutefois, même en l’absence d’une clause de neutralité, la Chambre sociale retient qu’une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » peut légitimer la restriction du port de signes religieux « pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée«  (directive 2000/78 du 27 nov. 2000, art. 4§1).

Une telle exigence ne pouvant couvrir des considérations subjectives, la Cour de cassation réaffirme sa position selon laquelle le souhait d’un client particulier ne peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers C-188/15 ; Cass. soc., 22 nov. 2017, n° 13-19.855 – applicables au port du voile islamique).

En effet, les Hauts magistrats précisent dans l’arrêt commenté que cette notion « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause ».

En revanche, il convient de souligner que la Cour a admis, dans cette affaire, que « l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise«  permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre rendue nécessaire pour prévenir un danger objectif, ce qu’il lui appartient de démontrer. Ainsi, en est-il, notamment, des militaires pour lesquels « le port de la barbe, peu compatible avec l’emploi de certains équipements, peut être interdit par le commandant de formation administrative » (instruction n° 362/DEF/ENM/RH/CPM).

 

En l’espèce, l’employeur soutenait que « compte tenu du contexte de la mission assignée au salarié, de sa nature, du pays de destination des missions, la restriction relative à l’apparence de la barbe portée par le salarié afin qu’elle reflète une neutralité » était légitime.

 

La Cour approuve les juges du fond qui, pour décider que le licenciement était nul, ont retenu que « si l’employeur considérait la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse il ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler sa barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés […] et ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de sa mission au Yémen », de sorte que le licenciement était fondé, au moins pour partie, sur un motif discriminatoire.

La solution retenue par la Cour fait écho à celle adoptée par le Conseil d’Etat qui a, récemment, considéré que la barbe, malgré sa taille, ne pouvait être regardée « comme étant par elle-même un signe d’appartenance religieuse », et ce, même si l’agent du service public avait conscience de la perception qu’elle pouvait engendrer par ses collègues et les usagers (CE, 12 févr. 2020, n° 148299).

Enfin, et contrairement au port du voile qui répond quasi-systématiquement à une pratique religieuse, le port de la barbe ne résulte pas toujours de la volonté d’exprimer une telle conviction. C’est pourquoi, le Défenseur des droits est venu préciser que la liberté de porter la barbe est protégée tant par le droit de la non-discrimination fondé sur l’apparence physique que par celui fondé sur les convictions religieuses (décision-cadre du Défenseur des droits, n° 2019-205).

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