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Quelle solution pour l’employeur si le médecin du travail refuse de se prononcer sur le reclassement d’un salarié déclaré inapte?

Quelle solution pour l’employeur si le médecin du travail refuse de se prononcer sur le reclassement d’un salarié déclaré inapte?

L’obligation de reclassement d’un salarié déclaré physiquement inapte par le médecin du travail donne régulièrement son lot de décisions jurisprudentielles. De nombreuses situations, posant pourtant de réelles difficultés d’application pratiques et concrètes pour les employeurs, n’ont cependant pas encore donné lieu à une position établie de la Cour de Cassation.

Les dispositions de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ont par ailleurs apporté quelques nouveautés, s’agissant notamment du périmètre géographique et sociétal de cette obligation.

Une décision aussi discrète que précieuse pour les praticiens, en date du 9 janvier 2019 (n°17-21.516), est venue préciser que le refus du médecin du travail de se prononcer sur la capacité physique du salarié à occuper un poste de reclassement autorisait l’employeur à ne pas le proposer au salarié tout en satisfaisant à ses obligations.

Cette décision mérite un éclairage particulier, une fois rappelés les principes généraux applicables en matière de reclassement d’un salarié déclaré physiquement inapte à exercer ses fonctions.

Le reclassement du salarié déclaré inapte physiquement par le médecin du travail

Une obligation générale reposant sur l’employeur

L’article L.1226-2 du Code du travail (concernant l’inaptitude physique consécutive à une maladie ou un accident non professionnel) et l’article L.1226-10 du même code (concernant l’inaptitude physique consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle) fixent, en leurs dispositions les plus actuelles, les obligations générales reposant sur l’employeur en matière de reclassement, qui sont les suivantes :

    • en présence d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ;
    • cette proposition doit prendre en compte, après avis du comité social et économique (CSE) lorsqu’il existe ou les délégués du personnel lorsqu’il n’en existe pas, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié (formule visée à l’article L.1226-2 précité) ou sur l’aptitude du salarié (mention figurant à l’article L.1226-10 susvisé) à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté ;
    • l’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à celui précédemment occupé par le salarié, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

 

L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé au salarié un(des) emploi(s) dans les conditions qui viennent d’être énoncées, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

L’employeur peut rompre le contrat de travail du salarié :

    • lorsqu’il justifie de son impossibilité de lui proposer un autre emploi dans les conditions précitées (ce qui impose à l’employeur, préalablement à la mise en Å“uvre de la procédure de licenciement, de faire connaître par écrit au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement)
    • en cas de refus par le salarié de l’emploi ou des postes qui lui ont été proposés par l’employeur (après que ce dernier s’est préalablement assuré auprès du médecin du travail, par écrit, de la compatibilité de l’emploi ou desdits postes avec les capacités physiques du salarié).

Les cas de dispense d’une telle obligation de reclassement du salarié

L’employeur est dispensé de son obligation de reclassement et peut procéder au licenciement d’un salarié déclaré inapte physiquement par le médecin du travail lorsque ce dernier a mentionné expressément, dans son avis, que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Cette dernière situation impose la plus grande prudence dès lors que le législateur n’autorise en quelque sorte la dispense du reclassement qu’à la seule condition que le médecin du travail se soit prononcé de manière expresse en faveur de l’une ou de l’autre des deux situations.

Plusieurs questions peuvent ici se poser :

    • la mention expresse du médecin du travail peut-elle résulter d’un autre document que l’avis d’inaptitude qu’il a rendu, par exemple d’un mail qu’il a adressé à l’employeur en réponse à une question de ce dernier ?
    • la mention expresse dont il est fait état doit-elle s’entendre au mot le mot des formules utilisées par le législateur (soit d’une part le « maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » et d’autre part « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ») ou peut-il s’agir de propos du médecin du travail ayant la même signification, mais exprimés dans des termes différents ?

Aucune réponse jurisprudentielle n’a été apportée à ce jour sur ces problématiques.

La prudence doit cependant être de mise. Il est à craindre que la dispense de reclassement à l’initiative de l’employeur sera interprétée de la manière la plus restrictive qui soit par les juridictions saisies sur ce point.

L’employeur n’est pas tenu de proposer un reclassement au salarié sur lequel le médecin du travail refuse de se prononcer

Dans l’affaire tranchée par la Haute Cour le 9 janvier 2019 (n°17-21516), un salarié a été licencié en raison de son inaptitude physique, dûment constatée par le médecin du travail, et de l’impossibilité pour l’employeur de procéder à son reclassement.

Pour considérer le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner en conséquence l’employeur au paiement de dommages et intérêts à ce titre, la cour d’Appel de Colmar a retenu, notamment :

    • que le salarié avait demandé à bénéficier d’un reclassement sur un poste dont il considérait qu’il répondait à la limitation médicale de la station prolongée plus de trois heures consécutives, estimant que les deux pauses de dix minutes et la pause casse-croûte de vingt minutes constituaient des coupures suffisantes ;
    • que l’employeur avait saisi par téléphone le médecin du travail qui a considéré que ces temps de rupture n’étaient pas suffisants au regard des restrictions qu’il avait préconisées ;
    • que toutefois, aucun élément n’était versé aux débats, permettant de constater que le médecin du travail avait examiné concrètement la situation qui opposait les parties ;
    • que si, par une lettre du 19 avril 2010, le médecin du travail a bien fait état d’un échange téléphonique du même jour, il ne précisait ni avoir examiné les caractéristiques du poste envisagé, ni même avoir affirmé que les temps de rupture inhérents à ce poste étaient insuffisants pour permettre une récupération ;
    • que l’employeur ne démontrait pas avoir obtenu un avis circonstancié concernant le poste dont le salarié demandait à bénéficier ;
    • que la recherche de reclassement ne répondait pas, dès lors, aux exigences légales.

 

La Cour de cassation a écarté cette analyse des juges du fond.

Même si les faits, y compris dans l’arrêt d’appel, restent flous, en particulier sur ce qui permet de caractériser le refus du médecin, il n’en demeure pas moins que l’attendu de cet arrêt est fort intéressant.

En effet, la Cour de cassation a considéré que si l’employeur doit prendre en considération, au besoin en les sollicitant, les propositions du médecin du travail en vue du reclassement du salarié déclaré inapte, il lui appartient de tirer les conséquences du refus de ce médecin de donner lui-même son avis sur le poste de reclassement envisagé. Concrètement, en pareilles circonstances, l’employeur peut s’exonérer de la transmission des postes au salarié.

En pratique, on observe que certains médecins du travail s’abstiennent effectivement de se positionner par écrit sur des propositions de postes ou plus généralement des solutions de reclassement qui leur sont présentées par les employeurs, soit parce que la pénurie de médecins ne leur permet pas de le faire en un temps raisonnable, soit parce que lesdits médecins ne veulent pas prendre solennellement position. D’autres se contentent d’un échange téléphonique avec l’employeur, ce qui n’est pas satisfaisant pour ce dernier, qui pourra éprouver de réelles difficultés pour en démontrer l’existence et la teneur devant une juridiction prud’homale par exemple.

L’intérêt de l’arrêt du 9 janvier 2019 est donc, en quelque sorte, de contraindre les médecins du travail à prendre leurs responsabilités et à tenir une position écrite et engageante sur la compatibilité des postes susceptibles d’être proposés au salarié avec les capacités physiques de celui-ci.

Ce faisant, l’employeur sera de moins en moins paralysé par l’inertie -consciente ou non- de certains médecins du travail.

En considération de ce cette jurisprudence récente, il sera conseillé aux employeurs qui identifient une ou des propositions de reclassement, d’écrire au médecin du travail (par mail ou par courrier), aux fins de solliciter son positionnement clair et exprès sur la compatibilité des postes avec l’état physique du salarié, tel qu’il l’a constaté dans son avis d’inaptitude.

En l’absence de réponse du médecin du travail, il y aura lieu pour l’employeur de « le relancer », là encore par écrit pour se ménager un moyen de preuve utile, éventuellement en lui demandant de se prononcer avant l’expiration d’un délai (raisonnable) déterminé et en précisant qu’en l’absence de réponse avant l’expiration du délai, il considérera que son silence équivaudra à un refus de celui-ci de se positionner.

Ce faisant, l’employeur sera en mesure de démontrer la loyauté qui a été la sienne dans la réalité des démarches entreprises aux fins de tenter de reclasser le salarié.

Ces éléments et correspondances seront précieux en cas de contentieux prud’homal initié par le salarié estimant que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement.

Le débat sur ces sujets peut-être plus général, notamment lorsque le médecin du travail se positionne de manière peu claire et/ou floue sur la compatibilité réelle des postes, emplois et solutions recensés par l’employeur, plaçant ce dernier dans l’impossibilité de savoir concrètement si le salarié est ou non en capacité physique de les occuper.

En pareil cas, l’employeur aura tout intérêt à se faire expliciter par le médecin du travail la véritable position qui est la sienne sur le sujet.

Etant précisé que l’employeur, comme le salarié, dispose en tant que de besoin de la possibilité de saisir le Conseil de Prud’hommes aux fins de contester les termes de l’avis, des préconisations, ou des conclusions écrites du médecin du travail, si d’aventure elles ne lui étaient pas favorables où si elles devaient être problématiques pour la régularité et/ou la légitimité de l’éventuelle procédure de licenciement à venir.

Mais a-t-il intérêt à entreprendre ce type de démarche ? Là est un tout autre sujet.

Article publié dans Les Echos Executives le 20/03/2019

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